Au volant d’une Alpine A110 1800 Gr4 « Bis », une leçon d’humilité

J’ai déjà essayé des Alpine A110, oui. Parmi les A110, les V85 et 1300S sont des autos courantes finalement, ni les plus petites, ni les plus grosses. Du coup, c’est un sacré bond en avant que je fais en me mettant au volant de cette Alpine A110 1800 Gr4 « Bis ». C’est tout simplement à bord d’une des A110 les plus évoluées que je vais m’installer et rien que l’idée est impressionnante… et je n’ai encore rien vu !

Notre Alpine A110 1800 Gr4 « Bis » du jour

On commence par jeter un coup d’œil à la bête. C’est une Alpine A110, c’est certain. Mais celle-là a clairement abusé de le salle de sport et devait avoir un médecin du genre Fuentes. Résultat, l’Alpine A110 1800 Gr4 a pris du muscle et on en parle QUE de l’extérieur de la voiture !

Côté style, forcément on décèle vite la bête de course en posant les yeux sur l’Alpine A110 1800 Gr4. Certes, on retrouve bien la forme générale de l’Alpine A110, notamment à l’avant avec ses quatre phares, son capot plutôt long mais surtout avec cette impression de voiture posée sur la route due au fait que la bête soit bien plus large que haute. La largeur, elle est encore plus imposante que d’habitude avec les ailes bulles que portent toutes les Alpine A110 1800 Gr4 puisque ces ailes ont fini par être homologuées en Gr4 après avoir débuté en Gr5.

Si elle vous semble encore plus agressive que d’autres Groupe 4, c’est logique. C’est aussi le spoiler avant qui fait ça. Certes, toutes les autos de la série (elles sont 13 bis à avoir été construites) ne l’ont pas porté mais c’était souvent le cas des voitures destinées aux courses de côte ou au circuit, au contraire des voitures destinées au rallye qui s’évitaient souvent un appendice très exposé aux pierres présentes sur les spéciales. Et si il en manque une couche, les antibrouillards s’en chargent !

Le profil laisse bien apparaître ces roues minuscules dans leurs passages et elles le sont encore plus quand on est à côté. Il n’y a que leur largeur qui n’ait rien de minuscule. Pour les amateurs, oui, vous avez bien reconnu des Gotti.

On peut aussi admirer la peinture de l’auto, qui n’est pas celle d’origine mais lui va si bien. Le profil droit permet d’ailleurs de remarquer la trappe à essence additionnelle. C’est une particularité des Alpine A110 1800 Gr4 « Bis » : elles pouvaient recevoir un réservoir central en option. Notre auto du jour ayant été destinée au circuit n’était pas équipée de ce réservoir à l’origine mais avait tout de même la trappe. Après sa restauration, elle a gagné ce réservoir, bien utile pour les rallyes.

Le profil et surtout la vue arrière permettent de voir le travail aéro effectué sur l’arrière de l’auto. D’abord en notant que les ailes épousent au maximum la ligne de caisse avant de se terminer de façon assez nette. Ensuite les Alpine A110 1800 Gr4 « Bis » pouvaient recevoir cet arrière avec aileron. Là, seules les voitures qui n’étaient pas prévues pour le rallye le recevaient. Il était d’ailleurs réglable, pas avec un plan relevable comme une aileron plat, mais avec la plaque d’alu qui pouvait être plus ou moins sortie.

En tout cas, même avec sa caisse légère (apparue, elle, sur les Groupe 3), l’Alpine A110 1800 Gr4 « Bis » est une auto qui en impose… tout en restant une Alpine. Et puis il faut bien dire que les nombreuses répliques et copies de ces carrosseries larges ont fait que finalement, on s’est plutôt bien habitué à ce style méchant.

Technique : Un « Bis » qui veut dire « Evo »

L’Alpine A110 1800 Gr4 « Bis » ne se distingue pas particulièrement des autres 1800 par son moteur. Ok, c’est un 1800 dérivé du cléon Alu, le « Mignotet » de 1796cm³. Toutes les autos de la série pouvaient recevoir ce moteur avec deux types d’alimentation au choix : des carbus Weber dans la majeure partie des cas ou une Injection Électronique Bosch (la même que sur les R17) ou même, en option, une Injection à Guillotine Lucas. C’est celle-ci qui fut montée à l’origine sur notre voiture du jour mais elle l’a perdue en même temps que son moteur originel.

