30 ans après son dernier succès aux 24h du Mans, la Peugeot 905 était de nouveau présente à l’édition du centenaire du Mans Classic 2023. Et elle n’était pas présente que pour la parade puisque c’est bien une lionne qui a remporté la course du Groupe C Racing. Avant de vous replonger de cet évènement, revenons un peu sur l’histoire des Peugeot 905 qui ont écrit ces belles pages de la course Mancelle.



Deux changements de cap
En 1988, c’est l’effervescence au niveau du championnat du monde d’endurance. La FIA a statué et révélé une feuille de route ambitieuse, même si les décisions prises mettront quelques années à être mises en application. On sent déjà la volonté de « show » arriver dans ce championnat, souvent à l’écart des strass et des paillettes de la F1 (toute ressemblance avec l’époque actuelle… n’est que logique). Le championnat du monde d’endurance s’oriente vers des courses plus internationales (en gros, moins européennes) pour gagner un nouveau public en tablant sur une diffusion télévisée accrue. Encore une fois, l’époque dans laquelle nous vivons n’a rien inventé.
En parallèle, un nouveau règlement technique voit le jour. L’objectif est de tourner la page du Groupe C. Celui-ci a consacré Porsche, dominateur au début avant l’arrivée des Jaguar et Mercedes. Surtout, c’est côté moteur que la Commission Sport Prototype, calquée sur le fonctionnement de la F1, et qui justement harmonise la réglementation moteur de l’endurance sur la catégorie reine autour de moteurs atmosphériques de 3,5 litres de cylindrée tandis que le poids est limité à 750kg. L’objectif étant évidemment que certains constructeurs, séduits par des coûts « mutualisés » s’engagent sur les deux disciplines.
Les promesses sont belles et vont faire mouche.
« 80 semaines pour prendre le départ »
Cette phrase est tirée du communiqué envoyé par la direction de l’information des automobiles Peugeot à la presse le 23 Novembre 1988. La marque y annonce tout simplement son envie de rejoindre le championnat Sport Prototype. Peugeot Talbot Sport se cherche alors de nouveaux défis après l’abandon du Groupe B où elle a tout gagné et les victoires prestigieuses des 205 « recyclées » au Paris-Dakar.
Le communiqué dévoile déjà une feuille de route. La nouvelle voiture arrivera en compétition à la fin de l’année 1990 et sera engagée sur toute la saison 1991, année de lancement de la nouvelle réglementation. Pour parvenir à tenir le plan de marche, l’équipe de Jean Todt se renforcera.
Avec le communiqué de presse, on retrouve des illustrations, signées Philippe Bekretaoui, de ce que pourrait être la future Peugeot d’endurance. La machine est lancée.



La construction de la Peugeot 905
C’est sous la direction d’André de Cortanze, ancien pilote mais surtout ingénieur et directeur technique de Peugeot Talbot Sport de 1984 que le chantier de la voiture de Sport Prototype va être lancé. Son nom est vite trouvé : Peugeot 905 puisque la « Série 05 » est alors la reine des concessions au lion.
Côté châssis, on opte pour un autre rapprochement avec la F1. Finies les constructions en alu ou kevlar, c’est en fibre de carbone qu’on va fabriquer les entrailles de la bête. Peugeot n’étant pas familier avec ces techniques, le Groupe Dassault aidera, notamment à l’assemblage, mais celui-ci fournit surtout les solutions de CAO, solution novatrice à l’époque, qui vont dessiner l’auto.
Pour l’aéro, on choisit une pointure française : Robert Choulet. Celui qui a fait ses classes aux côtés de Charles Deutsch dans les années 60 a déjà un solide bagage manceau avec la création de la Matra MS640 (pas la plus belle ligne de son CV) mais aussi la longue queue des Porsche 917 ou la carrosserie de leurs versions Can-Am. Ajoutez l’Alfa Romeo 33TT12 et l’aéro des Ligier de F1 qui se battaient aux avant-postes. L’Imperial College de Londres et la soufflerie de l’Institut Aérotechnique de Sant-Cyr-l’École sont également mis à contribution.


Côté moteur c’est Jean-Pierre Boudy qui dirige l’équipe. Lui, a fait ses débuts chez Gordini avant de passer chez Renault et travailler sur les moteurs Turbo de F1. Un bagage qui l’amène chez PTS puisqu’il conçoit les moteurs Turbo des 205 puis 405 T16. Sauf que pour ce projet, pas question de suralimentation, la réglementation est formelle. La Peugeot 905 adopte donc un V10 atmo de 3,5 litres donné pour 650 chevaux !
Le plan de marche est respecté. Le 22 Février 1990, le moteur tourne. Le 15 avril la coque commence son assemblage et la boite est testée me 21 Mai. Le 20 Juin, la Peugeot 905 tourne à Montlhéry avant de prendre la direction du « Canard » de Ladoux, la piste de Michelin, partenaire du projet.
Le 4 Juillet 1990, 84 semaines après le communiqué initial, la Peugeot 905 est dévoilée sur le circuit de Magny-Cours devant 350 journalistes et en présence de Jacques Calvet et Jean Boillot. Jean Todt dévoile alors ses premiers pilotes. L’ingénieur-pilote, vainqueur en F1 et regretté Jean-Pierre Jabouille qui a étrenné la voiture roule de nouveau et on annonce qu’il fera équipe avec le Champion de F1 1982 : Keke Rosberg.

