Jean-Albert Grégoire, un génial touche à tout

Publié le par Benjamin

Jean-Albert Grégoire, un génial touche à tout

Rares sont les ingénieurs automobiles français à avoir été autant influents. En se plongeant dans la vie de Jean-Albert Grégoire on découvre un inventeur un peu touche à tout… tant que ça concerne l’automobile. Des innovations, il en a créé de nombreuses. Des automobiles complètes aussi, même si leur succès n’a pas toujours été au rendez-vous. On vous propose de revenir sur sa carrière et vous allez voir… que vous connaissez forcément ses créations !

Jean-Albert Grégoire, père de tractions…

… mais pas de la traction automobile. Il faut tout de même se rappeler que le Fardier de Cugnot est un véhicule tracté et qu’au XIXe, certaines des premières autos sont des tractions. Mais il y a une nuance, on y revient vite.

Jean-Albert Grégoire avant l’automobile

Jean-Albert Grégoire naît à peu près en même temps que l’industrie automobile, le 7 Juillet 1899, à Neuilly-sur-Seine. Son père, ingénieur des Arts et Manufacture décède quand il n’a que trois ans et le jeune homme devient vite orphelin. Élevé par son oncle maternel, il grandit en pensionnat, à Passy avant d’intégrer le prestigieux Collège Stanislas dans le 6e arrondissement de Paris (où De Gaulle et Guynemer sont également passés quelques années auparavant).

Sportif, il est champion de France interscolaire du 100m et joue également au Rugby. Son plus beau titre reste cependant au saut en longueur aux jeux interalliés de 1919.

Jean-Albert Grégoire est alors rentré à Polytechnique. Également reçu aux Mines, c’est l’uniforme qui l’attire vers l’X. Diplômé en 1921, il poursuit ses études et décroche un doctorat en droit ! Il débute alors sa carrière professionnelle avec un poste d’ingénieur dans une société qui fabrique des métiers à tisser mais change vite pour prendre la direction de Madagascar pour le compte de la Compagnie Minière des Pétroles de Madagascar, ambitieuse mais désargentée.

Jean-Albert Grégoire rentre alors en métropole et commence l’aventure qui imprimera son nom dans de nombreux livres d’histoire (automobile) et sur les plaques de nombreux collèges et lycées.

L’automobile, une passion et une ambition

Utilisant ses dernières économies Jean-Albert Grégoire fonde avec son ami Pierre Fenaille la Société des Garages de Chantiers, intitulée de la sorte à cause de son implantation, rue des Chantiers à Versailles. Fenaille et lui sont passionnés d’automobiles et ont déjà tâté à la course automobile. Mais avec cette société, ils vont aller bien plus loin. Fenaille accepte de financer les envies de compétition de Jean-Albert Grégoire pour peu que l’auto soit techniquement novatrice.

Dès 1925 ils obtiennent l’agence exclusive de la marque Mathis puis de Chenard et Walker. Cependant les deux hommes sont des techniciens avant tout et ils réfléchissent à des innovations automobiles. Parmi celles-ci : la traction. On l’a dit, le procédé n’est pas nouveau. Seulement il a été mis de côté. Les premières tractions avaient des essieux rigides, qui pivotaient d’un bloc. La propulsion, plus simple à mettre en œuvre s’est donc développée et est devenue la norme.

Les deux hommes vont plancher sur une solution technique qui doit permettre de tourner les roues avant, directrices, tout en transmettant la puissance. Cela implique de relier deux arbres de transmission qui ne sont pas sur le même axe. Un casse tête solutionné avec un double cardan sphérique qui se traduit par un brevet déposé par Pierre Fenaille le 8 décembre 1926. L’invention est tellement novatrice qu’on doit même lui créer un nom : le joint homocinétique.

Du premier prototype roulant, créé en Juillet 1926, ils extrapolent une marque : Tracta, officiellement créée en Janvier 1927, qui doit servir de démonstrateur. L’ambition n’est pas industrielle, Tracta ne doit pas devenir un constructeur mais vendre des licences à des constructeurs établis. L’ambition de Jean-Albert Grégoire fait le reste : on va tester le dispositif en course, sur une Tracta GePhi, aux 24h du Mans 1927.

La traction en course !

L’auto est motorisée par un moteur S.C.A.P de 1100 cm³. Avec ses 55ch, il doit être retourné pour être monté dans cette auto novatrice. Le poids-plume de 700kg permet à l’auto d’atteindre les 145 km/h. La performance se concrétise en course. La Tracta est logiquement la première traction au départ de la classique mancelle avec Jean-Albert Grégoire et Lucien Lemesle au volant. L’auto termine dernière, mais c’est une 7e position acquise à 70.5 km/h de moyenne ! L’auto de Fenaille et Boussod, engagée, n’a pas pris le départ.

On retrouve également les autos à la Coupe Florio à Saint-Brieuc avec une 11e place pour Grégoire.

