L’étrange fin de la Sunbeam Tiger

Publié le par Pierre

L’étrange fin de la Sunbeam Tiger

Depuis mon arrivée au Royaume-Uni, je suis tombé amoureux des productions du groupe Rootes, dont les voitures ont très peu traversé la Manche. Du fait de son nom, la Sunbeam Alpine était obligée de m’intéresser, puisque c’est elle qui a empêché l’export de nos Alpine nationales pendant des années. Cependant, c’est le destin de sa version survitaminée, la Sunbeam Tiger, que je veux vous partager, tant l’histoire est ubuesque.

Notre histoire commence donc avec la Sunbeam Alpine, un élégant petit roadster présenté en 1959 pour remplacer le modèle précédent, basé sur la Sunbeam-Talbot 90 (oui oui, Talbot, le Talbot que Peugeot va ressuciter). Le groupe Rootes, propriétaire de la marque, se rend rapidement compte que s’ils veulent réussir à l’export, il faudra plus que le petit 4 cylindres 1,5 litres.

De la Sunbeam Alpine à la Sunbeam Tiger

Conscients qu’il n’ont ni le moteur ni les ressources pour en concevoir un adéquat, il est décidé de faire appel à un constructeur extérieur.

La première approche se fait auprès de Ferrari, excusez du peu, afin de retravailler le bloc d’origine, misant également sur le fait qu’un logo Powered by Ferrari serait un plus non négligeable au niveau commercial. Malheureusement, malgré des négociations démarrant plutôt bien, le projet finira par capoter.

Nous voici donc en 1962, le groupe Rootes engage une Alpine au Los Angeles Times Grand Prix, pilotée par le duo Stirling Moss / Jack Brabham, afin de promouvoir leur voiture sur le marché US. Ce dernier glisse au directeur de la compétition de Rootes, Norman Garrad, de glisser un V8 Ford dans la voiture, à l’instar d’AC qui a transformé l’Ace en Cobra.

Ça tombe bien, le fils de Norman, Ian, responsable des ventes du groupe sur la côte ouest des États-Unis, vit à deux pas des ateliers de Shelby American.

Des prototypes sous le manteau

Ian Garrad envoie donc son chef d’atelier, Walter McKenzie, faire le tour des concessions locales afin de trouver un moteur qui pourrait se glisser sous le capot de la petite Sunbeam. Armé d’un simple mètre en bois (un outil de haute précision s’il en est), il déduit que le moteur le plus à même de répondre à leurs besoins est le bloc Windsor 260 ci (4.3 litres) qu’on retrouve sous le capot des Ford Fairlane (il fera également une brève apparition sous celui de la Mustang).

Avec cette information, Garrad entre en contact avec Carroll Shelby pour avoir une idée du temps et du cout nécessaires à la réalisation d’un premier prototype. Le texan lui annonce alors 2 mois de développement et 10000$. Notre bon Ian contacte alors Brian Rootes, le fils du patron et surtout responsable des ventes pour l’ensemble du groupe, afin d’obtenir le financement. Ce dernier lui aurait répondu : « Pas de problème, pour ce prix, quand peut-on commencer ? Mais pour l’amour de Dieu, pas un mot à mon père jusqu’à ce que je vous fasse signe. Je vais me débrouiller pour les 10000$, certainement à partir du budget publicitaire »

Impatient d’évaluer la faisabilité du projet, Ian Garrad fait travailler, à ses frais, Ken Miles afin de réaliser un mulet permettant de savoir si le bloc Ford, accolé à une antique boite auto à deux rapports, rentre dans la voiture. Il y a un petit air de Le Mans 66, n’est-ce pas ?

Bref, fin avril 1963, Shelby propose une version définitive de la transformation (abandonnant la boite automatique pour une boite manuelle à 4 rapports) et les retours sont élogieux, les représentants de Rottes aux USA n’hésitant pas à affirmer que leur voiture offre des performances similaires à la Jaguar Type E.

Le projet, alors appelé Thunderbolt, est finalement présenté à Lord Rootes, qui semble avoir été plus qu’agacé par les méthodes employées. Il fait envoyer le prototype de Shelby en Angleterre afin que ses équipes et lui-même puissent l’évaluer.

Il fut tellement impressionné par son essai routier qu’à peine sorti de la voiture, il contacta directement Henry Ford II afin d’obtenir 3000 blocs Windsor, qu’il espère écouler dès la première année de commercialisation.

Le projet est alors mis sur les rails, avec pour objectif une présentation au Salon de New York 1964. La voiture prend alors le nom de Sunbeam Tiger, rappelant la voiture de records construite en 1925.

Une transformation à la main

La Sunbeam Tiger nécessite quelques aménagements par rapport à l’Alpine. Cependant ceux-ci sont relativement mineurs. Du côté des suspensions, des ressorts plus fermes sont installés à l’avant afin d’encaisser le poids supplémentaire, et le pont arrière se voit accouplé à une barre Panhard. Il faut également un nouveau boitier de direction, permettant de gagner de la place dans la baie moteur. La carrosserie et les freins sont quant à eux conservés tels quels.

