Essai d’une Delahaye 135M : le raffinement d’un autre temps

Publié le par Benjamin

Essai d’une Delahaye 135M : le raffinement d’un autre temps

Ce sont des autos qui m’ont toujours attiré. Il faut bien le dire, c’est un certain chauvinisme qui se réveille en moi quand on évoque l’automobile des années 30. J’ai déjà essayé des Bugatti mais je trouve les Delahaye tellement élégantes. Aussi, quand on m’a appelé pour me proposer le volant de cette Delahaye 135M Cabriolet Grand Luxe, carrossée par Chapron, je n’ai pas résisté bien longtemps !

Rapide histoire des Delahaye 135

Delahaye est une des marques pionnières de l’automobile française. Pour autant ce sont ces autos des années 30 qui l’ont fait changer de dimension, et la Delahaye 135 en particulier.

Elle ambitionne d’être une auto de luxe, mais également performante. Le terme GT n’est pas encore d’actualité, mais c’est bien sa philosophie. Pour le moteur, la nouvelle venue fait appel à un 6 en ligne de 3,2 litres dérivé de sa gamme de camions. Les suspensions avant sont indépendantes et les performances au rendez-vous. En réalité, c’est une version surbaissée et performante de la 138 sortie l’année précédente.

Très tôt, les plus grands carrossiers français, de Figoni à Dubos, de Letourneur et Marchand à Labourdette sont mis à contribution, par les clients, pour habiller ces châssis. Les engagements sportifs suivent peu après. La victoire dans la Coupe des Alpes 1935 donnera son nom à une lignée de coupés.

Très vite, la Delahaye 135 va être déclinée avec les 148, 175 et 178. La Delahaye 135M apporte une cure de vitamines en passant à 3,6 litres qui est même prolongée avec les MS, juste avant la guerre, de vraies versions de compétition pouvant adopter un châssis court.

La guerre interrompt la fabrication de la 135 « normale » mais la Delahaye 135M reprend vite, toujours carrossée par les mêmes maîtres français… qui n’ont pas fait évoluer leurs lignes. Les Delahaye 135M et 135MS restent en production jusqu’en 1954 quand arrive la 235 qui clôturera l’aventure de la marque.

Notre Delahaye 135M du jour

Parmi les carrossiers cités plus haut on a oublié celui qui est le plus connu, surtout quand on parle des 135. Pour le coup, ça tombe bien, c’est aussi celui qui a dessiné et façonné les lignes de notre Delahaye 135M du jour : j’ai nommé Henri Chapron. Au fait de sa gloire, il signe là une carrosserie superbe qui ressemble à celle des autos d’avant le conflit… mais avec pas mal de différences notables.

On trouvera ces différences dès la face avant. Déjà au niveau du radiateur. Si sa forme ne laisse pas de doute, c’est une Delahaye, il est plus fin que les modèles d’avant-guerre et ses barrettes sont plus épaisses et horizontales. Le logo n’est pas rouge d’ailleurs, mais vert. On remarque aussi un pare-chocs plus bas, plutôt rectiligne mais avec un V central devant le radiateur, un mix des deux formes proposées avant-guerre.

Les ailes sont toujours séparées mais entre le capot et le rebond du tour de la roue, la tôle monte plus haut. Les feux sont d’ailleurs intégrés à la carrosserie et plus bas. Les feux additionnels sont également plus proches du radiateur.
Le capot garde lui son ouverture en deux parties avec l’articulation au centre. Au dessus, il est très travaillé pour laisser respirer le moteur tandis que les flancs sont percés d’ouvertures rectilignes quand elles étaient rondes avant le conflit.

Après les ailes et le capot, on retrouve donc l’habitacle, protégé par un pare-brise plat en une seule partie. Bien incliné, il procure un certain dynamisme. Et puis l’impression est clairement accentuée par le fait que l’habitacle soit très reculé. La capote reste apparente mais s’intègre bien au dessin.

Un vrai profil d’auto d’avant-guerre, plus élégant cependant que certaines réalisation d’outre-atlantique. Oui, la Delahaye 135M, c’est la French Touch, 60 ans avant qu’on invente l’expression !

L’arrière aussi est différent sur notre auto de 1948 par rapport aux autos d’avant-guerre. On ne retrouve plus la malle arrondie au sommet et plate au milieu, avec un raccord vertical de chaque côté qui venait mourir sur chaque aile. En fait, les ailes sont ici intégrées et on retrouve une seule forme, doublement galbée, entre les deux flancs de l’auto. La malle est maintenant découpée dans cette forme, beaucoup plus fluide et des sangles sont prévues pour le supplément de bagages. Le pare-chocs est fin, les feux aussi.

