Leningrad 1956, le roadster « samodelka » venu du froid !

Publié le par bertrand

Leningrad 1956, le roadster « samodelka » venu du froid !

Ce cabriolet Leningrad 1956, que j’ai eu la chance de le voir lors de « l’Art Automobile » de Montfort est une rencontre qui nous replonge en pleine guerre froide. En ce milieu des années 50, la tension est-ouest est à son comble. Le rideau de fer est tombé sur l’Europe.  Pourtant, un ingénieur va se construire un joli roadster, pièce unique qui se perdra ensuite pendant plus de 60 ans ! Sa reconstruction se fera avec l’aide d’une seule et unique photo prise par un « homme d’affaires » américain en 58, hum, mais ça sent comme une odeur d’espionnite par ici ?

Samodelka Leningrad 1956, késako cette auto ?

Pour les non initiés à la langue de Poutine, le terme samodelka, signifie littéralement fabrication maison. Au-delà de l’expression, c’est une mode qui fit florès derrière le rideau de fer, à savoir construire sa propre voiture. Il est aussi vrai que sous l’air Staline, on ne se marre pas tous les jours et que du coup, il faut bien s’occuper pour s’évader. Puis tant qu’à s’occuper, occupons-nous utile.

Dès les années d’après-guerre, cette « mode » engendra beaucoup de constructions plus au moins réussies. Elle constituait à assembler un véhicule en piochant dans toutes sortes de pièces, souvent d’origine douteuse, avec des provenances diverses, comme des tracteurs, des camions provenant des énormes stocks de guerres.

C’est dans cet état d’esprit que l’ingénieur Arkadij Dmitrievich Babich, une sorte de professeur Tournesol iconoclaste mais terriblement adroit, se lance dans la construction de sa voiture. A posteriori, une première réalisation, datant de 1952, lui sera attribuée. Une auto plutôt réussie pour le coup. Le moteur était un V2 de moto. L’attribution de cette réalisation est à prendre avec des pincettes, vu la fiabilité des informations datant de l’ère soviétique. Dans ce même esprit, il aurait peut-être construit une autre voiture, mais aucun document ne l’atteste.

Mais vraisemblablement les camarades du Parti ne prennent pas ombrage des idées petits bourgeois du camarade Babich. Cela dit, Staline vient de rendre l’âme cette même année, ce qui influe une certaine souplesse au pays du Petit Père des Peuples. En 1953, notre komrad Babich se lance donc dans la réalisation d’une troisième auto. Il ne lui faudra pas moins de 3 ans pour la terminer.

En 1956, le roadster est enfin terminé. Et pour tester, voir prouver, sa robustesse notre ingénieur se lance dans un périple en reliant Simferopol, en Crimée, à Leningrad, soit un voyage de 2125km en seulement 20 heures. Une belle performance quand on connait l’état des routes en Russie à cette époque.

Comble de bonheur pour notre homme, sa balade fera l’objet d’un reportage télévisé. C’est à ce moment qu’arrive notre « touriste » américain. 

L’homme s’appelle John H Schultz et est homme d’affaires, sans que l’on connaisse vraiment la tournure de ces affaires… En 1958, le gars John déambule dans Leningrad appareil photo en main et au hasard d’une rue tombe nez à nez avec notre cabriolet. Notre homme la photographie sans plus attendre. Il est vraiment très étrange qu’un Américain fasse du tourisme comme ça derrière le rideau de fer en pleine guerre froide. Que le John soit un peu de la CIA, il y a là un pas que je ne franchirais pas…

En tout cas, c’est grâce à cet unique cliché couleur que la voiture sera restaurée avec ses couleurs d’origines. Car après cette image, on perd totalement la trace de notre Leningrad 1956. C’est vers la fin des années 90 que la Samodelka refait surface. Elle fait l’objet d’une petite annonce dans un journal de Saint-Pétersbourg, qui a retrouvé son nom, l’auto est dans un sale état, mais quasi complète.

Les informations sur son achat ne nous sont pas parvenues. Mais c’est dans les années 2010 que la voiture sera vraiment reconstruite. Le nouveau propriétaire la confie, en 2014, à une société en Lituanie qui s’est occupée de la restauration à l’identique. La voiture de Babich est redevenue cette magnifique Leningrad 1956, elle est présentée pour la première fois en France à Montfort.

