La Lancia D50, histoire mouvementée pour une auto novatrice

Publié le par Benjamin

La Lancia D50, histoire mouvementée pour une auto novatrice

Décidément c’est une auto qu’on aura vu plusieurs fois cette année, que ce soit pendant notre Nuit au Musée au FCA Heritage Hub ou plus récemment à Goodwood Revival 2019. La Lancia D50 est une formidable machine de course, construite par un ingénieur de génie et dont l’histoire est romanesque.

La Lancia D50, une F1 très étudiée

Au début des années 50, Lancia se remet officiellement à la compétition. D’abord en apportant son soutien à ceux qui engagent déjà des Aprilia et Lambda sur les épreuves routières, et puis ensuite à travers la D24. Cette belle barquette, déjà réalisée par Vittorio Jano est une machine à gagner. À son palmarès on note la Carrera Panamericana, la Targa Florio et les Mille Miglia.

Maintenant Lancia vise les circuits, et le récente Championnat du Monde de F1. Après deux saisons passées avec des autos répondant à la réglementation Formule 2, les « gros moteurs » reviennent. Attention on parle ici de 2.5 litres atmosphériques. Le moteur va d’ailleurs être une des bases de la Lancia D50. Ce sera le premier V8 à être construit pour la F1. Compact et léger il sera placé à l’avant. Mais ses particularités ne s’arrêtent pas là. Le bloc reçoit en effet les ancrages de suspension avant. Ce qui est la norme désormais est novateur pour l’époque et ce n’est qu’avec le Cosworth, et à la demande de Colin Chapman, qu’on reverra ça bien des années plus tard.
Le moteur est également décalé de 12° de l’axe de la voiture. L’objectif est de pouvoir faire passer l’arbre de transmission (la boîte est à l’arrière) à gauche du pilote quand les concurrent assoient celui-ci sur l’arbre. Le but est bien d’abaisser le centre de gravité de l’auto.

Enfin la Lancia D50 est novatrice par sa forme. Entre les roues avant et arrière elle embarque les réservoirs d’essence et d’huile et le radiateur d’huile. Là encore l’objectif est de rapprocher ces masses du sol.

On obtient une auto totalement inédite tant par sa technique que par sa forme. Reste à la voir en course.

1954 : long développement et débuts en fanfare

On pense engager la nouvelle F1 pendant la saison 1954 mais la mise au point va se révéler longue… et coûteuse. Pourtant Lancia a recruté des pilotes de premier choix : Ascari et Villoresi.

Ceux-ci ne pourront finalement s’aligner sur la D50 qu’au dernier Grand Prix de la saison, au Grand Prix d’Espagne couru à Pedralbes.

Ascari y signe d’emblée la pôle position et Villoresi la 5e place. L’auto est rapide ! Ascari se fait déborder au départ mais va repasser en tête tandis que Villoresi abandonne très tôt. Il va mener 7 tours avant d’abandonner lui aussi.
Les bases sont là, rendez-vous est donné en 1955.

1955 : la saison tronquée de la Lancia D50 A

Jano reprend sa voiture à l’intersaison pour en faire la D50 A. Il augmente la capacité des réservoirs, change le système de lubrification, revoie les freins et le tarage des suspensions. Le nez est modifié et l’empattement prend 86 mm.

Avant la première course, Lancia enregistre un dernier renfort de choix : Castellotti. En Argentine, pas de pôle, Ascari se contentera d’une seconde position sur la grille. Il va prendre la tête au 11e tour et mènera 11 autres tours avant de sortir et d’abandonner. Les deux autres autos ont elles aussi abandonné.

Pour parfaire sa préparation, Lancia s’engage dans deux Grands Prix hors-championnat à Turin et à Naples et remporte les deux courses.

Monaco, tournant de l’aventure Lancia en F1

Pour le Grand Prix de Monaco 1955 ce sont quatre Lancia D50 A qui sont engagées puisque Louis Chiron vient en renfort. Ascari se qualifie 2e, Castellotti 4e, Villoresi 7e et Chiron 19e.
En course va avoir lieu l’un des accidents les plus incroyables de la F1. Ascari est à la poursuite de Moss au 24e tour, la Mercedes de l’anglais rend l’âme et laisse une traînée d’huile. Il bloque sa roue en voulant l’éviter, tape le muret et sa voiture… bascule dans le port ! Le pilote italien est éjecté et secouru par des plongeurs. Au final il ne souffre que d’une fracture du nez et de contusions.
À côté de ça, Castelloti va prendre la seconde place de la course derrière Trintignant, premier français vainqueur en F1 à cette occasion, Villoresi est 5e et Chiron 6e. Les Lancia D50 sont en forme !

