Alfa Romeo Dauphine : le succès n’est pas de famille

Publié le par Benjamin

Alfa Romeo Dauphine : le succès n’est pas de famille

Au cœur de notre semaine dédiée à la marque Alfa Romeo, on s’intéresse à une voiture qui étonne au moins que l’Arna. Comme cette compacte venue du Japon, l’Alfa Romeo Dauphine est née d’un accord original pour booster la production du constructeur milanais… sans vraiment faire attention au marché. Très logiquement, sa carrière fut compliquée et a parfaitement symbolisé l’accord conclu entre les deux constructeurs. On vous replonge dans cette histoire.

Renault et l’export, Alfa et la production

À la fin de la seconde guerre mondiale, Renault est nationalisé mais parvient surtout à s’écarter du plan Pons qui devait cantonner la marque aux utilitaires en produisant la 4CV. Très vite, elle devient la voiture la plus vendue en France dans un marché qui se stabilise vite et dans lequel, pour le moment, les quatre autres constructeurs ont chacun leur segment de prédilection.

Pour viser un volume plus gros, il faut donc attendre que les français puissent accéder à l’automobile ou aller chercher d’autres marchés. Renault s’attaque ainsi aux Etats-Unis, avec la 4CV puis avec la Dauphine mais les marchés européens présentent aussi un certain intérêt. Seulement, les barrières douanières sont fortes et les modèles surtaxés sont peu concurrentiels.

En Italie, le losange va d’abord tenter de s’allier avec Ferdinando Innocenti. Il ne s’est pas encore mis à l’automobile (il ne produit alors que les Lambretta) et on envisage une alliance façon « Simca inversé » que Fiat va vite stopper par crainte de voir son empire industriel écorné.

À Milan, Alfa Romeo a changé son fusil d’épaule. Après les voitures haut de gamme de l’avant guerre, on repart avec une philosophie légèrement différente après le conflit. La société est également nationalisée, depuis 1933 et lance des modèles moins haut de gamme, mais toujours placés plus hauts que la plupart des Fiat, avec un tempérament résolument sportif : les 1900 puis les 2000. Surtout, au milieu des années 50, on lance la Giulietta.

Si les rythmes de production sont bien plus élevés qu’avant le conflit mondial, on est très loin du géant Fiat. Et si on ne veut pas forcément lui faire une concurrence directe, il faut faire tourner les usines qui ne sont pas à leur maximum.

Le marché commun tombe à pic

On a récemment fêté son anniversaire. Le 25 Mars 1957, l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas signent le traité de Rome. En découle la création de la Communauté Économique Européenne qui supprime à la fois les droits de douane et les quantités limitatives à l’entrée et à la sortie des marchandises au sein de la communauté.

Avec cette aubaine, les constructeurs automobile se voient offrir des débouchés très intéressants à l’étranger. Les droits de douane qui étranglaient les constructeurs tombent. Mais un certain chauvinisme (qui n’est pas exclusivement français) persiste, notamment pour ce qui est des productions industrielles.

Paris et Rome, indirectement à la tête de Renault et d’Alfa Romeo vont alors pousser à une alliance entre les deux constructeurs. Les tractations restent secrètes (pour éviter d’énerver les Agnelli ?) et la création de Renault-Italia est actée en Octobre 1958. Forcément, à Turin, Fiat râle, arguant que ce sont 10.000 personnes qui sont menacées de chômage. En effet, si l’accord prévoit que Renault distribue des Giulietta dans son réseau français, le losange va surtout retirer sa nouvelle voiture à succès des concessions pour laisser place à l’Alfa Romeo Dauphine.

La carrière de l’Alfa Romeo Dauphine

Des modifications obligatoires

Même si l’accord est signé en Octobre 1958, il va falloir attendre un peu avant de voir des Alfa Romeo Dauphine remonter les allées de Cipres de Toscane. La production va être lancée à Portello, à côté de Milan et aux côté des 1900 et Giulietta mais il faut adapter à minima la voiture française qui sera en fait assemblée à partir de kits CKD. Si le marché commun abaisse les barrières douanières, les normes varient entre la France et l’Italie. Les voitures importées peuvent bénéficier de dérogations que ne peuvent recevoir les productions locales !

