La Hino 4CV, une opportunité manquée… et une histoire répétée !

Publié le par Benjamin

La Hino 4CV, une opportunité manquée… et une histoire répétée !

Quand le tout-puissant Renault cherche à exporter, ça donne des succès… mais aussi des histoires plus sombres. L’histoire de la « Renault » Hino 4CV japonaise est en effet remplie d’accords peu équilibrés, de directions politiques protectionnistes et de propriété intellectuelle bafouée. Un avant-goût (avec 70 ans d’avance) de ce que vivent actuellement les constructeurs « occidentaux » qui ont cherché à s’implanter dans une autre contrée asiatique prometteuse : la Chine cette fois.

Négociations longues et plan précis

Renault a eu le nez creux avec sa 4CV. Cette voiture étudiée en secret est prête à la fin de la guerre et elle convient parfaitement à la clientèle française qui en fait rapidement une reine des ventes. Un succès qui va s’inscrire sur le long terme avec 14 ans de production et 7 passés sur la première marche du podium des ventes de voitures neuves en France.

Forcément, un tel succès donne des idées, tant aux pouvoirs publics qui veulent rentrer des devises étrangères (fortes si possibles) qu’à Renault. On essaye donc d’attaquer des marchés étrangers. Si le succès n’est pas vraiment au rendez-vous aux USA, on lorgne aussi du côté d’autres marchés.

Au Japon, on a aussi besoin d’une petite voiture qui pourrait motoriser la population. Pour cela le MITI, ministère du commerce et de l’industrie et véritable pouvoir central de l’archipel via les patrons des plus grands groupes industriel locaux, lance une marche forcée vers une industrialisation tournée vers les véhicules légers. Renault aurait bien du mal à importer directement sur place ses 4CV puisque les taxes douanières seraient vite dissuasives sur une auto si abordable, de base.

C’est là qu’intervient Hino. La firme produit des poids-lourds diesel et n’a aucune expérience des véhicules légers.

Camion Hino TH10 de 1950 Automobiles Japonaises- Hino 4CV

Une telle diversification passera par une alliance avec un constructeur européen. Austin est sondé mais réorienté vers Nissan et c’est finalement Renault qui entre en pourparlers avec l’industriel. Pourtant, au sein même des dirigeants du losange, tout le monde n’est pas emballé par cette idée. On craint notamment la technique du surmoulage et de livrer les plans techniques. Un vrai risque qui pourrait permettre à Hino de produire une 4CV maison sans que Renault n’ait son mot à dire.

Du côté Japonais, on cherche également à profiter de la petite populaire pour rentrer des devises. Par conséquent, on demande que le marché asiatique soit réservé à la Hino plutôt qu’à la Renault.

Les discussions vont durer mais un contrat est finalement signé entre les deux parties le 26 Février 1953. Il est ambitieux car il affiche d’emblée le nombre de voitures qui seront fabriquées chaque année… et pour cause, ce nombre va être déterminant dans la volonté du constructeur japonais et surtout du MITI de produire avec la Hino 4CV, une voiture vraiment japonaise.

Hino 4CV 3 Automobiles Japonaises- Hino 4CV

Les 100 premières voitures seront assemblées en France, démontées et remontées au Japon. Ensuite on passera à un CKD : un assemblage local réalisé avec des pièces envoyées comme un kit. Suit une vraie montée en puissance. Après 2000 Hino 4CV, ce qui représente la première année de production, le constructeur pourra incorporer 25% de pièces directement fabriquées sur l’archipel. Après 2400 voitures de plus (la 2e année) on grimpe à 50% et après la 8000e (troisième année) puis 75% en attendant la 12.000e Hino 4CV. Le constructeur français verra, dans l’intervalle, ses royalties monter et atteindre 5% du prix de vente des voitures la 4e année.

Pour le reste du contrat, Renault a gagné la bataille de l’export et la Hino 4CV ne sortira pas de l’archipel. Les voitures seront vendues par des concessionnaires validés par Renault. Le losange validera également toute modification technique à sa 4CV, y compris les pièces japonaises qui seront montées les années suivantes.

Des modifications techniques, il y en quelques unes obligatoires. Déjà, c’est logique, pour passer la « motte de beurre » en conduite à droite. Et puis on modifie également les « moustaches » en les encadrant d’une autre baguette justifiant encore plus leur surnom. On ajoute également des répéteurs de clignotants sur les montants de custode… et la Hino 4CV est prête.

La Hino 4CV surfe sur son succès

Hino a créé une usine dès 1952, un atelier à vrai dire qui manque de machines lourdes mais ces machines outils vont arriver progressivement et c’est Renault qui les vend au constructeur nippon, réalisant au passage un petit bénéfice. Les premières autos sortent de l’atelier après une centaine d’heure de ré-assemblage et avec une qualité qui est d’emblée excellente, un mois seulement après la signature du contrat.