Du coup on retrouve bien des carbus qui permettent au moteur de sortir la bagatelle de 170ch avant que le mécano ne la (re)prépare un peu plus ! Tout ça avec un poids situé aux alentours des 710kg, c’est plutôt prometteur. Mais ne vous emballez pas sur la vitesse de pointe, elle reste de « seulement » 185km/h, à cause de la carrosserie mais aussi à cause des rapports de boîte.

Justement, en parlant des rapports de boîte, on touche à une des particularité de l’Alpine A110 1800 Gr4 « Bis » et vous allez comprendre pourquoi on aurait pu l’appeler Evo. Cette série de voitures de course recevait une boîte 5 vitesses 365-20 couplé à un autobloquant Hewland. Ce montage était possible puisque l’auto transmettait sa puissance aux roues arrière via des cardans grâce à un nouveau train arrière, contrairement aux autres A110 qui utilisaient encore les « trompettes » venues du train arrière de la R8.

Ce train arrière, c’est vraiment LA particularité des Alpine A110 1800 Gr4 « Bis ». Mis au point par le bureau d’étude et longuement mise au point par Mauro Bianchi, l’idée date de 1968 et elle est présentée au public à Genève en 1971. En fait c’est le train arrière de l’A310 4 cylindres qu’on retrouve. Pourquoi est-ce important ? Parce qu’il est triangulé, tout simplement. De fait il est plus précis et efficace dans les grandes courbes et enfilades quand certains préfèrent le train arrière des R8 Gordini pour glisser sur la neige ou la terre.

Enfin, pour être précis, si je note « Bis », c’est parce que l’appellation était surtout interne et officieuse. Commercialement parlant, c’était une 1800SC ou une SI en fonction de son alimentation tandis que l’appellation technique a gardé la dénomination originelle, surtout sur notre voiture du jour qui est la première compétition client à avoir été livrée : 1600 VD (d’autres sont des 1800 VD ou 1800 VB).

Intérieur sport

Ce n’est pas vraiment sur l’intérieur que notre Alpine A110 1800 Gr4 « Bis » est reconnaissable. Pour faire une version course, il faut enlever des choses. Hormis des options à décocher pour être bien sûr, il n’y a pas beaucoup d’éléments à enlever quand on part d’une A110…

On retrouve bien le combiné d’instruments, toujours aussi riche sur une Alpine A110. Honnêtement, ça m’a toujours étonné et il faut dire que ça différenciait bien la voiture du reste de la production automobile de l’époque qui a souvent été chiche sur ce point. L’habitacle est toujours organisé de la même façon mais on note quelques options qu’on retrouve sur toutes les Alpine A110 1800 Gr4 « Bis ».

Si on fait la liste on retrouve un pare-brise chauffant, les baquets et leurs harnais, un coupe batterie intérieur, un manomètre de température d’huile mais aussi quelques interrupteurs et voyants en plus. Certains sont là pour pouvoir basculer d’un réservoir d’essence à l’autre, d’autres sont plus conventionnels mais néanmoins optionnels comme le lave-vitre électrique.

Dernier point, évidemment, notre Alpine A110 1800 Gr4 « Bis » du jour est équipée d’un arceau, et là aussi c’était un équipement de base… en même temps ce sont des voitures de course !

Au volant de l’Alpine A110 1800 Gr4 « Bis »

Première chose à faire : remercier l’arceau. Pouvoir l’attraper sous le toit permet de faciliter l’installation à bord. Évidemment ça reste plus compliqué qu’avec le SUV qui a tracté la remorque transportant notre bête de course. Mais elle est bien homologuée sur la route et elle n’en a plus besoin, et c’est sur ce terrain là qu’on va l’essayer.

Je commence par démarrer, histoire que le moteur chauffe un peu. Oula, ça fait du bruit ! Le pot Devil qui équipe le 1800 rendra tout démarrage nocturne impossible à camoufler. Bon, pendant ce temps, je vais régler mon siège. La position de conduite d’une A110 n’est pas forcément évidente. Déjà, heureusement, je ne suis pas si grand. Néanmoins les pédales sont loin devant et sur la droite, je dois m’approcher un peu. Une fois que c’est fait, je boucle le harnais et c’est parti.

La première est rentrée. Pour ce premier démarrage, je monte vite dans les tours. Il faut que je m’habitue à l’embrayage et puis j’avoue que j’aurais dû choisir des chaussures encore plus étroites. La position de conduite n’aide pas à bien doser, en tout cas sans être habitué. Les premiers kilomètres sont donc une phase de retenue et de mise en confiance.

