Essai d’une Talbot-Lago T150C, l’art et la manière

Publié le par Benjamin

Essai d’une Talbot-Lago T150C, l’art et la manière

Conduire une Talbot-Lago, ça n’arrive pas tous les jours, même si ça m’est déjà arrivé. Mais là, c’est une toute autre dimension qui s’ouvre. On parle d’une Talbot-Lago T150C, une rareté de l’avant-guerre, l’auto qui coiffait toute une gamme qui fait déjà follement envie. C’est une découverte autant qu’une magnifique expérience, avec une auto dont la valeur ne peut faire naître qu’une appréhension une fois au volant. Je vous emmène.

L’histoire de la Talbot-Lago T150C

Tout commence avec une voiture de course. C’est sous cette première forme qu’apparaît la Talbot-Lago T150C à la fin de l’année 1935. Elle est voulue par Anthony Lago, tout nouveau patron de la marque, et conçue par Walter Becchia. De son moteur à culasse hémisphérique de 3 litres puis 4 litres de cylindrée à son châssis, tout est prévu pour se conformer à la nouvelle réglementation des Grands Prix qui entre en vigueur en 1936.

La Talbot-Lago T150C va y être une animatrice des pelotons, courant notamment au Grand Prix de France, aux Mille Miglia et aux 24h du Mans, avant et après-guerre. L’une des 6 autos construites va même être engagée aux 500 Miles d’Indianapolis en 1941, finalement sans courir.
Son vrai palmarès se construira à Montlhéry, au Grands Prix de Marseille, Tunisie, Comminges, avant que la T26C ne prenne le relai à partir de 1947.

Entre-temps, en 1937, on a dérivé une auto de route de la voiture de course. La Talbot-Lago T150C est une reine de la route, une véritable auto de Grand Tourisme, disponible avec le moteur 4 litres en configuration S et SS avec deux niveaux de puissance. Le châssis sera commun aux 69 voitures produites avant la guerre mais les carrosseries varieront.

De ce côté, les plus célèbres sont les « Goutte d’eau » sorties des ateliers de Figoni et Falaschi mais d’autres dessins ont été proposés par le carrossier dont des versions roadster très sportives. On ajoute quelques carrosserie coach ou même un coupé profilé signé Pourtout qui n’est pas sans rappeler la Type 57 Atlantic.

Si la voiture de course reprend sa carrière après-guerre, la version de route laissera sa place, dès 1946, à la Record.

Notre Talbot-Lago T150C du jour

Impossible de rester indifférent en regardant notre belle française du jour. Les lignes sont sportives, c’est indéniable. Le dessin est fluide, les proportions parfaites. Messieurs c’est du grand art… et c’est signé par un grand artiste ! La Talbot-Lago T150C ne sort pourtant pas de l’atelier d’un grand carrossier. Mais il y a une astuce, car si c’est l’usine qui a fabriqué cette belle robe, le dessin est signé Figoni !

Talbot Lago T150C par Joris Clerc 20- Talbot-Lago T150C

On est pourtant loin des gouttes d’eau. La carrosserie est enveloppante, ça se voit au niveau des ailes avant généreusement galbées, mais on devine ici une intention plus routière, plus sportive aussi, renforcée par le fait que l’auto soit basse, une des particularités offerte par la conception du châssis de ce modèle. La Talbot-Lago T150C ainsi habillée n’est pas une voiture d’apparat destinée à briller dans les concours et devant les palaces parisiens.

L’avant est particulièrement soigné mais ce n’est pas forcément d’origine. Quand cette auto fut montrée pour la première fois, au Salon de Paris 1937, elle possédait une calandre droite, la calandre typique des Talbot-Lago de cette époque là. Certaines différaient cependant, les quelques SS, les versions sportives. C’est une de ces calandres qui sera installée par le premier propriétaire à la fin des années 40. Combinée à des pare-chocs inox simples, cela permet d’affiner encore un avant typiquement années 30 avec les phares jaunes séparés.

Le dynamisme du profil de la Talbot-Lago T150C est renforcé par quelques lignes bien spécifiques : la découpe de la portière et le pare-brise reprennent l’inclinaison de la calandre, donnant une vraie impression de vitesse, alors même que l’auto est à l’arrêt ! Le profil est fluide, les ailes bien dessinées avec la couleur noire qui les rend plus visibles. L’auto était entièrement rouge à l’origine, comme toutes les autos de son propriétaire stéphanois. C’est le second propriétaire qui ajouta ce noir et on peut dire que la combinaison de couleurs est superbe.

On note aussi que l’impression de fluidité est renforcée par le fait que notre Talbot-Lago T150C ait une capote entièrement dissimulée lorsqu’elle est repliée.

