[C’était mieux avant ?] L’automobile et ses prix

Comment faire pour éviter les comparaisons quand on traite majoritairement d’un monde ancré dans la nostalgie. Si ce parfum est agréable, si on ne se lasse pas de le sentir, il n’est pas applicable à tous les pans de notre passion pour les véhicules anciens. Certes la conduite d’une ancienne apporte quelque chose qui s’est perdu. D’accord, les lignes d’une Ferrari d’antan ont plus de sensualité que l’agression anguleuse qui est désormais proposée. Mais est-ce que le « c’était mieux avant » s’applique aussi… au prix des automobiles ? C’est ce qu’on a voulu savoir.

Préambule : l’inflation qu’est ce que c’est

Avouez que vous étiez prêt à répondre, bille en tête et armé du fameux « 6,55957 » que les prix ont fatalement augmenté. Sauf que ce fameux chiffre qu’on a tous connu par cœur il y a près de 20 ans (eh oui ma bonne dame, ça passe vite) ne vaut qu’entre un Franc du 31 Décembre 2001 et un Euro du 1er Janvier 2002.

La raison ? L’inflation !

« Accroissement excessif des instruments de paiement (billets de banque, capitaux) entraînant une hausse des prix et une dépréciation de la monnaie (s’oppose à déflation).« 
Le Robert

En gros, l’inflation arrive quand on « crée » de l’argent par exemple un plan de relance post-brexit en injectant des capitaux créés de toute pièce dans l’économie réelle. Du coup il y a « plus d’argent disponible ». Le phénomène se répercute vite et les prix augmentent.

L’inflation se calcule avec des taux qui permettent de situer l’économie actuelle par rapport à l’économie passée. Et comme l’inflation change continuellement, la valeur d’une certaine devise à un instant T changera quelques temps après. Plus on prend un intervalle large, plus la différence sera élevée. Donc on ne peut pas dire que « 1 € = 6.55957 francs » tout le temps.

Quelques exemples ? C’est parti :

Si vous remettez en doute ces chiffres, on ne les inventent pas. Ils sont issus du site de l’INSE, consultable ici.

Concrètement ? Le prix des automobiles

Vous vous douterez qu’on a pas choisi des automobiles au hasard. Non, on s’est concentré sur les autos les plus vendues en France à certaines périodes.

(Attention, les salaires sont exprimés bruts mais permettent de donner un bon indicateur)

La Renault 4CV en 1951

Premier exemple, la prix d’une Renault 4CV en 1951. Pour le coup le salaire minimum vient d’arriver en France avec la loi 11 Février 1950 : c’est le SMIG, Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti, premier du genre. Il fixe la rémunération horaire à 64 anciens francs. Ce SMIG est appliqué à partir du 23 Août, un gros mois avant la présentation des modèles 1951 de la gamme 4CV. Cela fait deux années de suite qu’elle est l’auto la plus vendue en France et ce n’est pas prêt de s’arrêter.

Si on prend le modèle « Luxe », le prix est de 390.500 francs. Il faut donc travailler 6101 heures pour s’offrir une petite populaire de Boulogne-Billancourt.

La Renault 4 L de 1961

C’est l’année de son apparition. Oui, la « 4L » a 60 ans cette année au cas où vous ne l’auriez pas noté. Il ne faudra attendre que quelques mois pour qu’elle s’installe en tête des ventes. Elle succède aux 4CV et Dauphine comme auto la plus vendue en France, c’est forcément qu’elle est bien placée niveau « qualité-prix ».

Ce modèle « limousine » (qui indique qu’elle a simplement des vitres de custode) coûte 5350 Francs. Le SMIG est alors de 1.6865 Francs pour une heure travaillée. Résultat : il faut travailler 3172 heures pour se payer une Renault 4 L neuve ! On remarque d’ailleurs que l’auto est presque deux fois plus « abordable » que la 4cv 10 ans auparavant !

La Peugeot 204 en 1969

Quand Peugeot se lance dans la voiture plus populaire, la fameuse « milieu de gamme » à 6cv fiscaux, le constructeur s’ouvre les portes du succès et rompt avec sa tradition mono-modèle. Le résultat est au rendez-vous, puisqu’avec la constitution d’une gamme complète, la Peugeot 204 se hisse en tête des ventes françaises de 1969 à 1971.

On va ainsi prendre l’exemple de la Peugeot 204 GL de 1969. Affichée au prix catalogue de 10.000 Francs, il faut lui ajouter les taxes et les frais de livraison : comptez environ 14.000 francs. Cette année là, le SMIG vit sa dernière année et il est fixé à 3,27 francs de l’heure. Ce qui veut dire qu’il faut travailler 4281 heures pour s’offrir une Peugeot 204 GL neuve.