Au bout de quelques kilomètres, à enchaîner les ronds-points, les stops, les sections plus droites limitées à 80, un premier verdict est déjà prêt à tomber. L’Alpine A110 1800 Gr4 se conduit plutôt bien et assez instinctivement. Certes, il a fallu ajuster certains curseurs dans ma tête mais une fois les paramètres rentrés, c’est tout de suite plus naturel.

Commençons par les trajectoires. Déjà, le freinage qui permet de s’y inscrire est parfait. Forcément à ce rythme, le moteur en sac à dos n’a aucune incidence sur le comportement. Le placement est parfait, la direction emmène l’auto pile où on veut, avec un dosage nécessaire tant elle est directe. Les retours d’informations sont bons, c’est étonnant que la direction soit si dure alors que l’auto est si légère.

Bref, ce n’est pas comme ça que je vais me faire peur. Le confort est satisfaisant. Pas plus ? Non, si le placement est aussi bon c’est aussi que l’amortissement est vraiment rigide. N’importe quelle réparation sur la route est ressentie. Les baquets sont bons mais on est loin du pullman. Après, il ne faut pas se faire d’illusion, ce n’est pas ce qu’on recherche dans une Alpine A110 1800 Gr4. Il n’y a qu’un point qui puisse être problématique pour certains : c’est le bruit.

Non, je ne me suis pas amusé à taper dans le moteur de l’Alpine A110 1800 Gr4, pas encore en tout cas. Mais ce moulin n’a rien d’un 6 en ligne rempli de couple. Il demande à monter dans les tours et même la vitesse de croisière en 5e (déjà on a la chance d’avoir 5 vitesses) demande d’être à 3000 tours. La boîte est courte et ça se sent. Et puis le pot Devil n’est pas là que pour l’esthétique, ça fait vraiment du bruit, surtout à 5000 tours avant de passer un rapport. Vu qu’il fait chaud, les vitres sont ouvertes, bref, c’est un coup à devenir sourd… mais là encore, la plupart du temps ça fait partie de l’ambiance.

D’ailleurs, le fait qu’il faille prendre des tours et qu’on évolue à vitesse normale m’oblige à souvent jouer avec la boîte de l’Alpine A110 1800 Gr4. Elle aussi est étonnante, non pas par son 5e rapport mais plutôt au niveau de la commande. Pas de marshmallow au programme, le verrouillage est plutôt bon. Non, c’est le débattement qui est étonnant. Il n’est pas forcément énorme, mais ramené aux dimensions de l’habitacle… en fait si ! Il oblige à décomposer un petit peu mais on s’y retrouve au bout d’un moment.

Heureusement que je commence à me familiariser parce qu’arrive le premier village. Et comme tout village français, il comporte son lot de zones 30 et de ralentisseurs. Ces derniers doivent être attaqués avec une précision, une anticipation et une application qui ravirait les fans de séries médicales. C’est vraiment « tout doux ». Rappelez vous le gros spoiler avant de l’Alpine A110 1800 Gr4. Vu qu’il est vraiment en porte-à-faux, il peut vite racler en montant sur un ralentisseur. Et comme le porte-à-faux arrière n’est pas mal non plus, bah la punition peut aussi arriver en descendant du ralentisseur.

Par contre, l’Alpine A110 1800 Gr4 a un avantage en ville. Autant les conducteurs d’une Tesla doivent vérifier que les piétons l’ont bien remarqué avant de s’approcher d’un passage piéton, autant le bruit du moteur suffit à avertir toute personne, même équipée d’un gros casque, qu’on arrive. Heureusement, les habitations s’espacent et je me sens aussi chaud que la voiture.

Leçon d’humilité

Direction les petites routes. Les mêmes qu’une Alpine A110 1800 Gr4 aurait attaqué en rallye… même si notre auto du jour était pensée et commandée comme une bête de circuit… elle doit bien avoir ça quelque part dans son ADN. Les lignes droites sont rares, les virages tantôt lents tantôt rapides, tantôt ouverts, tantôt en épingle. Un terrain pour attaquer ? Sans même aller jusque là, c’est un terrain pour s’amuser et pour (tenter) de tirer la quintessence de l’Alpine A110 1800 Gr4 « Bis ».

Alors je m’emploie. Vous avez compris que je n’avais même pas besoin de ça pour suer à grosses gouttes mais là c’est quelque chose. Déjà, parlons moteur et boîte. Autant l’ensemble en était presque gênant quand il fallait rouler « normal », autant là, bah il se révèle parfait. La boîte courte est une vraie alliée pour expédier l’aiguille du compte-tours vers des indications que la plupart des diesels qui sillonnent les routes ne peuvent pas atteindre. Le moteur envoie la cavalerie comme si on était à Azincourt, et comme je fais attention à bien maintenir un rythme élevé, les chevaux sont bien présents. D’ailleurs, la motricité est excellente !