Quelques Tracta sont produites, toujours dans le but de prouver le bien fondé de l’idée. Les engagements en course se multiplient. En 1928, trois autos sont au départ des 24h du Mans, la 42 de Jean-Albert Grégoire et Fernand Vallon s’élançant même en tête. Elle terminera 16e et dernière, devancée par la 31 de Bourcier et Vasena (en photo ci-dessous) tandis que l’auto de Benoist et Varena se classe 12e et 3e de sa classe 1.5 (plus gros moteur donc, mais toujours de chez S.C.A.P).

Varena sera même engagé au Tourist Trophy plus tard dans la saison et on retrouve des Tracta au départ de la Coupe Georges Boillot (où Jean-Albert Grégoire abandonne) ou aux 6h Routes Pavées !

En 1929 il y a quatre Tracta au départ des 24h du Mans avec des moteurs S.C.A.P de 2 temps et de moins de 1 litre. L’auto de Balart et Debeugny termine 9e et remporte sa classe des moins de 1.1 litres devant l’auto de Jean-Albert Grégoire et Vallon, 10e et dernière classée !

Le pilote ingénieur va également se classer 5e du Grand Prix Guipúzcoa à San Sebastian au mois de Juillet.

Mais les Tracta restent des démonstrateurs, même les plus grosses à moteur 6 cylindres Hotchkiss. Et l’aventure n’est pas vaine. En 1929 une licence est vendue au constructeur allemand DKW qui en équipera sa F1 (Frontantrieb veut dire traction) présentée à Berlin en 1931. L’année suivante c’est un autre constructeur, Adler, qui en équipe les Trumpf.

En 1932 c’est la société américaine Bendix qui obtient une licence, elle sera notamment utilisée sur les véhicules tout-terrains pendant la guerre.

Entre temps, Jean-Albert Grégoire a étoffé son palmarès en course avec une 25e place aux 2 x 12h de Brooklands 1930 (25e) et aux 24h du Mans de la même année (8e avec Vallon pour une nouvelle victoire de classe 1.1) qui sera sa dernière apparition en course internationale.

La traction fait son chemin. En 1934, alors que Tracta cesse de produire des automobiles, débarque LA Traction, celle de Citroën. Si Jean-Albert Grégoire semble avoir délaissé la traction, il l’applique pourtant aux autos qu’il conçoit pour d’autres constructeurs. La Donnet à 6 cylindres de 1932 ne dépassera pas le stade du prototype tandis que la Chenard et Walcker Super Aigle 4 n’est pas un succès… face notamment à la Citroën Traction. Pour autant, l’ingénieur commence à explorer d’autres voies.

L’aluminium comme nouvelle marotte

L’alliage d’alu, voilà vers quoi se tourne Jean-Albert Grégoire au milieu des années 30. Il travaille alors pour Amilcar et conçoit la Compound qui va être produite par Hotchkiss, marque qu’il connaît très bien, après que cette dernière ait absorbée Amilcar en 1937.

Cette nouvelle auto est la première à utiliser un principe qui va être décliné sur les prochaines créations de Grégoire. Son tablier et son cadre de pare-brise sont réalisés en alpax, un alliage d’aluminium coulé. Cela permet d’obtenir une auto monocoque légère. L’Amilcar Compound fait évidemment appel à la traction avant et à un moteur 4 cylindres. Le succès sera très mesuré puisque seuls 900 exemplaires sortiront entre 1938 et 1942.

Ce concept va se retrouver dans l’étude suivante de Jean-Albert Grégoire. Nous sommes pendant la guerre et c’est la société Aluminium Français qui commande la conception d’une petite auto. C’est la création de l’AFG « Aluminium Français-Grégoire », une petite auto motorisée par un flat-twin qui est proposée à Simca… mais sera finalement produite par Panhard.

Les principes mis en place sur l’AFG seront d’ailleurs repris peu de temps après sur une autre de ses créations : la Grégoire R ou Tracta R. Reprenant un tablier en alu, un dessin moderne et un moteur 4 cylindres à plat, l’auto est très avancée techniquement. Dévoilée au salon de Paris en 1947, c’est finalement Hotchkiss qui va la produire. Ce sera l’Hotchkiss Grégoire dont la carrière s’arrêtera en 1953 après un gros échec commercial.

Ces brevets seront aussi mis à contribution par la marque Australienne Hartnett. Le principe est le même que l’AFG mais toute l’aventure va prendre du retard. En 1950 les prototypes sont roulants et l’année suivante on lance la production. Las, les soucis financiers sont tels que la marque arrête sa production après 135 véhicule et elle est dissoute en 1956.

Hartnett Kendall Car Brochure.pdf- Jean-Albert Grégoire

Mais Jean-Albert Grégoire n’a pas attendu pour concevoir une nouvelle auto. Il travaille déjà sur un nouveau projet qui est dévoilé en Janvier 1956 à Dearborn. C’est la Grégoire Sport qui est proposée sous marque Tracta. Fenaille en est devenu président en 1951 et la société existe toujours. Le moteur est le 4 cylindres de la Hotchkiss poussé à 125ch avec un compresseur. Le style est confié à Carlo Delaisse et la carrosserie est fabriquée par Chapron.