On note d’ailleurs que la petite lionne n’était pas spécialement abordable mais que ce sont ses prestations qui l’ont amené en tête des ventes.

La Renault 5 TL en 1978

Après un intermède Peugeot avec la 204, celui de la Simca 1100 puis celui de la Renault 12, c’est un autre modèle de la régie qui s’installe en tête des ventes : la Renault 5. Ce sera même une installation durable puisqu’elle sera la voiture la plus vendue en France de 1974 à 1983 ! On note aussi que le marché de l’automobile a déjà subi une première transformation après le choc pétrolier de 1973 !

On se place donc au milieu de sa carrière avec l’année 1978. L’auto a déjà sa déclinaison sportive R5 Alpine mais n’est pas encore passée à la carrosserie 5 portes. C’est la TL qui représente le gros des ventes. Son prix est alors de 22.700 francs. Le SMIG a laissé sa place au SMIC et il est revalorisé très régulièrement (4 ajustements sur l’année). On va se sur le montant d’Août 1978 : 11.07 francs. Il ne faut « plus que » 2050 heures de travail pour s’offrir une voiture neuve reine des ventes !

La Peugeot 205 GL de 1985

La Renault 5 a été détrônée par la nouvelle petite lionne. Un bol d’air frais pour le groupe PSA et une future icone automobile. Dès 1984 elle se place en tête des ventes. En 1985 elle l’est toujours mais sera détrônée par la Supercinq l’année suivante.

C’est la version GL qui assure une grosse partie des ventes. Une auto mue par le 1124 cm³ de 50ch et qui est affichée à 51.700 francs. Le montant peut paraître énorme par rapport aux autos citées précédemment, mais le SMIC a considérablement augmenté, notamment avec un nouveau choc pétrolier en 1979 puis l’arrivée de François Mitterand à la présidence de la république. Il se situe à 26,04 francs au 30 Juin 1985. Du coup, le nombre d’heure travaillées nécessaires pour s’offrir la reine des ventes est tombé à 1985 heures !

En 2020

Pour terminer on va effectuer le même calcul sur la voiture la plus vendue en France en 2020. Il s’agit de la Peugeot 208 de dernière génération. Le prix de base est fixé à 16200 €. Avec un SMIC brut à 10,15 € de l’heure, cela fait 1596 heures à travailler pour s’offrir cette citadine.

Concrètement ? Le prix du carburant

Oui, c’est en plein dans l’actu. Le prix du carburant est en hausse. Mais là aussi, on voit passer tellement de chiffres pris sans aucune réflexion que leur interprétation est compliquée. Comparer les prix de certaines années avec le fameux 6,55 est finalement assez absurde.

Pour le coup, les sources sont compliquées à trouver… et on a dû sortir la calculette. L’objectif est là aussi de mettre en lumière le temps de travail des plus bas revenus pour s’offrir un litre de carburant.

L’énorme écart entre 1950 et 1961 est facilement explicable : la France a subi la crise de Suez et le prix du carburant a considérablement augmenté. On constate de grosses fluctuations dans ces prix… mais on se rend surtout compte que les prix actuels ont déjà eu des équivalents par le passé !

C’était mieux avant ?

Alors ? C’était mieux avant ? Vraiment ?

Pour ce qui est des automobiles il ne faut vraiment pas de fier aux prix affichés. L’inflation et l’augmentation des salaires les plus bas ont rendu ce « produit » plus accessible. Évidemment, tout autour, le coût de la vie est ce qu’il est. Ce ne sont là que des constatations brutes qui ne regardent QUE l’achat d’une automobile. On comprend aussi aisément pourquoi elle a pris de plus en plus de place dans les foyers puisque elle a cessé d’être un bien de luxe.
Au passage, ces chiffres sont complétement à décorréler des prix des voitures anciennes. Ce sont devenus des objets collectors dont le prix n’augmente plus avec la simple inflation.

Pour ce qui est du carburant, se remettre dans le contexte est en fait important. Parce qu’en faisant les calculs, il apparaît que l’essence a déjà été très chère… mais que le pouvoir d’achat global des ménages était alors différent.

On vous laisse maintenant penser ce que vous voulez de la période actuelle. Mais le « c’était mieux avant » est à prendre avec des pincettes !

Pensée pour les amis Hugues et Patrice qui pourront se servir de cet article autant qu’ils veulent.

Source sur le prix des carburants : Philippe Boursin