En bref, le dessin de la Delahaye 135M Cabriolet Chapron de 1948 est trompeur. De loin, on pense à une avant-guerre, mais de près les détails sont nombreux pour prouver la « modernité » de l’auto. Des détails très utiles lors des concours d’élégance d’époque.

Sous le capot : le 6 en ligne, cœur de légende

La Delahaye 135 a donc toujours été proposée avec un 6 en ligne de cylindrée plutôt conséquente. De 3,2 litres, il passe à 3,6 litre sur notre Delahaye 135M, 3557 cm³ si on veut être précis. Une belle cylindrée pour des performances plutôt sympathiques avec 140ch mais surtout un couple qui permet un confort de conduite en rapport avec l’image de l’auto.

Pour transmettre le tout aux roues arrières, on fait appel au top de l’époque : la boîte Cotal. Cette boîte dont le maniement est en fait confié à un système électromagnétique a l’avantage d’offrir un maniement très doux.

Pour continuer sur la partie technique, on notera tout de même que la Delahaye 135M est plutôt légère, même de nos jours. Avec un poids se situant entre la 1000 et 1200 kg, en fonction des carrosseries, on reste sur quelque chose de très contenu, surtout avec ces dimensions conséquentes. Les freins sont encore à câbles et tambours, les suspensions avant et arrières font appel à des ressorts semi-elliptiques. Des solutions des années 30… mais puisque ça marche !

À l’intérieur : c’est français ça ?

Non, les photos qui suivent n’ont pas été prises avec une auto anglaise. C’est bien l’intérieur d’une auto française qu’on vous présente là !

Niveau couleur, le marron qu’on retrouve un peu partout est totalement raccord avec le crème de la carrosserie. On le retrouve évidemment sous forme de cuir, que ce soit pour les deux fauteuils, on ne va pas parler de siège dans ce cas là, ou pour la banquette arrière. Les contreportes, le dessus du tableau de bord et même une partie de la planche de bord s’en parent également. C’est uni, c’est qualitatif, la restauration a été bien faite.

Vous l’aurez remarqué, le volant est à droite. C’est un vieil héritage des autos de luxe, même françaises. Il est grand, habillé de cuir teinté, avec trois belles branches métalliques. Derrière on retrouve des commodos à droite mais c’est à gauche qu’on retrouve la commande la plus notable et originale : le moutardier qui actionne la boîte Cotal.

Les autres commandes sont situées au tableau de bord sous la forme de boutons à tirer. On ajoute trois pédales, rien de bien étonnant… même si l’utilité de celle de gauche peut étonner, et deux leviers : l’un au sol, sous le tableau de bord, l’autre, contre l’aile droite, c’est le frein à main.

Côté indication, pas d’avarice chez Delahaye. En plus du compte-tours et de la vitesse, complétée par les compteurs kilométriques, on a un témoin de charge, la jauge à essence, la température et d’huile et la pression d’huile. Pour la température d’eau, pas de panique, le mano correspondant a été rajouté sous la planche de bord.

J’ai fait le tour de ma belle. C’est le moment de me mettre au volant.

Au volant de la Delahaye 135M

La belle est intimidante mais c’est le moment de me mettre au volant. Niveau ergonomie, on reste en présence d’une auto des années 30 donc les possibilités de réglage de la position de conduite sont quasi nulles. Pas bien grave, je ne suis pas mal installé. Si les bras ne sont « presque tendus », ce n’est pas très grave. C’est une position qui est « moderne » mais pas tellement compatible avec la taille de ces volants et, surtout, avec la force qu’il faut mettre pour les faire tourner.

Contact, démarrage. Le 6 cylindres de la Delahaye 135M s’ébroue sans aucun souci. La sonorité est sourde et feutrée. En même temps si vous recherchiez une mélodie évocatrice, vous auriez peut-être choisi une autre auto. Après il faut aussi se rappeler que le ralenti est très bas, chose normale pour une voiture de cet âge, encore plus quand on connaît la provenance du moteur.

Si le démarrage ne demande pas de procédure particulière, c’est autre chose quand on parle de la mise en route. Parce qu’avec cette Delahaye 135M, je réalise deux envies d’un coup. La première c’est donc de me mettre au volant. La deuxième, c’est enfin manier une boîte Cotal commandée par le fameux moutardier. Attention, je sais bien que ce n’est pas pour ses performances ou sa rapidité qu’elle est intéressante. Mais c’est son maniement qui interpelle. Ce minuscule levier trône dans une grille qui l’est autant. Allez, je le déplace vers la première.