Le succès est là pour la Hino 4CV. Certes, les chiffres de production sont loin de ceux qu’on peut voir en France mais on en espérait pas tant ! La petite voiture se taille une belle part de marché, notamment auprès des taxis qui délaissent les Coccinelles, pourtant moins chères, mais équipées de seulement deux portes. Les délais montent vite devant ce succès et, comme c’est souvent le cas dans ces cas de figure, les Hino 4CV d’occasion se vendent plus cher que les neuves !

Hino augmente donc ses cadences de production, ce qui permet notamment d’incorporer des pièces locales plus rapidement dans la voiture. On commence d’ailleurs par un renfort des trains roulants puisque les chaussées japonaises entraînent des casses sur les éléments conçus pour les routes et chemins français. La cadence ne cesse de croître et dès le début de l’année 1955 on en arrive à la 6000e Hino 4CV produite.

Renault renâcle à fournir les plans de ces pièces pour que les industriels japonais prennent le pas sur la fourniture de pièces françaises. Pourtant, Pierre Lefaucheux est venu au Japon à l’automne 1954 en proposant un partenariat plus large qui toucherait aussi les autres activités de la régie, des camions et tracteurs aux machines-outils mais sa mort fait que l’idée ne se concrétise pas.

Hino vole de ses propres ailes

1955 est un vrai tournant pour la Hino 4CV. De nouvelles mesures protectionnistes mises en place par le MITI pourraient pénaliser la petite auto mais le constructeur gère bien son affaire et si les stocks ont grossi, ils reviennent à la normale assez rapidement. Il faut dire que la cadence de production a encore augmenté. Cette même année, Hino demande à Renault d’intégrer son propre logo sur le losange de la Hino 4CV, ce que Renault accepte.

Logo des Hino 4CV après 1956

La suite se passe beaucoup moins bien. Renault subit un premier revers quand le MITI refuse l’importation de nouveaux outillages vendus de France et choisit à la place du matériel américain. Le point d’orgue de ce conflit latent est atteint en Juin 1956. On demande de nouvelles modifications sur les Hino 4CV mais Renault refuse catégoriquement. Pourtant, ces modifications sont tout de même appliquées !

En Avril 1957, les Hino 4CV sont produites à 100% avec des pièces locales. Heureusement Renault touche toujours ses royalties… mais cela ne dure qu’un temps. Le MITI refuse le paiement de ces royalties en 1958. La régie avait senti le coup venir… depuis longtemps. Un accord est finalement trouvé pour dédommager le constructeur à hauteur de 300.000 dollars sur deux ans mais Renault est chassé du Japon.

10000e Hino 4CV- Hino 4CV

Pourtant, l’aventure de la Hino 4CV est loin d’être terminée et sa production continue bel et bien. Renault stoppe sa 4CV en France en 1961 mais il faudra attendre 1963 pour que la Hino 4CV ne tire sa révérence. À ce moment là on s’arrête sur le chiffre de 34.853 exemplaires. C’est peu comparé aux 4CV françaises qui atteignaient ce chiffre en une seule année, mais c’est un chiffre qui a du mal à passer à Boulogne-Billancourt… surtout que Hino ne s’est pas arrêté là !

La Hino 4CV a eu une descendance !

On peut se demander pourquoi l’offensive Renault au Japon ne s’est faite qu’avec la Hino 4CV. Évidemment, on aurait aimé amener l’Estafette mais la morte de Pierre Lefaucheux a interrompu l’idée… et sa mort à bord d’une Frégate qui ne marchait de toute façon pas assez bien en France empêchait de réellement envisager de commercialiser ce modèle « haut de gamme » sur l’archipel nippon.

Cependant, c’est la Dauphine qui aurait pu enfoncer le clou. Mais au moment de sa sortie en 1955, les relations entre Renault et Hino sont déjà suffisamment tendues pour que la régie ne décide de garder pour elle sa voiture à succès. Pourtant au Japon on veut une descendante à la Hino 4CV dont la conception commence à dater et dont le gabarit reste quand même limité. Hino a un ingénieur en France qui suit la Dauphine, il en reprend les meilleures idées… et Hino va construire « sa » Dauphine.

On garde certains éléments techniques, notamment le moteur Billancourt maison dont la cylindrée a été amenée à 893cm³ et qui sort 35ch. Il reste placé à l’arrière et donne son nom à la nouvelle voiture : la Hino Contessa. Sa conception est longue et si l’étude débute en 1957, elle n’apparaît sur le marché qu’en 1961.

L’année suivante on dévoile, au salon de Turin, un coupé dont les lignes sont dues à Giovanni Michelloti. Prévu pour être produit à 1000 exemplaires, le projet reste dans les cartons.

Elle sera produite jusqu’en 1967 et atteindra 47.000 exemplaires.