Sauf qu’Ascari ne va pas rester à l’hôpital. Il en sort, contre l’avis des médecins pour se rendre à Monza où Castellotti et lui doivent partager le volant d’une Ferrari le dimanche. Il va se tuer pendant ces essais. Lancia perd alors son chef de file. Les événements ne prennent pas une bonne tournure.

En Belgique, seules deux autos sont engagées. Mais Lancia a de graves problèmes financier et finalement c’est sous son propre nom que Castellotti est présent. Il signe la pôle, devant Fangio, qui lui grille la politesse au départ avant d’être imité par Moss. L’italien va alors batailler pour la troisième place jusqu’à ce que sa boîte ne rende l’âme. Sans le savoir, c’est la dernière apparition de la Lancia D50 en F1 !

La Lancia D50 devient Ferrari D50

Lancia va trop mal et Gianni Lancia n’a d’autres choix que de jeter l’éponge. C’est Italcementi qui rachète le constructeur tandis que la Scuderia Lancia est reprise, séparément, par Fiat. Pour autant le géant turinois ne capitalisera pas sur les exceptionnelles D50. Les 8 autos, les pièces et Vittorio Jano passent en fait entre les mains de Ferrari. Mieux, Enzo Ferrari obtient un sponsoring de la part de Fiat pour les 5 saisons suivantes. C’est une aubaine tant les dernières monoplaces au cheval cabré sont loin des nouvelles autos en terme de performance.

Pour le Grand Prix d’Italie à Monza, Villoresi et Farina sont engagés sur les Lancia D50. Et oui, elles portent encore les écussons Lancia ! Mais le circuit, qui comporte encore l’anneau de vitesse et son revêtement bosselé est bien peu adapté aux autos qui sont contractuellement obligées de se chausser de pneus Englebert. Conçues pour des Pirelli, elles se révèlent dangereuses et Jano annonce que les monoplaces ne seront en course… que s’il pleut !
Cela n’arrivera pas et on attendra donc pour les voir en course.

1956 : la Ferrari D50 apparaît

Jano profite alors de l’intersaison pour faire évoluer sa monoplace une fois de plus. Les réservoirs sont enlevés des côtés et atterrissent finalement dans le porte à faux arrière. Les carénages sont uniquement conservés à des fins aérodynamiques.
Le moteur est porté à 265 ch par un changement de course et d’alésage, 68,5 et 76 mm au lieu de 72 et 74.

Un autre énorme changement intervient pour Ferrari. Mercedes s’est retiré de tout compétition automobile après l’accident du Mans et Fangio, champion du monde en titre courra pour la plus célèbre des Scuderia. Castellotti est évidemment de la partie tout comme Musso. On note aussi qu’Olivier Gendebien sera au volant d’une 555 « Super Squalo » qui abandonne le moteur Ferrari pour celui de la D50. Mais finalement cette auto sera larguée au niveau des performances. Elle ne prend que la 10e place quand les ex-Lancia monopolisent la première ligne !
Si Castellotti abandonne, Fangio et Musso l’emportent. En fait Fangio a du abandonner après une série de pépins mais a effectué une remontée fantastique pour offrir le premier succès à la Ferrari D50.

Quatre autos sont au départ à Monaco, confiées à Fangio, Musso, Castellotti et Collins. Si Fangio, en pole, et Castellotti, troisième, encadrent la Maserati de Moss, c’est bien l’anglais qui prend le commandement de la course dès le départ. Fangio va sortir au 3e tour. Sa monoplace est endommagée, mais surtout Musso n’a pu éviter le cafouillage et abandonne. L’argentin va repartir, remonter mais sa voiture devient de plus en plus difficile à conduire. Une fois de plus il va s’arrêter et prendre le volant de la voiture de Collins. Reparti troisième, il s’empare de la seconde place puis fond sur Moss qui l’emporte tout de même grâce à une solide avance. Castellotti a également abandonné.