Si vous pensiez que cela allait vous permettre de démarrer, c’est que vous vous êtes crus dans une auto en boîte auto. Là, c’est différent. Pour mettre en route la Delahaye 135M il y a d’autres commandes à activer. La première, c’est le levier au plancher. Il ne commande pas la boîte mais l’inverseur qui permet de mettre la voiture en marche avant ou en marche arrière. On le pousse vers l’avant, pédale d’embrayage enfoncée. Ensuite, justement on la relâche. Comme n’importe quel démarrage. Il faut un peu de gaz pour y parvenir et pour le coup je n’en met pas trop, « erreur » habituelle au premier démarrage avec beaucoup d’autos.

La belle française s’élance et grimpe la petite côte qui lui fait face et s’arrête toute seule en haut. Avant de sortir il faut bien regarder de chaque côté. Et sans empiéter sur la route, et bien c’est très compliqué, le capot de la Delahaye 135M étant particulièrement long. Et on est pas dans une Rolls Royce récente, pas de caméra au bout du capot. J’ai la place, je me lance.

Le moteur prend des tours de façon plutôt docile. Le couple est bon mais clairement son tempérament n’est pas celui d’une sportive. On travaille ici sur la force du 6 cylindres. Dès qu’arrive le régime de 2200 tours, c’est le moment de retoucher à notre fameux moutardier pour passer le deuxième rapport. Attention d’ailleurs à la grille, la première est bien en haut, mais à droite. Évitez de vous mélanger les pinceaux sous peine d’assaisonner une belle salade de pignon. L’action de ma main déclenche le système électromagnétique qui agit sur les trains de la boîte et passe le second rapport. Le tout sans aucune action sur la pédale d’embrayage, mais surtout sans à-coup.

J’évolue d’abord en ville et le trio formé par la Delahaye 135M Cabriolet Chapron, son moteur et cette boîte Cotal est parfait. Les passants, connaisseurs ou non, admirent les formes de la belle. Pas besoin d’être un spécialiste pour en reconnaître la beauté… sauf si on est absolument fan des arrêtes vives et des formes « universelles » des SUV actuels. Du côté du conducteur, on apprécie le couple du moteur qui permet d’évoluer sans problème dans les petites rues. Les relances sont réelles et la boîte est toujours prête à donner un coup de patte en cas de besoin.

Par contre, le combo conduite à droite et gabarit imposant n’est pas forcément aisé. En tout cas les premières minutes, le temps de s’y faire. Il faut bien placer les roues à fil, pas trop près du trottoir… et pas trop au centre. La direction est un peu lourde mais suffisamment communicative pour bien se placer. Le grand volant est un bon allié. On prend vite le coup et la Delahaye 135 arrive vite sur une large départementale qui lui convient bien mieux.

La route est en bel état, large, avec des virage variés, bref un parfait terrain de jeu… pour une auto sportive. Ce que n’est pas notre Delahaye 135M et il n’y a pas besoin de conduire des heures pour s’en rendre compte. Le moteur vous amène vite à des vitesses qui ne font pas de vous un bouchon dans la circulation actuelle. En même temps on a quand même 140ch et on passe vite le 4e et dernier rapport avec sa démultiplication nulle. Une fois calé à cette vitesse, il faut quand même faire attention.

Notre magnifique française reste imposante, lourde, plutôt haute et posée sur des trains roulant dont la conception remonte au milieu des années 30. Du coup le dynamisme est limité et la trajectoire a tendance à vite s’élargir. Un mouvement de poignet, une action sur le moutardier et on descend un rapport.

Mais cela n’empêche pas qu’il faille utiliser les freins. La commande se fait par câble, avec toute la latitude de dosage que cela implique. La force déjà entrevue en ville est réelle… mais d’époque. Si on a bien ça en tête, on ne se fera pas surprendre. En tout cas le système Bendix de la Delahaye 135M est bien plus efficace que celui de nombreuses autos de la même époque.

Mais ne nous pressons pas. Si notre belle pouvait tenir de belles moyennes à l’époque, c’était surtout sur des nationales plus ou moins carrossables mais avec une circulation réduite, des grandes lignes droites, pas de ronds-points, haricots… et pas de limitations.