Talbot Lago T150C par Joris Clerc 27- Talbot-Lago T150C

Comme souvent sur les autos de cette époque, l’arrière reste plus simple que l’avant. Les ailes sont moins en évidence, on remarque surtout l’arrière bombé. Il n’est pas totalement plat puisqu’une arrête le parcourt au centre de l’auto. Outre l’aspect stylistique plutôt sympathique, on peut lui supposer un avantage au niveau de la rigidité de la caisse. Si l’arrière est plat et s’il retombe, on retrouve un arrondi final qui n’est pas sans rappeler les goutte d’eau. Le pare-chocs enveloppant et les tous petits feux se remarquent à peine.

On pourrait passer des heures à l’observer. Pour le coup ce ne serait pas pour déceler des détails, mêmes s’ils sont nombreux, de nouvelles particularités ou de nouvelles inspirations. Mais vous êtes déjà resté captivés par la beauté d’une œuvre d’art au musée ? Et bien là, c’est pareil… mais on est pas dans un musée et on peut se permettre de continuer de la détailler.

Un intérieur magnifique

Si l’extérieur a vu quelques changements depuis la présentation de cette Talbot-Lago T150C au salon de Paris 1937, l’intérieur est resté d’origine ! Une rareté quand on se dit que cela fait 85 ans que c’est comme ça !

Talbot Lago T150C par Joris Clerc 9- Talbot-Lago T150C

Le volant à quatre branches est forcément à droite, comme sur toute automobile de prestige de l’avant-guerre, fusse-t-elle française. Légèrement incliné, on retrouve derrière lui un commodo à gauche et le sélecteur de vitesse de la boîte Wilson à droite (on en reparlera). En fond, c’est une magnifique planche de bord, qui porte bien son nom en étant en bois massif. Elle supporte les instruments Jaeger.

Les deux plus gros sont le compte-tours et le compteur de vitesse avec pour particularité qu’ils partent du haut. Pression d’huile, température, on retrouve ensuite des instruments classiques pour ce genre d’auto.

La Talbot-Lago T150C a beau être sportive, elle reste une auto des années 30. Du coup on ne retrouve, évidemment, pas de baquets mais de larges sièges rouges, en cuir à la superbe patine. Derrière on ne retrouve pas des places assises mais un espace qu’on pourra utiliser pour caser quelques bagages de plus… malgré le fait que le coffre arrière soit de bonne dimension.

Le tout est homogène et accueillant… On s’y voit déjà !

Sous le capot : une belle pièce

On soulève le capot, en deux parties évidemment. Les grandes ailes avant n’aident pas vraiment à l’accessibilité. Par contre, en dessous, c’est superbe. Le cache-culbuteur bouchonné donne un aspect « Bugatti » à la mécanique. C’est en fait une particularité des Talbot-Lago T150C du salon de Paris 1937.

Les premières T150 naissent avec le 3 litres mais le moteur de la Talbot-Lago T150C monte à 3996 cm³. Et il n’est pas que beau, il est aussi performant. Avec ses chambres hémisphériques et une ingénierie qui trahit son origine de compétition, il sort une belle puissance de 160 à 170 ch avec ses trois carbus Zenith-Stromberg, le tout au régime de 4100 tours/minute. Le couple n’est alors pas mesuré mais pour un moteur avec course longue, on se doute qu’il ne peut être que suffisant.

Ce moteur est donc accolé à une boîte préselective Wilson, comme tous les plus gros moteurs de la marque et contrairement à beaucoup de concurrentes préférant l’option Cotal dont le fonctionnement est différent, mais on en reparle plus bas. Autre particularité de cette Talbot-Lago T150C : elle dispose d’amortisseurs télescopiques, une option apparue en 1936 et montée sur les autos du salon 1937.

On obtient une auto performante, raffinée… et qu’on a envie de prendre en main.

Au volant d’une Talbot-Lago T150C

Intimidé ? Moi ? Carrément ! La belle est devant moi et je me dirige naturellement vers la porte de gauche. Oui, c’est la porte passager. La montée qui permet d’amener l’auto sur la route n’est pas le meilleur endroit pour prendre en main cette belle et je préfère toujours avoir un petit cours avant de prendre l’auto en main. Quelques kilomètres me permettent d’apprécier le tout. C’est à moi.

Je m’installe et la position de conduite convient tout à fait. En fait je ne pose pas la question de savoir si le volant est à bonne distance. Je sais bien que dans une avant-guerre comme cette Talbot-Lago T150C on conduit près du volant. Je suis assez grand pour bien enfoncer les pédales, assez petit pour ne pas avoir à mettre les jambes dans des angles improbables. Allez, c’est parti.