Catalogue Alfa Romeo Dauphine- Alfa Romeo Dauphine

Premièrement au niveau de l’électricité : on ne peut pas homologuer l’Alfa Romeo Dauphine avec un système en 6V. Magnetti-Marelli fournira un système 12V avec dynamo, régulateur, démarreur, allumeur. On doit aussi changer les feux, notamment à l’avant avec un diamètre que Renault aura du mal à fournir ce qui obligera Alfa à se tourner vers Carello. Même chose pour les répéteurs de clignotants ou les feux arrières. Mais on note aussi le bocal de lave-glace ou l’emplacement de la boîte à fusible.

Évidemment, on appose aussi des monogramme Alfa Romeo sur les ailes et le coffre tandis que le blason sur le capot avant reprend le nom du constructeur.

Une fois ces modifications, plutôt mineures il est vrai, apportées à l’Alfa Romeo Dauphine, on est prêts. Pierre Dreyfus, président de la régie se déplace à Milan pour inaugurer la ligne de production.

D’ici à la fin de l’année, on produit 6452 Alfa Romeo Dauphine. Un beau score de lancement notamment du à un prix agressif : 890.000 lires. C’est moins que les Renault vendues jusqu’à présent puisqu’elles s’affichaient à 950.000 lires. Par contre, ces dernières auraient dû être retirées du réseau Renault… mais il n’en est rien !

Néanmoins, cet accueil est finalement mitigé. On reproche vite aux Alfa Romeo Dauphine une mécanique loin de celle des autres voitures de la marque. En même temps avec un Billancourt de 845cm³, difficile de lutter avec une Giulietta dont le Bialbero permet au 1300 de sortir le double de puissance ! Et puis la Giulietta propose une boîte 4 vitesses (5 sur les Sprint).

Des évolutions forcées

Dès mai 1960, l’Alfa Romeo Dauphine évolue. Elle reçoit en effet le moteur de 28ch DIN et la boîte 4 vitesse que reçoivent les Dauphine Gordini en France. Est-ce ce changement qui marque une belle évolution ? Le fait est que la petite italienne se vend à 20.047 exemplaires cette année là. Un superbe chiffre pour la production Alfa Romeo mais finalement bien en deçà de ce qu’avait prévu l’alliance entre les deux constructeurs.

En tout cas, ce n’est pas l’Ondine qui va vraiment aider à ces chiffres. Lancée en fin d’année 1960, elle propose, comme en France, des équipements et une finition en hausse. Par contre Alfa Romeo n’est pas exhaussé dans sa demande de hausse de puissance. Il faudrait avoir recours à un moteur préparé, beaucoup plus coûteux alors qu’on a abaissé le prix de vente de l’Alfa Romeo Dauphine de base à 795.000 lires pour réussir à contenir celui de l’Ondine à 845.000.

Fiat siffle la fin de la partie

En 1961, les ventes voient un léger recul : 19.297 exemplaires sont vendus. Les ventes de l’Alfa Romeo Dauphine dégringolent en 1962 en atteignant péniblement 11.786 exemplaires. Surtout, l’accord entre les constructeurs commence à se lézarder. Si un nouveau projet est lancé dans le sud, Alfa en a ras le bol que sa Giulietta ne soit pas distribuée en France et monte son propre réseau de distribution qui sera actif à partir de 1963.

Surtout, Fiat, qui représente un empire industriel qui va au-delà de la simple production automobile, a réussi un joli lobbying qui impose une nouvelle taxe sur les automobiles, non pas en fonction de leur cylindrée mais en fonction de leur longueur. L’Alfa Romeo Dauphine étant plus grande que ses concurrentes turinoises, elle s’en trouve pénalisée. D’ailleurs, l’Ondine le symbolise puisqu’elle est arrêtée en Septembre 1962 et que les derniers des 2000 exemplaires produits seront même réimportés pour être vendus en France !