Du coup on appréciera pas une Delahaye 135M au même rythme en 2021 qu’en 1948. Je me cale à une vitesse qui permet de passer sereinement les virages, de ne pas avoir besoin de trop freiner… et je profite. Si je n’ai pas parlé du confort jusqu’à présent, c’est qu’il n’y a pas grand chose à dire. Les suspensions dodelinent un peu mais, surrtout, elles ne se montrent jamais cassantes, même quand elles doivent absorber un ralentisseur. Les sièges sont confortables eux aussi. Et puis le plaisir de rouler les cheveux au vent, sans être trop perturbé par les bruits d’air, est réel.

Tout fier au volant de mon auto du jour, je roule sans me fatiguer. Sans avoir à trop penser à la route, à la trajectoire et à la circulation. Comme dans une auto moderne, avec la satisfaction d’avoir une légende entre les mains et avec les sensations d’époque.

Conclusion

En se replaçant à l’époque où cette Delahaye 135M a été conçue… on ne peut être que déçu de ce qu’offre l’automobile française actuellement. Certes, elle permet à tous, ou presque, de rouler au quotidien. Mais pour ce qui est du luxe, du raffinement, des notions bien de chez nous et toujours d’actualité quand on parle de joaillerie, de gastronomie ou de mode, l’automobile est oubliée.

La Delahaye 135M, comme une Delage, une Talbot ou une Hotchkiss, c’est un témoin d’une époque passée. Quand l’automobile française était belle, performante et luxueuse, quand les grands du monde faisaient appel aux ateliers de la région parisienne pour la qualité de leurs châssis et de leur moteur et les faisaient habiller par les couturiers de la tôle qui étaient alors nombreux.

La conduire en 2021, c’est se replacer en ce temps-là, avec une auto qui est restée moderne et qui est, par conséquent, plus aisée à conduire que bien des avant-guerre. Surtout, on a une impression de classe absolument unique et appréciable.

Les plusLes moins
Une ligne magnifiqueUn prix très soutenu
Une légende sur rouesUn dynamisme relatif
Une dose de chauvinismeUn gabarit imposant
Un vrai agrément moteur
Une boîte très agréable
CritèreNote
Budget Achat4/20
Entretien12/20
Fiabilité15/20
Qualité de fabrication18/20
Confort15/20
Polyvalence14/20
Image16/20
Plaisir de conduite14/20
Facilité de conduite14/20
Ergonomie15/20
Total14,1/20

Conduire une Delahaye 135M

Avec une production de 2600 exemplaires pour toutes les Delahaye 135, ce ne sont pas des autos courantes. Surtout, elles sont devenues prisées bien au delà des frontières de l’hexagone. Comme les Bugatti, les Delage et Talbot (mais aussi Salmson et Hotchkiss dans une moindre mesure) elles sont devenues, comme à l’époque, des reines des concours d’élégance. Le marché américain est important pour ces autos, le golfe aussi.

Il n’est pas rare que ces autos passent sous les marteaux des maisons de vente aux enchères et quittent malheureusement la France. Pour ce qui est des prix, il st très compliqué à fixer. La base mécanique est quelque chose, mais ces autos ont reçu des carrosseries et des options tellement différentes qu’il faut vraiment faire du cas par cas. Les palmarès en concours d’époque ou encore de prestigieux anciens propriétaires jouent également.

Cette auto sera proposée à la vente, en marge de Rétromobile 2024 par Osenat lors de sa vente des chefs d’œuvre de l’Automobile Française et elle est estimée entre 100 et 130.000 €. Infos ici.

Une fois acquise, ne vous inquiétez pas outre mesure pour son entretien. Que ce soit la carrosserie, la mécanique ou même la boîte, vous trouverez des pros qualifiés en France. Et vous pourrez vous engager dans de nombreux concours pour montrer votre fierté de posséder une telle auto.

Fiche Technique de la Delahaye 135M
MécaniquePerformances
Architecture6 cylindres en ligneVmax± 145 km/h
Cylindrée3557 cm³0 à 100 km/h± 9s
Soupapes12400m da
Puissance Max140 ch à 3200 tr/min1000m da
Couple MaxNCPoids / Puissance
Boîte de vitesse4 rapports Cotal

TransmissionPropulsion
ChâssisConso Mixte
Position MoteurLongitudinale avantConso Sportive
FreinageTambours à câbles AV et AR
Dimensions LxlxhDépend des carrosseriesCote 2021 ± 250.000 € avec carrosserie cabriolet Chapron
PoidsDépend des carrosseries

Benjamin

http://newsdanciennes.com

Passionné d'automobile ancienne, il a créé News d'Anciennes en 2013 à force de se balader sur les salons sans savoir quoi faire de ses photos. Conducteur occasionnel de Simca 1100 il adore conduire les voitures des autres, dès qu'elles sont un peu plus rapides !

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