[Dossier] Carburants Alternatifs pt1 : l’E85 pour les voitures anciennes

Publié le par Benjamin

[Dossier] Carburants Alternatifs pt1 : l’E85 pour les voitures anciennes

Le futur des voitures anciennes paraît presque aussi sombre que celui de l’automobile. Entre la flambée du prix des carburants, les réglementations « écologiques » et les restrictions que cela entraîne, une mue semble inévitable. Pourtant il existe des solutions, et on ne parle pas du rétrofit ! Non, on aborde ici la question du « simple » changement de carburant. Pourquoi ces guillemets autour du mot simple ? Parce que ça l’est moins qu’il n’y paraît !

La problématique

Derrière ces carburants alternatifs, on peut trouver de nombreux arguments. On vous les détaillera plus bas, mais ils vont certainement devenir importants. Dans ce dossier, nous allons aborder deux points importants. Le premier, au cœur de l’actu ces dernières semaines, c’est celui de l’approvisionnement et du prix des carburants. Le second, c’est l’aspect environnemental avec en point de mire la réduction des émissions de CO2.

Le premier point est, comme le cours du pétrole en fait, plutôt volatil. On peut trouver du carburant facilement quand les dépôts ne sont pas bloqués mais pour ce qui est du prix… dites vous que la SP à 1€, c’est quelque chose qu’on risque de ne plus revoir de sitôt. Les ressources se tarissent, les producteurs sont sommés de produire un carburant jugé polluant de façon plus propre, la facture ne peut que s’alourdir.

Le deuxième point est préoccupant puisqu’il pourrait tout simplement bloquer les voitures anciennes au garage. Même si les ZFE pourraient/devraient laisser nos anciennes rouler tranquillement (sous condition évidemment), il faut avoir une longueur d’avance et penser à la suite. N’oubliez pas que les ZFE devraient être de plus en plus nombreuses et toucher des agglomérations de plus en plus petites jusqu’à mailler tout le territoire.

Maintenant, attaquons-nous aux solutions qu’on peut trouver. Et, en dehors du Rétrofit dont on pourra discuter éternellement de l’intérêt écologique, ce qu’on met dans le réservoir de nos anciennes pourrait donc être une clé… si ce n’est LA clé.

Préambule

Avant toute chose, la meilleure façon de réduire les émissions de CO2 de nos anciennes c’est de bien régler le moteur. L’avantage n’est pas qu’environnemental puisque vous pourriez ainsi redécouvrir votre moteur. S’il n’a jamais été au top et que vous lui avez toujours reproché des performances décevantes, c’est une bonne idée que de regarder dans cette direction.

Votre mécano pourra, la plupart du temps, se charger de le faire pour vous. Mais pour le diagnostic, c’est parfois compliqué. C’est pour cela que la FFVE et le réseau Bosch Classic Service ont lancé une opération spéciale « Bien régler son véhicule d’époque ». L’opération a eu un franc succès sur les salons où elle s’est déroulé, d’Epoqu’Auto l’an dernier (et dans quelques jours) à Historic Auto.

Ce n’est qu’une étape, mais avant même de penser à passer aux carburants alternatifs, il faut commencer par ça !

L’histoire des carburants, en bref

Rouler en ancienne et lui choisir son carburant revient à se replonger dans l’histoire des carburants dévolus à l’automobile. Si on revient très longtemps en arrière, avec le Fardier de Cugnot, souvent désigné comme la première automobile, son carburant, c’est le bois qui est brulé !

Par la suite ce sont les moteurs électriques qui seront développés mais on avance aussi sur les moteurs à explosion : le principe du 4 temps est inventé par Beau de Rochas avant-même qu’il n’ait à disposition un carburant permettant de faire fonctionner un moteur tel qu’il le décrit !

Nicholas Otto, fondateur de la Deutz AG, fait la même découverte quelques années plus tard, mais fait fonctionner ses moteurs avec du Gaz. Pour ce qui est de l’automobile, le raffinage du pétrole n’est pas encore suffisamment avancé au moment où les premières voitures roulent sur les chemins. On utilise de l’alcool dans un premier temps avant que l’essence ne finisse par s’imposer… dans un vrai match contre l’électricité dont l’utilisation est définitivement mise en sommeil dans les années 30.