Le démarrage se fait du premier coup. La pompe à essence d’origine a fait son œuvre, le coup d’accélérateur aide le tout. Maintenant, il va falloir s’attaquer à cette boîte Wilson. On vous l’a dit c’est une boîte préselective et les premiers tours de roue vont servir à me former à son maniement. Pour enclencher un rapport, on tire un sélecteur situé sur la colonne de direction, côté droit. On le relâche et rien ne se passe. C’est le principe de la boîte préselective. Là, le rapport est prêt. Encore faut-il mettre tout cela en marche car pour le moment la Talbot-Lago T150C n’avance pas d’un centimètre.

Pour s’élancer, je vais devoir faire comme avec n’importe quelle automobile à boîte manuelle « normale ». Enfoncer la pédale d’embrayage, la relâcher en accélérant et notre auto du jour démarre. Le moteur prend des tours, lentement. En même temps je ne vais pas faire de 1/4 de mile avec ce bijou. Le couple est appréciable mais il faut tout de même aller chercher un peu dans les tours pour vraiment prendre de la vitesse. Allez, c’est le moment de passer la seconde.

C’est vraiment là que la boîte Wilson est étonnante. Je tire le sélecteur et le décale avant de le relâcher sur le cran correspondant à la seconde. Rien ne se passe, et c’est normal. Une fois de plus le rapport est seulement présélectionné. Il faut maintenant le faire passer en enfonçant la pédale d’embrayage et en la relâchant de la même façon qu’avec une manuelle. Le deuxième rapport est engagé et la Talbot-Lago T150C continue à accélérer.

TalbotLago 14- Talbot-Lago T150C

Le moteur répond vraiment bien. Surtout, comme sa provenance nous l’indiquait, il développe une vraie mélodie de voiture de course, d’époque évidemment. Ne cherchez pas une montée dans les tours aigüe, ne cherchez pas un grondement de V8 américain. Non, le 6 cylindres de 4 litres sonne tout de même comme un moteur d’avant-guerre. Un grondement sourd qui s’éclaircit dans les tours. En parallèle, on ressent la puissance. Certes, on ne grimpe pas dans les tours en une fraction de seconde, il faut quand même emmener l’auto… et puis je reste quand même prudent.

Je passe la troisième et l’accélération est toujours réelle. Les virages s’enchaînent bien. On sent que la Talbot-Lago T150C est une vraie GT de son époque. La caisse ne bouge pas, l’amortissement est plutôt ferme. Pour autant le confort n’est pas sacrifié. C’est aussi un avantage des autos de cette époque avec des sièges épais et des pneus aux flancs hauts. On est vraiment pas en présence d’une auto de course, mais d’une auto de route faite pour aller vite.

Quand les tournants se resserrent, ce n’est pas un souci. Les freins sont plutôt faciles à doser, laissent la caisse dans l’axe et sont efficaces. Ils le sont d’autant plus après quelques kilomètres à bien cerner la boîte Wilson. Car on peut vraiment anticiper. Une longue ligne droite avec un tournant qui se profile ? Une fois calé à notre vitesse de croisière on peut déjà préparer le rétrogradage. Du coup en arrivant sur le virage, on freine, on débraye et embraye et on passe le rapport sans quitter le volant des mains. Et heureusement d’ailleurs.

La Talbot-Lago T150C permet de belles vitesses de passage en courbe, mais il faut l’y tenir. Le volant est grand et permet de bien viser. Par contre la direction est d’avant-guerre : plutôt lourde même si la vitesse est un atout de ce côté là. La relance est aisée, le moteur est toujours volontaire. Clairement, on peut se faire plaisir au volant de cette avant-guerre sans trop d’appréhension. Certaines autos des années 50 ne sont pas beaucoup plus modernes. Pour ce qui est du comportement, notre française de 1937 me rappelle en fait une Jaguar XK120, mais au niveau du moteur c’est quand même différent.

L’arrivée en ville n’est pas problématique. Il faut juste garder à l’esprit que l’amortissement est un peut raide, l’auto un peu basse et les ralentisseurs terriblement nombreux. Ensuite il faut garder à l’esprit le gabarit de cette Talbot-Lago T150C. Même si elle n’est pas énorme comparée à d’autres autos de la même période, elle reste plutôt large et il faut bien serrer à droite… surtout que j’ai tendance à rouler un peu trop au centre quand le volant est également à droite.

Le couple du moteur s’apprécie réellement. Pas besoin de changer de rapport trop souvent, la troisième permet de traverser tout village sur un filet de gaz. En cas de doute, on peut toujours préselectionner la seconde qui sera prête à rendre service après une pression du pied gauche.