L’année 1963 est mauvaise : on ne vend que 6347 voitures. On tente un ultime rebond en installant des freins à disque sur l’Alfa Romeo Dauphine à partir du millésime 1964 mais ça ne prend pas. 6447 voitures sont vendues et on tombe à 3120 voitures en 1965. En fait, les autos de 1965 et les 345 voitures vendues en 1966 ne sont que des stocks qu’on finit d’écouler. Il faut dire qu’en France, la Dauphine a été remplacée et que seule la version Gordini reste au catalogue. La production s’arrête avec l’accord entre les deux marques et sur un goût d’échec prononcé.

Les autres pans de l’accord

Si l’Alfa Romeo Dauphine n’a pas vraiment marché en Italie, c’est surtout à cause de l’inadéquation entre le modèle et le marché local. Néanmoins, le fait que Renault n’ait jamais cessé de proposer la Dauphine dans son réseau (qui perdurait pour vendre les autres voitures de la marque) a pu brouiller les pistes plus qu’atteindre réellement les chiffres de vente puisque les Renault Dauphine restaient plus chères que les Alfa Romeo Dauphine. Néanmoins, des Dauphine Gordini et Dauphine 1093 made in Portello auraient pu améliorer le tableau.

Du côté français, les Alfa Romeo sont restées absentes des concessions Renault. Pas tout à fait en fait. Si la Giulietta n’y est jamais apparue, alors même que Renault ne proposait pas vraiment de concurrente avant la R8 (la Frégate ayant toujours été hors-jeu), quelques Alfa Romeo 2600 ont été effectivement distribuées par le réseau Renault. La preuve en image, venant de notre essai d’une 2600 Berlina, à lire par ici.

Mais l’accord entre les deux parties, déjà mal en point, s’est pourtant renforcé en 1961 ! À cette date on décide de lancer en production une auto complémentaire à l’Alfa Romeo Dauphine : la R4. Elle devra être produite dans l’usine napolitaine de Pomigliano d’Arco. Fidèle à sa réputation, l’usine va se montrer incapable de produire des R4 de bonne qualité. Les défauts sont très nombreux, certains sont même carrément dangereux.

La voiture, elle aussi pénalisée par les nouvelles taxes et même si un réseau spécifique a été créé par Renault pour cette nouvelle auto, elle aussi s’arrête en 1964. On en a quand même produit 41.809 qu’on va mettre, là aussi, deux ans à écouler !

Conclusion

Finalement, cette histoire pleine de mauvaise foi peut rappeler une autre histoire parallèle à celle de l’Alfa Romeo Dauphine, celle de la production japonaise des 4CV. Sauf qu’en Italie, Renault n’a pas joué franc jeu alors qu’au Japon… il s’est carrément fait avoir.

En tout cas, l’Alfa Romeo Dauphine n’a pas laissé une trace indélébile dans les histoires automobiles des deux pays. Pourtant, d’un côté des Alpes comme de l’autre, elle représente un vrai (et rare) collector qui permet d’avoir une Renault ou une Alfa Romeo originale ! Il est rare d’en croiser une alors si ça vous arrive, immortalisez la scène !

Photos complémentaires : Renault4.co.uk, Osenat, Ruotedassogno

Benjamin

http://newsdanciennes.com

Passionné d'automobile ancienne, il a créé News d'Anciennes en 2013 à force de se balader sur les salons sans savoir quoi faire de ses photos. Conducteur occasionnel de Simca 1100 il adore conduire les voitures des autres, dès qu'elles sont un peu plus rapides !

Commentaires

  1. MAYAN OLIVIER

    Mon père a eu une dauphine; Mon souvenir être toujours obligé de s’arrêter entre versaille et meudon pour faire le plein d’eau. Elle passait son temps a fumer…Bref une vraie carserole .
    Par contre je ne connaissanit pas l’histoir italienne pa plus que celle de la 4CV japonaise. 4 Cv dont la position normal était d’avoir le toit sur la route…..Ceal a du me marquer car je n’ai jamais pu acheter une renault !

    Répondre · · 6 avril 2024 à 9 h 58 min

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