Mercedes Benz Museum 2-

Les carburants vont peu à peu s’améliorer, permettant également de proposer des moteurs plus puissants et plus fiables. Les additifs rentrent dans la danse et ne quitteront plus les compositions des dérivés pétroliers qu’on mettra dans les divers réservoirs. Le diesel, longtemps utilisé pour des moteurs fixes, se retrouve peu à peu sur des machines roulantes, nécessitant beaucoup de couple.

La dernière révolution à avoir impacté nos anciennes c’est l’abandon du Super en 2000. Celui-ci abandonne le plomb, pour des raisons environnementales. Mais le plomb avait quand même des avantages avec une lubrification des soupapes ainsi que l’amélioration de l’indice d’octane.
Par la suite, c’est l’apparition des carburants éthanolés, SP95-E10 et SP98-E5 et l’E85. Un retour, progressif, aux moteurs à alcool, réalisé pour des raisons plus économiques qu’environnementales.

Voici en gros la situation en 2022. Nous avons du SP98 et du SP95 disponibles à la pompe pour nos anciennes, voire du Diesel dans certains cas. Mais nous sommes également à un tournant avec le tarissement des réserves pétrolières qui apparaît à l’horizon et des pressions de plus en plus fortes de la part des pouvoirs publics pour pousser vers la disparition des moteurs à combustion… sans prendre en compte l’aspect patrimonial de nos anciennes et de leur besoin en carburant.

L’E85 : premier arrivé et fausse bonne idée ?

En 2007, l’E85 débarque dans les stations-services françaises. Déjà utilisé au Brésil, aux Etats-Unis ou en Suède (les propriétaires de Saab sont au courant), ce carburant aussi appelé Superéthanol ou Agrocarburant est obtenu à partir de la fermentation puis de la distillation de végétaux. L’effet est immédiat : on s’intéresse à ce nouveau carburant car il est très peu cher : environ 0,85€ le litre, notamment via l’utilisation d’une TICPE réduite. De plus, des arguments écologiques sont avancés puisque le CO2 rejeté forme un cycle en étant préalablement absorbé par les plantes servant à la production.

Très vite on développe des kits permettant de transformer des véhicules récents, utilisant du SP95 ou SP98, en les alimentant en E85. Néanmoins, il va longtemps y avoir un flou juridique sur la conformité de ces moteurs. Si l’énergie n’est pas réellement modifiée, l’E85 s’apparentant à de l’essence, ces véhicules n’utilisent pas non plus leur énergie « initiale ». Ce sera résolu en 2021 avec un décret autorisant explicitement l’utilisation de kit sur tous les véhicules dotés d’un pot catalytique : tous les véhicules répondant en fait à la norme Euro 3 apparue en 2001.

Ce carburant alternatif nécessite un kit pour la simple et bonne raison que ses propriétés sont différentes. Ainsi les proportions stœchiométriques du mélange air-carburant changent : il faut 14,7g d’air pour 1g d’essence dans un moteur essence alors que l’E85 nécessite 9,8g d’air. Le E85 est théoriquement moins sensible au cliquetis que l’essence, mais la qualité de l’E85 livré en station fait que son indice d’octane se rapproche de celui du SP95, et les boitiers homologués modifient la quantité injectée en fonction du taux d’éthanol.

Passer une voiture ancienne à l’E85

Sur des véhicules pouvant recevoir un kit, on trouve donc des parades. Mais lorsque le moteur est trop ancien, ou qu’il utilise un carburateur, il faut trouver des solutions.

Un exemple personnel : en 2008 des équipages de l’association troyenne Un Amour de 4L ont pris part au 4L Trophy avec de l’E85. Néanmoins le moteur ne pouvait pas fonctionner « de base » avec ce carburant. Il restait deux solutions : modifier les gicleurs pour compenser la pauvreté du mélange créé avec l’E85… où compenser en réduisant l’air absorbé par le moteur. C’est cette solution qui avait été choisie en tirant (pas complètement) le starter.