Leningrad 1956, le matin du grand soir !

C’est écrit en gros caractères cyrilliques sur son énorme capot, la voiture portera le nom de Leningrad. Il est fort à parier que le nom du cabriolet ne lui fut pas attribué par hasard. Pour mémoire le nom de Leningrad a été donné à l’ancienne capitale de la Russie des Tsars, Saint Petersbourg, en 1924 à la mort de Lénine. Babich avait surement dans l’idée de, si ce n’est faire de la lèche, au moins passer sous les radars du Komintern qui n’était pas encore atteint de détente et encore moins d’humour.

Pièce unique, cette voiture est pour le moins énigmatique. On ignore beaucoup de choses à son sujet. On connait son moteur, qui comme surement son châssis, est celui d’une grosse limousine de luxe, la GAZ-12 ZIM. Cette dernière est un véritable tank et ses mensurations nous font laissent rêveurs, petits occidentaux que nous sommes.

L’auto, en six glaces, mesure 5,50M et ne pèse pas loin des deux tonnes ! Pour propulser tout ça, son moulin est un gargantuesque, 6 cylindres essence en ligne de 3480 cm³ et développant juste 90ch. C’est donc autour de cette mécanique éprouvée que Babich assemble son cabriolet. Le poids étant moindre, il arrive à talonner les 130 km/h. Notre ingénieur vampirisera d’autres pièces de cette ZIM 12.

La Leningrad 1956, un cabriolet, mais pas au rabais !

Le design de la Leningrad 1956 est plutôt beau et surtout bien proportionné. La ligne de caisse s’étire au milieu des ailes avant, pour subir une cassure au niveau du début des ailes arrière. Ces dernières remontent vers le haut, lui donnant de belles épaules. Du coup l’arrière se retrouve au même niveau que l’énorme avant, qui avec son long capot, abrite le massif 6 en ligne.

Ce cabriolet est très près du sol, abaissant extrêmement ses portes également. Sa couleur de carrosserie dans ces deux nuances est vraiment très gracieuse et lui va parfaitement. Là aussi, on se rend bien compte de l’incroyable qualité de la restauration. Chaque parcelle de l’auto est traitée subliment.

Comme toute la voiture, le poste de pilotage est magnifiquement restauré. Le pare-brise en V et en deux parties rehausse l’élégance du cabriolet. La banquette deux places est très spacieuses et ses motifs à carreaux, évoquent ceux des cabriolets anglais. La planche de bord, emprunté à la ZIM 12, est magnifique avec ses cadrans placés de façon symétrique. L’ensemble est agréable à l’œil et rehausse l’atmosphère de luxe.

À gauche du grand volant, on trouve quatre indicateurs, et l’énorme compteur de vitesse. Celui-ci s’harmonise avec la belle horloge devant le passager. Au milieu et au-dessus de la magnifique grille chromée du chauffage, on retrouve l’autoradio.

Comme vous pouvez le voir, aucun équipement ne manque dans ce roadster de luxe. Une autre information nous indique que c’est une peut-être une troisième réalisation avec le petit 3 au centre du volant. Pour terminer, le logo « Leningrad » tout en chrome et en cyrillique trône au-dessus de la boite à gants.

Une Leningrad unique, atypique, voire baroque !

Comment ne pas tomber amoureux de cette beauté slave au premier coup d’œil ? Certes, certains peuvent y voir une voiture bizarre, mais tellement attachante à plus d’un titre. Déjà l’histoire de la Leningrad 1956 n’est franchement pas commune. Et puis c’est quand même rare de voir des voitures venues de Russie et encore plus un roadster de l’ère de l’Union soviétique.

De plus, vu la qualité de la restauration, cela nous fait voir que l’occident n’est pas la seule à faire du bel ouvrage. Et surtout, cela nous ouvre, peut-être, de nouveaux horizons pour découvrir d’autres pépites comme cette Leningrad 1956.

Voilà un parfait cabriolet pour parcourir les steppes infinies tel Michel Strogoff !

Photos complémentaire: Allcarindex, autoclassicus

bertrand

rédacteur et photographe à news d'anciennes. Passionné d'histoire et de véhicules anciens, il rejoint la rédaction de news d'anciennes en 2015. Armé de son fidèle Nikon, il écume les rasso et salons pour vous les faire découvrir.

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