L’Alpine A110 1800 Gr4 bondit d’un virage à l’autre et ne semble pas fatiguer (elle). Même si l’instrumentation est complète, j’avoue que je n’ai pas trop le temps de la regarder. Et c’est là que le son du moteur s’apprécie, c’est lui qui sert de jauge et qui exprime ou pas qu’il est temps de changer de rapport. La commande de boîte, maintenant que tout est bien chaud, est plus rapide, même le débattement est rapidement avalé. L’habitude fait que les changements de rapports sont rapides… mais de toute façon je reste entre 2e et 3e, je ne vais pas assez vite pour passer une 4 et la 5 est au chômage technique.

Là-dedans, le châssis pourrait être mis à rude épreuve. Mais en fait, même pas. Il travaille, c’est certain. Mais l’Alpine A110 1800 Gr4 se montre impériale. Les cordes sont visées et avalées sans souci, le volant me fait plus penser à celui d’un simulateur que d’une « vraie » voiture. Précis, direct, même dans les épingles il ne me demande pas de croiser les bras. Tant mieux, j’ai pas trop envie de lâcher le volant. Les freins répondent bien présents. Même avec un gaillard comme moi et un passager, l’ensemble reste léger.

Cette légèreté joue clairement dans le dynamisme de l’Alpine A110 1800 Gr4. Entre les freins qui font leur job et le châssis qui répond parfaitement, pas de sous-virage au programme. Mais le phénomène n’a jamais été trop le souci d’une A110. Du coup, le survirage ? Ma dernière expérience en A110, une 1300S (c’est par là) me l’avait révélé subtilement et même sans que je ne le cherche vraiment. Je ne le cherche toujours pas, mais il faut avouer que l’Alpine A110 1800 Gr4 est avare de ce genre de comportement. C’est l’avantage de cette « Bis » qui frustrera les amateurs de glisse, la rend plus précise et pointue mais rassure aussi.

Les kilomètres s’enchaînent sur des routes pas toujours larges, avec une visibilité moyenne, mais on a l’impression que rien ne peut arrive de bien méchant. Pourtant, si l’Alpine A110 1800 Gr4 « Bis » pouvait parler, elle me narguerait sûrement avec une expression du genre « c’est tout ce que t’as« . Et piteusement, je baisserais la tête sans répondre… mais trop longtemps car le prochain virage arrive rapidement. Très rapidement. Je remet mes yeux sur la route, en faisant bien attention de ne pas regarder les stries du pare-brise chauffant mais bien la chaussée dont le prochain virage se profile au-delà.

Finalement, au moment de descendre c’est un double sentiment qui s’exprime. La joie d’avoir pu jouer avec un tel outil, dans son élément. Mais aussi celle d’en avoir fini, pas que ce soit frustrant ou mauvais, mais c’est tellement éprouvant, même sans être en compétition ! Et l’autre sentiment, c’est clairement celui de n’avoir pu attaquer et piloter comme l’Alpine A110 1800 Gr4 le demande, comme elle le mérite en fait.

Conclusion :

Impossible d’être complètement déçu d’avoir roulé dans une Alpine A110 1800 Gr4 « Bis ». C’est l’A110 la plus affutée, avec des performances et un comportement qui trahissent qu’elle est faite pour la course. Elle n’a pas que de la gueule, elle a aussi tout ce qui faut au niveau technique pour vous envoyer à des vitesses excessives dans un plaisir qui l’est autant.

Mais l’Alpine A110 1800 Gr4 a ses limites. Ce n’est pas une bonne routière (oui, elle n’est pas faite pour ça), elle est bruyante et exigeante. Si vous trouvez qu’une A110 « classique » est déjà forte à ce niveau, passez votre chemin ! Elle vous oblige à bien juger de vos capacités plus que des siennes et on peut comprendre que certains soient frustrés voire carrément vexés… mais il faut retenir le meilleur, le sentiment d’avoir touché quelque chose qu’on ne reverra pas de sitôt.

Merci à Cédric de Collection Privée Automobile de nous avoir laissé ce bijou parfaitement restauré et fonctionnel entre les mains. C’est probablement la seule Alpine A110 1800 Gr4 sur le marché et si vous souhaitez des infos, c’est par ici.
Source principale : Gilles Vallerian