Mal à l’aise vis-à-vis des relations que Shelby entretient avec Ford, Lord Rootes décide de faire assembler la voiture en Angleterre, non sans reverser des royalties à chaque véhicule produit et en utilisant le texan pour faire la promo de la voiture !

Cependant, l’usine de Ryton ne peut assurer la production du point de vue de l’espace, et l’usine de Linwood n’a pas les compétences techniques.

Jusqu’ici, rien de vraiment nouveau par rapport à ce que Guilhem nous avait raconté dans son essai de la bête. Comme il l’évoquait, la production de la Sunbeam Tiger se fait donc chez Jensen (qui venait de perdre la production de la Volvo P1800). Ils accouplent donc les coques préparées chez Pressed Steel avec les bloc moteur-boite directement livrés par Ford.

Mais c’est là que j’ai quelques détails croustillants (et dans le contexte, le mot est pour le moins adéquat) qui pourraient vous intéresser.

Afin d’accueillir le V8, la cloison entre la baie moteur et l’habitacle devait être modifiée. Là où une entreprise « normale » le ferait en la remplaçant par une nouvelle pièce de tôlerie, chez Jensen, la solution est plus.. pragmatique, dirons-nous.

Le type le plus costaud de l’atelier est en charge de reformer la cloison… À LA MASSE, en travaillant sur une coque déjà peinte. Si les mêmes méthodes étaient appliquées auparavant, on peut concevoir pourquoi Volvo n’était pas convaincu par la qualité fournie par leur sous-traitant. Petit souci supplémentaire, il n’a pas de remplaçant, chaque arrêt maladie ou congé se solde par une suspension de la production.

L’arrivée de Chrysler et… l’impossibilité de continuer

Comme nombre d’entre vous le sait surement déjà, en 1964, Chrysler prend le contrôle de 30% des parts du Groupe Rootes, alors au bord de la faillite, suite au lancement pour le moins compliqué de l’Hillman Imp.

Bien évidemment, le Pentastar ne voit pas d’un très bon œil la présence d’un moteur Ford dans une voiture leur appartenant. Il est donc décidé d’essayer d’implanter le V8 LA dans sa version 273 ci (4,5 litres) afin de conserver des performances équivalentes.

Même si le moteur est un peu plus large, on arrive encore à le glisser dans la baie moteur de la Sunbeam Tiger. Cependant, un petit détail vient mettre un grain de sable dans l’engrenage. Le distributeur est situé sur l’arrière du bloc, et non à l’avant comme sur le Windsor. Du coup, il faut modifier la cloison plus en profondeur. Vous sentez le coup venir ?

Notre bon mécanicien aux gros biscotos n’a jamais pu déformer la cloison suffisamment pour que le moteur puisse rentrer, scellant par là-même le sort de la Sunbeam Tiger.

Chrysler ne souhaitant pas investir un cent dans cette voiture qui semblait incongrue dans la gamme du groupe Rootes, ordre sera donné d’écouler les 200 et quelques derniers blocs Ford et d’arrêter la production.

Crédits photo : News d’Anciennes, Wheelsage

Pierre

Tombé dans la marmite automobile quand il était petit, il a rejoint l'équipe de News d'Anciennes en 2015. Expatrié en Angleterre depuis Mai 2016, il nous partage les évènements de là-bas. En dehors de ça, il partage une bonne partie de son temps sur la route entre une Opel Ascona et une Mazda RX-8.

Commentaires

  1. philippe

    C’est plutôt « notre » Alpine qui ne pouvait être exporté car le petit roadster Alpine (pas le cabriolet Talbot précédent) était déjà exporté dans mon enfance des années 60, et l’on se souvient que la R5 Alpine était « Gordini » en UK et Commonwealth. Du reste Carlos Tavares (!!) avait négocié le rachat des droits avec PSA lors du lancement du projet « nouvelle Alpine A110 ».

    Répondre · · 16 février 2022 à 17 h 15 min

    1. Pierre

      J’aurais du préciser « bloqué l’export de nos Alpine nationales vers le Royaume-Uni », effectivement. Pardonnez-moi, au bout de toutes ces années passé du côté obscur de la Manche, je finis par en oublier que ce qui peut sembler évident d’un côté ne l’est pas forcément de l’autre.

      Répondre · · 16 février 2022 à 19 h 46 min

  2. Antoine

    La cloison et le tunnel de boite n’ont jamais été modifié « à la masse »
    Il s’agit d’une pièce spécifique à la Tiger en tôle emboutie soudée sur la coque!

    Répondre · · 17 février 2022 à 15 h 39 min

    1. Pierre

      Le tunnel de boite est en effet une pièce spécifique emboutie, en revanche la cloison était modifiée à la main, en ayant recours à une masse

      Répondre · · 17 février 2022 à 18 h 55 min

  3. Etienne Prothery

    Je me rappelle qu’ à l’époque, on reprochait à la voiture des casser les goujons de roues au démarrage, à cause du couple trop important !

    Répondre · · 17 février 2022 à 16 h 42 min

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