Paul Frère, héros en Belgique

La course suivante a lieu en Belgique. Musso s’est blessé au Nürburgring la semaine précédente et le journaliste local Paul Frère prend le volant de la D50 pour écrire un article. Mais devant le temps au tour qu’il signe, il est engagé pour le Grand Prix ! Il épaulera les pilotes habituels tandis qu’une autre D50 est confiée à l’Équipe Nationale Belge pour Pilette.
Celui-ci ne va pas se mettre en valeur et se qualifier dernier. Par contre Fangio signe une nouvelle pôle et Collins est 3e sur la grille.
En course, Fangio va abandonner et laisser la victoire à Collins. Frère en très grande forme va prendre une seconde place et signer le doublé !

Fangio fait des siennes

L’accumulation d’abandons de Fangio l’énerve. Il demande alors à avoir un mécano dédié afin de ne plus reproduire les erreurs de l’équipe sur ses machines. En effet ce sont souvent des erreurs qui entraînent ses abandons. En Belgique, il n’y avait pas assez d’huile dans le différentiel.

En France, Castellotti étrenne un « nouveau package aéro » comme on dit maintenant. Des carénages sont placés devant les roues avant et au dessus des roues arrière mais l’auto réagit mal au vent de face. On fait machine arrière et ce sont quatre Ferrari D50 « normales » qui seront confiées à Fangio, qui signe une nouvelle pôle, Castellotti, qualifié 2e, Collins, 3e et le Marquis de Portago, 10e, plus Gendebien, 11e.
En course Fangio va bien défendre sa première place jusqu’à ce qu’un problème ne le ramène aux stands. Il laisse Collins et Castellotti se battre pour la victoire, à l’avantage de l’anglais bien aidé par les consignes de Ferrari, et l’argentin termine 4e.

Collins est en tête du Championnat. En Grande Bretagne il ne peut faire mieux qu’une seconde place, qu’il partage avec De Portago, alors que Fangio l’emporte et revient à un point de l’anglais.

Au Nürburgring, Fangio va écrire une des plus belles pages de sa carrière. Qualifié en pole devant Collins et Castellotti, Musso de retour est 4e, il se bat contre Collins pendant les premiers tours avant que l’anglais n’abandonne suite à un problème de réservoir du aux vibrations. Reparti sur l’auto de De Portago, il sort de la piste. Il ne reste plus que Fangio en course. Il bat régulièrement les records du tour, qui dataient de 1939, et finit par faire une razzia en remportant les 9 points, score maximal en jeu (un point pour le meilleur tour).

Pour la dernière course de 1956, les monoplaces rouges monopolisent la première ligne à Monza. Fangio est en pôle mais va être contraint à l’abandon. A ce moment, le français Jean Behra peut être champion s’il gagne. Mais Collins, sous la pression du manager de Fangio, lui confie les rênes et ils se partagent la seconde place derrière Moss. La D50 a permis a Fangio d’enlever un quatrième titre.

1957 : La D50 devient D50/801… et méconnaissable

Ferrari D50 801- Lancia D50

Jano revoit une nouvelle fois sa copie. Cette fois ce sont les carénages latéraux qui sautent. Le châssis et les trains sont revus, tandis que le moteur est poussé à 275 chevaux. Par contre Fangio a quitté Ferrari pour retourner chez Maserati. Les mésaventures qu’il a connu au volant des Ferrari en sont la raison principale. Mais surtout ce sont les anglais qui commencent à faire peur avec leurs moteurs Climax situés en position arrière.

En Argentine, sur les 6 autos au départ (pour Musso, Castellotti, Hawthorn, Collins, Perdisa et le local Gonzalez) seule l’auto de Gonzalez, relayé par Alfonso de Portago, pilote de réserve, voit les points à l’arrivée avec la 5e place.

Avant Monaco, c’est l’hécatombe

Entre l’Argentine et Monaco on peut penser qu’une malédiction frappe la Scuderia. Comme son mentor Ascari, Castellotti se tue en essayant une auto en vue d’une course Sport. Perdisa avec lequel il devait faire équipe est marqué au point de mettre un terme à sa carrière.
De plus, Alfonso de Portago se tue aux Mille Miglia, emportant avec lui plusieurs spectateurs et sonnant le glas de l’épreuve !

En principauté on retrouve donc les anglais Collins et Hawthorn épaulés par Von Trips qui signera son premier départ et Trintignant. Fangio est en pôle sur sa Maserati, Collins est second, mais il se font griller la politesse au départ par Moss. Seulement au 4e tour l’anglais perd ses freins et seul l’argentin parvient à passer sans encombre. Hawthorn et Collins heurtent des débris et abandonnent. Au final seul le vétéran français boucle la course à la 5e place.