TalbotLago 01- Talbot-Lago T150C

Une fois le panneau de sortie d’agglo franchi, on peut relancer. Le filet de gaz s’éloigne, le moteur se fait plus présent. Ce ne sont pas les vocalises d’un V12 des années 60, mais il s’apprécie quand même énormément. Surtout si on le compare à d’autres mécaniques de cette époque.

La Talbot-Lago T150C grimpe les côtes sans souci. Tourne toujours bien si on anticipe. L’anticipation a toujours été la clé pour bien conduire une avant-guerre. Mais avec cette boîte si spéciale, c’est vraiment très facile à faire. Alors on se détend. On profite du son du 6 cylindres et du soleil. On profite des belles routes plutôt dégagées et on roule. On peut d’ailleurs rouler sans se préoccuper des autres usagers de la route. Les performances de notre belle sont tout à fait compatibles avec la circulation de 2022. Alors pourquoi se priver ?

Conclusion :

La compétition, ça a du bon ! Les origines de la Talbot-Lago T150C se retrouvent vite mises en avant. Le châssis et le moteur sont bons, les performances ne sont pas dépassées et le confort reste excellent. Dérivée d’une auto de course, c’est une GT sortie bien avant que le terme ne soit utilisé pour une finition de SUV. On en rajoute ? La ligne est superbe et l’exclusivité est certaine.

Par contre, qui dit voiture exclusive dit voiture chère. La Talbot-Lago T150C est réellement une voiture d’exception, même sans revêtir une carrosserie goutte d’eau ! Dans cette configuration à deux places avec capote rentrante et dessin Figoni, deux autos seulement existeraient. La seconde est également en France.

En tout cas, c’est une monture parfaite pour rouler jusqu’au concours d’élégance le plus proche… et le remporter !

Les plusLes moins
Sa ligne superbeSon prix
Son moteur volontaireSa rareté
Sa boîte douce et facile
Ses performances actuelles
CritèreNote
Budget Achat0/20
Entretien10/20
Fiabilité15/20
Qualité de fabrication17/20
Confort14/20
Polyvalence13/20
Image15/20
Plaisir de conduite15/20
Facilité de conduite16/20
Ergonomie14/20
Total12,9/20

Rouler en Talbot-Lago T150C

Difficile de proposer un guide d’achat avec une auto telle que celle-ci. L’entretien ne peut être réalisé que par un spécialiste des mécaniques d’avant-guerre. Si la majeure partie des éléments n’a rien de très compliqué pour un très bon mécanicien, entretenir une boîte Wilson ne sera pas à la portée de tout le monde. Mieux vaut choisir un spécialiste pour toute opération.

Pour ce qui est du prix d’achat, on trouvera des Talbot-Lago T150C à différents prix. Les berlines sont ainsi les moins chères mais s’arrachent tout de même à des prix très élevés (418.000 $ pour une auto de 1939 à Scottsdale en 2013).

Mecum 2019 à Monterey Talbot Lago T150C- Talbot-Lago T150C

Une auto de course est également passée aux enchères en 2017 chez Artcurial avec 1.610.480 € sous le marteau. Pour les gouttes d’eau, comptez entre 3 millions (RM Sotheby’s à la Villa Erba en 2017) et 7 millions (RM Sotheby’s à New York en 2013).

Notre Talbot-Lago T150C du jour sera proposée lors de la vente des chefs d’œuvre de l’Automobile Française par Osenat en Février 2024. Toutes les infos sont ici.

Fiche techniqueTalbot-Lago T150C
Mécanique
Architecture6 cylindres en ligne
Cylindrée3996 cm³
AlimentationTrois carbus Zenith-Stromberg
Soupapes12
Puissance Max± 160 ch à 4100 trs/min
Couple MaxNC
Boîte de VitessePréselective Wilson
TransmissionPropulsion
Châssis
Poisition MoteurLongitudinale avant
FreinageTambours à cables
VoiesAV 1320 mm / AR 1320 mm
Empattement2950 mm
Dimensions L x l4300 x 1500
Poids (relevé)± 1600 kg
Performances
Vmax± 170 km/h
0 à 100 km/hNC
400m d.aNC
1000m d.aNC
Poids/Puissance± 10kg/ch
Conso MixteNC
Conso SportiveNC
Prix± 800.000 €

Benjamin

http://newsdanciennes.com

Passionné d'automobile ancienne, il a créé News d'Anciennes en 2013 à force de se balader sur les salons sans savoir quoi faire de ses photos. Conducteur occasionnel de Simca 1100 il adore conduire les voitures des autres, dès qu'elles sont un peu plus rapides !

Commentaires

  1. Didier MONNET

    Magnifique ! A retenir pour le calendrier 2023 !

    Répondre · · 25 janvier 2022 à 10 h 07 min

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