Plus près de nous, lors du dernier Tour Auto, une Austin-Healey était engagée en régularité par Atelier 46 et n’a fonctionné qu’avec de l’E85. Si l’auto n’a connu aucun problème et a pu boucler les 2500 km de l’épreuve, ce spécialiste de la restauration des anciennes va procéder à des vérifications. Une phase de démontage du moteur va ainsi être effectuée afin de vérifier que l’E85 n’a pas entraîné de problème interne qui serait indécelable au fonctionnement. Ensuite un passage sur un banc de puissance vérifiera également qu’il n’y a pas eu de baisse significative du niveau de performance de l’anglaise.

Note : source newsletter Atelier 46

Les principaux freins au passage d’une ancienne à l’E85

Pour cette partie, nous avons contacté Olivier Garnier, spécialiste des injecteurs essence chez ASNU France.

« Il ne faut pas jouer aux apprentis sorciers. Pour le moment, nous avons peu de retours sur les véhicules des années 80, mais des problèmes évidents découleront de l’utilisation de l’E85. Il faudra d’abord gérer le fait qu’il faut plus d’E85 (30% de plus) que de SP98 dans le mélange. Concernant les injecteurs, ils tolèreront globalement l’adoption de l’E85. Il faudra souvent reprogrammer la gestion de l’injection. Les injecteurs d’une DS 23 IE supportent, par exemple, très bien l’E85. En revanche, pour une injection mécanique, c’est infaisable, on ne trouve pas d’injecteurs plus gros pour compenser la différence entre l’E85 et le SP98. »

« De plus, ce sont tous les organes autour qui peuvent souffrir. L’éthanol, dont la proportion est d’environ 85% dans l’E85 est corrosif et agressif, en particulier pour les métaux non-ferreux. Le laiton par exemple, utilisé dans de nombreux carburateurs, sera impacté par le changement de carburant. À la longue, même l’utilisation de SP95-E10 aura des conséquences sur ces métaux. »

Sur les autos équipées d’un carburateur, dans la même veine que la modification des injecteurs pour faire entrer plus de carburant dans les chambres de combustion, il faudra modifier les gicleurs. L’E85 à la pompe ayant des teneurs variables en Ethanol en fonction de la saison (65 à 85%), les gicleurs (tous) devront être adaptés entre l’hiver et l’été.

De plus, le démarrage à froid est problématique avec le E85. En effet, le E85 nécessite plus d’énergie thermique pour passer de l’état liquide à l’état gazeux (se vaporiser), ce qui, cumulé à une quantité de carburant accrue de 30%, pause des problèmes lors de démarrages hivernaux (ou lorsque l’on noie le moteur). Pour exemple, les véhicules E100 de série au Brésil, qui n’est pas le pays le plus froid du monde, sont dotés d’un réservoir additionnel d’essence SP pour les démarrages à froid.

Pour toutes ces parties périphériques, nous avons aussi demandé à Xavier Thiery de Tido, spécialiste du « tout au mètre » et donc des durites, ce qu’il en était de l’utilisation de l’E85 :

« Il faut absolument changer les durites. Le fait que l’E85 soit très agressif affectera les durites classiques. Il faut donc utiliser des durites fluorées qui résisteront. Sinon, à la longue, les durites vont sécher, se craqueler et générer des fuites qui peuvent être désastreuses. »

Tido 66-

Un dernier point à aborder concerne les réservoirs. Le propre de nos voitures anciennes, c’est qu’elles roulent moins que les voitures modernes. Par conséquent, le plein de carburant est fait moins souvent. Lorsque cela arrive, l’air qui prend la place « vide » dans le réservoir va faire entrer de l’eau, qui se condensera, dans ce réservoir. Et comme l’E85 est un carburant hydrophile, à contrario du SP98, l’eau se mélangera au carburant et pourra causer quelques problèmes au moteur puisque son oxydation lors d’arrêts prolongés entraînera une forte concentration d’eau dans la combustion après la pause hivernale.

Une vraie alternative économique ?

Si l’E85 est cité comme un carburant alternatif, il faut bien avouer que c’est surtout son prix qui est mis en avant ! Mais l’équation est tronquée…

Déjà, il ne faut pas oublier qu’en devant introduire plus de carburant dans la chambre, on augmente la consommation d’environ 30% ! Certes, le carburant est actuellement deux fois moins cher, mais une fois qu’on ajoute le changement des durites, de la pompe à essence, des filtres, des injecteurs ou des gicleurs (un jeu pour l’hiver et un jeu pour l’été), leur réglage par un carburologue ou n’importe quel pro équipé des bons appareils de mesure, on se retrouve avec une facture qui grimpe.