Sur le circuit des Essarts pour le Grand Prix de France, Musso est de retour et est en forme. Il prend la tête mais doit la céder à Fangio. Il va batailler avec l’argentin jusqu’à ce qu’une sortie de piste sans conséquence ne le rejette trop loin. Il termine second, devant Collins et Hawthorn. La D50/801 marque ses premiers gros points.

À Aintree pour le Grand Prix d’Angleterre, c’est Moss qui signe la pole sur Vanwall. Les Ferrari sont plus loin. Moss va passer une vingtaine de tours en tête mais doit changer de bougies. Behra sur Maserati passe en tête mais abandonne. Hawthorn est aux commandes mais il a roulé sur les débris de l’embrayage de la Maserati. Moss retrouve la tête et Musso va batailler pour finalement terminer second devant Hawthorn et la paire Trintignant-Collins.

Au Nürburgring c’est Fangio qui est en pôle mais les anglais de Ferrari vont le dépasser avant que la Maserati ne repasse. Partie avec un demi-réservoir, l’argentin doit s’arrêter, change de pneus, puis roule « doucement ». Collins et Hawthorn assurent, et ne creusent pas l’écart. Quand Fangio réaccélère, il parvient à recoller aux Ferrari et les dépasse dans le dernier tour. Plus qu’une victoire c’est son 5e titre que l’argentin remporte.

Sans convictions pour les courses italiennes

Les courses de Spa et de Zandvoort sont annulées. Du coup la F1 à rendez-vous à Pescara sur un circuit routier de plus de 25 km. Enzo Ferrari ne veut pas y engager ses autos, surtout après la tragédie des Mille Miglia. Musso va donc se rendre sur ce Grand Prix avec une D50/801 semi-privée.
Troisième temps des qualifs, il prend la tête brièvement au premier tour avant d’abandonner à la mi-course alors qu’il était deuxième !

Pour le dernier Grand Prix à Monza, Collins, Musso et Hawthorn seront épaulés par Von Trips. Collins est qualifié 7e, les trois autres occupent la 3e ligne seulement ! Collins abandonne, Musso est à 5 tours, Hawthorn est 6e à 4 tours, et seul Von Trips sauve les meubles en terminant 3e !

La saison a montré les limites des D50. À tel point que contrairement à ce qui est l’usage de la Scuderia, aucun privé ne voudra les acheter ! Sa remplaçante, la Dino 246 qui ressemble étroitement à la D50/801, ne remportera pas le titre constructeur qui revient à Vanwall mais permettra à Hawthorn d’être champion pilote.

Les Lancia D50 de nos jours

L’auto visible au FCA Heritage Hub n’y est pas toujours. En effet le groupe n’hésite pas à la sortir régulièrement pour l’exposer lors de grands salons. C’est certainement la plus connue de ces Lancia D50.

Par contre à Goodwood Revival c’est une Lancia D50A de la première année d’exploitation par Ferrari qu’on a pu voir. Les échappements ne traversent pas encore le carénage droit. Et autant vous dire que voir une de ces autos en course, c’est rare !

Photos additionnelles : Wikipedia, FCA, Pinterest, WheelsAge

Benjamin

http://newsdanciennes.com

Passionné d'automobile ancienne, il a créé News d'Anciennes en 2013 à force de se balader sur les salons sans savoir quoi faire de ses photos. Conducteur occasionnel de Simca 1100 il adore conduire les voitures des autres, dès qu'elles sont un peu plus rapides !

Commentaires

  1. Daniel

    Un grand merci pour ce superbe article qui m’a rappelé ma 1ère lecture en sport auto : « pilote de course », signé Maurice Trintignant, surnommé pétoulet, avec le GP de Monaco 1955 en point d’orgue. Les Lancia D50 et le plongeon d’Ascari y sont souvent cités …
    J’ai partagé sur ma page Facebook « amizautos » !

    Répondre · · 30 septembre 2019 à 11 h 00 min

    1. Jean Paul DURAND

      Je l’ai relu la semaine dernière, la première fois c’était en 1958, c’est lui qui a déclenché mon immense passion pour la compétition, je l’ai relu 2 fois de suite avant de le rendre à la bibliothèque du lycée, j’avais 13 ans.

      Répondre · · 3 octobre 2019 à 16 h 41 min

Répondre à DanielAnnuler la réponse.

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