En 1961 Michelotti dessine les lignes d’une voiture plus grande : la Contessa 1300. Encore une fois, les études prendront du temps et elle ne sera sur la route qu’en 1964. Cette fois on oublie le moteur Renault et on utilise un 4 cylindres de 1251cm³ qui sort 55ch. Renault n’a plus rien à voir dans l’histoire, même si les lignes peuvent faire penser à une Renault 8, l’italien s’est plus certainement inspiré de la Corvair américaine.

Celle-ci aura droit à sa version coupé à partir de 1965 avec un moteur boosté à 65ch. Ces versions seront également construites en Israël ou en Australie et on atteindra 55.027 exemplaires en seulement deux ans.

Pour autant, l’histoire de l’automobile chez Hino, commencée avec la Hino 4CV en 1953, s’arrête dès 1967. C’est Toyota qui absorbe le constructeur et qui le recentre sur son savoir-faire original : les camions.

En tout cas, l’histoire de la Hino 4CV puis du développement des modèles propres au constructeur, tout en tirant partie des savoir-faire et des lignes italiennes est une histoire d’avant-garde. C’est peu ou prou ce que les constructeurs occidentaux ont rencontré en Chine lors des deux dernières décennies, attirés par un marché porteur et finalement remplacés par des productions locales une fois l’industrie domestique mise en place !

L’histoire est un perpétuel recommencement.

Thucydide (460-397 av. J.C)

Les Hino 4CV de nos jours

Évidemment, ces autos sont rares en collection. Celle qui illustre en partie cet article fait partie de the Original Renault – La Collection (ex-Renault Classic) mais notre équipe n’a jamais eu l’occasion d’en voir une autre en Europe. Assez logique pour une auto qui n’a pas été exportée.

Les Contessa sont à peine plus courantes mais elles ont, elles, été exportées, en Autriche, aux Pays-Bas ou encore en Suisse. Si vous en voyez, sortez l’appareil photo, ce sera peut-être la dernière fois !

Sources et images complémentaires : l’Automobile Ancienne et Automobiles Japonaises

Benjamin

http://newsdanciennes.com

Passionné d'automobile ancienne, il a créé News d'Anciennes en 2013 à force de se balader sur les salons sans savoir quoi faire de ses photos. Conducteur occasionnel de Simca 1100 il adore conduire les voitures des autres, dès qu'elles sont un peu plus rapides !

Commentaires

  1. philippe

    Dommage de ne pas avoir cité Aimé Jardon – décédé en 2017 – personnage important de l’histoire de Renault qui d’ailleurs sera n°2 de Renault et même n°1 pendant l’intérim qui suivra l’assassinat de Georges Besse. Il passa 5 ans au Japon à industrialiser la 4CV. Passionné de culture japonaise, il prendra des km de film sur le Japon désastré, Tokyo brulé, après la fin de la guerre. C’était mon voisin. En 1999 lors du rachat de Nissan et connaissant la mentalité japonaise il a émis de sérieux doutes sur l’issue d’une éventuelle alliance. Il n’a pas à l’époque été écouté… Toyota a racheté Hino et tout le savoir faire industriel de Renault. Déjà les machines transferts dûes à Pierre Bézier – celui des courbes éponymes – qui évolueront vers la robotique, ensuite les méthodes, qui déboucheront sur le fameux Toyota-Production-System.

    Répondre · · 3 novembre 2023 à 11 h 11 min

    1. Benjamin

      Malheureusement ce nom est certainement trop méconnu : il n’est apparu dans aucune source (même en Anglais) et j’avoue ne pas avoir consulté de sites japonais.

      Répondre · · 3 novembre 2023 à 11 h 13 min

  2. philippe

    Le 1300 est culbuté, pas d’ACT. Par contre il faut noter qu’il a existé quelques exemplaires de coupé Michelotti sur chassis Alpine, doté du moteur Hino surmonté d’un culasse double-arbre, carrosserie fibre de verre reprenant le design du coupé classique.

    Répondre · · 3 novembre 2023 à 11 h 17 min

    1. Benjamin

      Je me suis (bêtement) emmêlé les crayons entre OHC et OHV !

      Répondre · · 3 novembre 2023 à 17 h 02 min

  3. Guy

    Merci pour ce reportage, je ne connaissais absolument pas ce modèle et cette histoire

    Répondre · · 4 novembre 2023 à 15 h 59 min

  4. nounours8529

    c’est vrai que la 4cv etait une excellente voiture mes parents en possedaient une et elle fonctionnait tres bien avec un tres bon moteur

    Répondre · · 4 novembre 2023 à 17 h 02 min

  5. Jean Wilhelm

    Dans mes souvenirs d’enfance j’ai vu plus souvent la 4cv sur son toit que sur ses roues

    Répondre · · 5 novembre 2023 à 19 h 11 min

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