Il faudra donc rouler beaucoup avant de rentabiliser le passage à l’E85 d’une voiture ancienne… mais ce n’est pas la destination première d’une ancienne et cela va à l’encontre des dérogations obtenues pas la FFVE pour l’accessibilité aux centres villes uniquement dans le cas d’un usage collection.

La problématique sociétale

Dès la fin des années 2000, avec l’autorisation du déploiement de l’E85 en France, des projets d’immenses usines sont apparus. La plus grande d’entre elles… a été stoppée une fois le terrain terrassé !

En effet, il est vite apparu une problématique climatique. On ne parle pas du réchauffement climatique mais des aléas climatiques qui influent sur les récoltes. En France, c’est le Colza qui devait fournir une grosse partie de l’E85, d’où l’explosion de la production à la fin des années 2000. Mais une année avec de mauvaises récoltes entraînait une pénurie… qu’il faudrait soit affecter à la production de carburant, soit à la production de denrées alimentaires !

Dans la même veine, en 2012, Olivier de Schutter, rapporteur de l’ONU, préconisait l’abandon de la production d’E85 en Europe et en Amérique du Nord afin de privilégier les productions agricoles alimentaires.

Conclusion :

L’E85 est une solution, mais probablement pas LA solution. Si la modification reste mineure, il faut quand même avoir en tête que des problèmes de fiabilité peuvent apparaître par la suite. Les fabricants d’additifs pourraient s’emparer du sujet et proposer des produits pour palier à ces phénomènes, comme lors du passage au sans-plomb, mais les soucis de démarrage à froid resteront.

Rendez-vous dès Jeudi pour la seconde partie de notre dossier, dédiée cette fois à un carburant alternatif méconnu : les eFuels.

Benjamin

http://newsdanciennes.com

Passionné d'automobile ancienne, il a créé News d'Anciennes en 2013 à force de se balader sur les salons sans savoir quoi faire de ses photos. Conducteur occasionnel de Simca 1100 il adore conduire les voitures des autres, dès qu'elles sont un peu plus rapides !

Commentaires

  1. Gerard ABADJIAN

    Les reserves en pétrole sont encore énormes (plus de 50 ans). Mais surtout, quid du carburant synthétique pour la fabrication duquel PORSCHE a fait construire une usine au CHILI ? Les quantités annoncées ne pourront surement pas satisfaire la demande mondiale mais pour les véhicules de collection? Merci bcp,

    Répondre · · 1 novembre 2022 à 19 h 12 min

    1. Benjamin

      C’est ce qu’on appelle les eFuels et on en parle donc dès Jeudi !

      Répondre · · 2 novembre 2022 à 8 h 59 min

  2. PappyDiablo

    Bonjour. Le GPL n’est-il pas envisageable même si plus cher à l’installation et beaucoup moins cher qu’un rétrofit

    Répondre · · 1 novembre 2022 à 20 h 02 min

    1. Benjamin

      Comme répondu sur un autre commentaire, le GPL entraîne un changement d’énergie, donc d’homologation et de Carte Grise.

      Répondre · · 2 novembre 2022 à 8 h 58 min

  3. Tondeux Vincent

    ,Vous ne parlez pas de l’alternative GPL…

    Répondre · · 1 novembre 2022 à 20 h 58 min

    1. Benjamin

      Non, c’est normal, déjà parce que ce n’est qu’une première partie, mais aussi parce que le GPL entraîne un changement d’énergie, donc de carte grise !

      Répondre · · 2 novembre 2022 à 8 h 58 min

  4. Adrien

    Le colza ne permet pas de produire de l’E85. Il y a une erreur dans le texte. Ce sont les betteraves et les céréales qui par distillation donnent de l’éthanol. Le colza permet, lui, de produire du biodiesel, ce qui n’a rien à voir avec l’E85.

    Répondre · · 2 novembre 2022 à 7 h 16 min

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