L’Humeur d’Hugo : La Delahaye, le juif et les nazis, Histoire d’une Incroyable trouvaille

Publié le par Hugo Baldy

L’Humeur d’Hugo : La Delahaye, le juif et les nazis, Histoire d’une Incroyable trouvaille
Hugo Baldy 1-

Hugo Baldy est depuis des années (toujours en fait) plongé dans la voiture ancienne. Après des années au sein d’une célèbre maison d’édition, il est spécialiste des véhicules de collection chez Aguttes. Il nous livre régulièrement son billet d’humeur, les autres sont ici.

Eurexpo Lyon, Vendredi 10 novembre 2023, le salon Epoqu’Auto ouvre ses portes. Mon habitude ? Commencer par la bourse d’échanges, à la recherche de la pièce rare, ou de l’objet wouahou… Je tripote des carbus, inspecte des compteurs, admire des mascottes.

Soudain, dans une vitrine, un vieux brassard de pilote attire mon attention. Un brassard de pilote en tissus, usé, de couleur rouge et blanc, fané. On peut distinctement y lire Grand Prix de Pau, 1938, conducteur voiture n°… Un œil plus attentif distingue un chiffre, 2, peu lisible, écrit à la fine encre bleue désormais effacée. Je demande le prix. Et repart visiter rapidement le salon, avant de rejoindre mon équipe, sur le stand Aguttes.

La journée est longue, le brassard est sorti de mes pensées, et ce n’est qu’après un diner bien tardif, au moment de me coucher, que je pianote sur mon téléphone, pour glaner quelques informations sur ce fameux Grand Prix de Pau 1938. Les titres des articles qui sortent sont accrocheurs : La défaite qu’Hitler a tenté de défaire annonce une première page, Le jour où la France a battu l’Allemagne nazie écrit une autre.

85 ans en arrière

Il faut dire qu’à cette période, les Alfa Romeo rouges, et les Flèches d’Argent grises, véritables outils de propagande, ne laissent que des miettes à la concurrence, retranscrivant sur les circuits les aspirations dominatrices et funestes de Mussolini et Hitler.

L’Etat Français met un peu de temps à réagir, et finit par lancer un prix d’1 million de Francs pour le constructeur qui parviendra à développer une auto capable de tenir tête aux Alfa Romeo, Mercedes et Auto-Union. Pour financer ce fonds, chaque nouveau détenteur du permis de conduire s’acquitte d’une taxe de 10 Francs, un groupement d’industriels s’arrangeant pour réunir les 600.000 Francs manquants. Le déjà puissant Automobile Club de l’Ouest est chargé de départager les prétendants en organisant une course pour ces nouvelles autos qui doivent être conformes à la réglementation technique et sportive de la formule Grand Prix, que l’on peut simplifier au choix d’un moteur 4,5 l atmosphérique ou 3,5 l suralimenté.

Celle qu’on appelle désormais la Course du Million a lieu à Montlhéry : les pilotes doivent effectuer 16 tours, soit 200km, et dépasser la moyenne record établi par l’As allemand Rudolf Carraciola au volant d’une Mercedes en 1935, à plus de 146,5 km/h, avant le 31 août 1937 !

On ne compte finalement que deux prétendantes (Talbot-Lago s’étant retiré au dernier moment) : une vieillissante Bugatti Type 59, avec Jean-Pierre Wimille au volant, et une toute nouvelle Delahaye, Type 145, équipée d’un inédit moteur V12 4,5 l, avec René Dreyfus. Le 23 août, Wimille échoue. Le 27 août, René Dreyfus bat le record à 146,6 km/h de moyenne. Le 31 août, Bugatti décide de faire rouler la nouvelle monoplace Type 59/50B. Delahaye décide de faire rouler la 145 en même temps, au cas où… Mais la Bugatti casse un piston.

Course au Million-

Trois autres 145 sont construites et commencent à écumer les courses européennes de la saison 1938. Cela commence par les Mille Miglia, et une 4e place derrière trois Alfa Romeo 8C, avec Dreyfus, et se poursuit avec le Grand Prix de Pau.

On y retrouve les nouvelles Alfa Romeo Tipo 308 et les nouvelles Mercedes W154, mais leur prestation sera de piètre qualité, bien que la tête de course soit grandement animée entre la Mercedes de Carraciola, et… la Delahaye de Dreyfus. Celui-ci, qui ne fait aucun arrêt au stand, termine finalement l’épreuve avec 2 minutes d’avance sur la Mercedes de Carraciola, remplacé par Lang pendant un ravitaillement rendu obligatoire par la consommation gargantuesque de la W154, 6 tours sur l’autre Delahaye 145, 3e de l’épreuve avec Gianfranco Comotti au volant, et 15 tours sur le 4e… Un exploit incroyable pour le pilote français, au sommet de son art.

Ironie de l’histoire, le 10 avril 1938, un pilote français, de confession juive, a battu de façon magistrale, un pilote allemand, star incontestée du régime nazi, au volant de la plus belle et efficace voiture de course de la fin des années 1930, financée par le régime alors le plus puissant d’Europe. Une humiliation aussi grande pour Hitler que la victoire de l’athlète noir américain Jesse Owens aux Jeux Olympiques de Berlin en 1936.

Retour en 2023

Eurexpo Lyon, samedi 11 novembre 2023, le salon Epoqu’Auto ouvre ses portes. Je me précipite, fébrile, à la recherche de la fameuse vitrine. Le brassard est toujours là. Je demande à ouvrir la vitrine, et prend précautionneusement le brassard rouge et blanc dans les mains. Savez-vous quel numéro arborait la voiture de René Dreyfus le 10 avril 1938 ? Le numéro 2… Je retourne le brassard. Il est signé au verso de la main de Dreyfus.

J’ai bien évidemment acquis ce morceau d’histoire, à la valeur symbolique inestimable, surtout pour l’amoureux des Delahaye de course que je suis. Dans quelques jours, c’est Rétromobile qui ouvrira ses portes. Si vous ne me trouvez pas sur le stand Aguttes, passez donc dans les allées de la bourse d’échanges… Il est possible que vous me découvriez en train de tripoter des carbus, inspecter des compteurs, admirer des mascottes, ou le nez collé à une vitrine, à la recherche de l’objet wouahou…

Hugo Baldy

https://aguttes.com

Hugo est tombé jeune dans le monde de la voiture ancienne... et il y est resté ! Après de nombreuses années dans le groupe La Vie de l'Auto, il rejoint la maison de vente Aguttes en tant que spécialiste des véhicules de collection. Il livre ses billets d'humeur sur News d'Anciennes depuis la fin 2022.

Commentaires

  1. Jean-Marie Herman

    J’adore ce genre de récit par son côté insolite et improbable. J’aurais peut-être moi-même à vous raconter tout le contexte de mes participations au Rallye de Monte-Carlo Historique avec mon taxi londonien de 1951 qui m’ont permis de rencontrer en 2015 une attachante et extraordinaire personne de réputation internationale dans le monde de la compétition automobile avec qui j’ai pu créer de solides liens d’amitié et ce, jusqu’à son décès en 2022 à l’âge de 95 ans… En 2023, j’ai eu l’énorme chance de voir apparaître la possibilité d’acquérir un objet improbable lié à cette personne et relié à moi par la même occasion comme si un dernier message de sa part m’était envoyé depuis les étoiles… JMH

    Répondre · · 20 janvier 2024 à 13 h 45 min

  2. denis

    bravo ! heureusement que des gens gardent des « objets »

    Répondre · · 20 janvier 2024 à 18 h 51 min

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