Seuls quelques exemplaires de roadster et un coupé seront produits. L’auto est chère et la marque perd de l’argent sur chaque exemplaire ! L’aventure s’arrête dès 1958.

Grégoire s’attaque aux suspensions

En parallèle de ces dernières autos, Jean-Albert Grégoire s’est intéressé aux suspensions. Il s’est rendu compte que les véhicules lourds perdent en confort quand ils sont chargés. Il étudie donc une dispositif avec deux ressorts, un classique pour supporter le poids et un second à rigidité variable qui assure le confort.

Proposé en 1947, ce dispositif va notamment être monté sur des camions, des utilitaires, mais également sur près de 20.000 Citroën Traction ! Mais quand Citroën décide de développer sa propre suspension pour sa future DS, Grégoire va chercher à allier les atouts du pneumatique à son propre système.

C’est ainsi qu’il créée la suspension « Aérostable » qui va être montée sur toutes les Renault Dauphine entre 1960 et 1966 !

Des propulsions oui, mais pas conventionnelles !

Jean-Albert Grégoire a un nom rattaché aux tractions. Pour autant, il a aussi conçu des propulsions. L’astuce, c’est que ces autos étaient électrique !

La première est étudiée dès 1938 mais va vraiment prendre de l’ampleur à partir de 1940. La Compagnie Générale d’Electricité lui commande une petite auto qui sera produite par Tudor qui fabrique des accumulateurs. La CGE-Tudor sera terminée en 1942 avec 510 kg à vide et 460kg d’accumulateurs. Son autonomie est de 254 km, belle performance pour l’époque. Produite de 1942 à 1944, moins de 200 exemplaires arriveront sur les routes, surtout du fait de son budget élevé.

Entre l’épisode Hotchkiss et le retour de la Tracta, Grégoire va donner son nom a une autre création qui n’est pas mue par un classique moteur thermique. Le moteur est une turbine à gaz produite par la SOCEMA qui produit alors des turboréacteurs pour l’aviation. Ce mode de propulsion commence à faire son chemin en automobile, surtout pour des records. C’est dans cette optique qu’est créée la SOCEMA-Grégoire. Elle repose sur la caisse et les trains roulants de la Hotchkiss Grégoire. Par contre, c’est une propulsion qui embarque un ralentisseur électromagnétique pour contrer l’absence de frein moteur. La carrosserie effilée est superbe avec un Cx de 0,19 et un look de Panhard Dyna… vous devinerez pourquoi !

Fabriquée pour battre un record appartenant à Rover et fixé à 138 km/h, elle ne le tentera même pas, la marque anglaise fixant une nouvelle marque à 244km/h en Juin 1952… quand la SOCEMA-Grégoire aurait pu atteindre 200.

La dernière traction est une des dernières créations de Jean-Albert Grégoire. Nous sommes en 1968 et c’est de nouveau la CGE qui le missionne pour une petite fourgonnette électrique devant rouler à 80 km/h et atteindre les 100km d’autonomie. Il travaille sur ce projet avec un autre grand nom de l’automobile : Philippe Charbonneau. La Grégoire-Charbonneau sera produite en petite série entre 1972 et 1974.

Jean-Albert Grégoire, pas uniquement un ingénieur

Alors que sa carrière automobile s’arrête à la fin des années 60, l’homme ne reste pas inoccupé. Il sort plusieurs Romans au milieu des années 50 et sera même critique littéraire.

Sa connaissance de l’automobile l’amène également à écrire quelques essais comme « Vivre sans pétrole » sorti en 1979. On ajoute « L’ingénieur de l’automobile », son premier ouvrage sorti en 1949 ou encore son œuvre d’historien avec « 50 ans d’automobile » dont le premier tome est dédié à la traction et le second aux automobiles électriques.

Collectionneur, il a gardé de nombreux concepts et cède le tout à Péchiney (société qui découle de l’Aluminium Français) en 1965. Cette collection est arrivée jusqu’à nous et vous pouvez la voir au Musée des 24 Heures.

Jean-Albert Grégoire décède le 19 Août 1992 à Neuilly-sur-Seine.

Photos additionnelles : Alchetron

Benjamin

http://newsdanciennes.com

Passionné d'automobile ancienne, il a créé News d'Anciennes en 2013 à force de se balader sur les salons sans savoir quoi faire de ses photos. Conducteur occasionnel de Simca 1100 il adore conduire les voitures des autres, dès qu'elles sont un peu plus rapides !

Commentaires

  1. MC

    Bel article. Un de nos grands ingénieurs.

    Répondre · · 10 décembre 2021 à 11 h 10 min

  2. Saharaad Azzaz

    Bonjour combien est côté une Voiture électrique CGE Jean Albert Grégoire de 1971? Merci

    Répondre · · 16 juillet 2022 à 9 h 11 min

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