Un apprentissage difficile
Les débuts en course arrivent dans la foulée. Fin Septembre, la Peugeot 905 se présente au départ de sa première course : les 480km de Montréal. Aucune ambition dans cette course, mais la nouvelle voiture montre ses limites. La performance n’est pas au rendez-vous avec 3 secondes de débours, par tour, sur les meilleurs. La fiabilité n’est pas là non plus et l’auto abandonne. À Mexico deux semaines plus tard, la voiture voit au moins l’arrivée mais à une lointaine 13e place.
La Peugeot 905 est revue à l’intersaison. Place à l’Evolution 1 qui apporte des modifications au bénéfice de la performance ET de la fiabilité. Dire que ça paye est un grand mot, et pourtant…
Pour la première course de la saison au 430km de Suzuka, les nouveaux équipages de Peugeot sont Dalmas / Rosberg et Baldi / Alliot. L’impopularité du nouveau règlement « 3,5 litres » et surtout le coût de développement des nouvelles autos a entraîné une légère inflexion de la FIA, surtout envers les privés qui se sont doté de Porsche 962 en nombre les années précédentes. Ainsi seules 7 autos sur les 17 au départ sont conformes à la catégorie C1 tandis que les C2 sont les anciennes C1 qui évoluent avec du lest.
La Jaguar XJR-14 est impériale niveau performances mais va connaître des soucis de fiabilité. Etonnamment, c’est la Peugeot 905 de Baldi et Alliot qui en profite et remporte son premier succès quand la voiture sœur abandonne. À Monza puis Silverstone, ça rentre dans l’ordre, la Peugeot 905 est dominée tandis que seule Baldi et Alliot voient l’arrivée.
Les premières 24h du Mans de la Peugeot 905 arrivent. Deux autos sont engagées pour Alliot et Baldi, accompagnés de Jabouille pour l’occasion sur la n°5 et pour Rosberg, Dalmas et Raphanel sur la n°6. La première se qualifie en troisième position, joli score mais à presque 4 secondes de la pôle. La seconde est 8e, encore trois secondes plus loin.
En course, cela va se passer exactement comme Jean Todt l’avait prévu quand il parlait des « 6h du Mans ». La Peugeot 905 se montre véloce mais la voiture n’est encore développée que pour les courses sprint. La n°6 pointe en tête à la fin de la première heure. Au bout de 22 tours, à 18h05, le moteur de la n°5 a rendu l’âme. La n°6 va tourner jusque 21h46 quand c’est la boîte qui stoppe sa course après 68 tours couverts… C’est déjà mieux que ce que réalisent d’habitude les Peugeot 905 dans les courses sprint.



L’équipe Peugeot Talbot Sport pourrait repartir frustrée de ce premier rendez-vous mais il n’est pas raté. Les Peugeot 905 venaient pour apprendre et elles ont suffisamment appris pour que les ingénieurs ne se remettent au travail pour finaliser l’Evolution 1 Bis. Le moteur SA35-A2 sort 20ch de plus et économise une quinzaine de kilos.
Mais l’évolution la plus visible concerne l’aéro. La Peugeot 905 adopte un aileron arrière biplan semblable à celui de la Jaguar XJR-14. À l’arrière, la carrosserie est raccourcie. Surtout, la face avant est complètement redessinée avec des phares intégrés dans des ailes plus verticales et plus hautes. Tout à l’avant une double lame ajoute de l’appui supplémentaire.



Le 18 Août 1991, la Peugeot 905 Evolution 1 Bis court sa première course aux 430 Kilomètres du Nürburgring où aucune voiture ne termine. Mais l’embellie est là avec 24 tours passés en tête à la régulière. Dès la course suivante à Magny-Cours, Dalmas signe la pôle sur la n°6. Pourtant c’est la n°5 qui va mener les premiers tours et signer le meilleur tour. Finalement cette dernière, pilotée par Baldi et Alliot, finit 2e, derrière la voiture sœur de Rosberg et Dalmas.
Alliot signe de nouveau la pôle à Mexico mais ce sont encore une fois Rosberg et Dalmas qui mènent le doublé du lion. À Autopolis, seuls Baldi et Alliot voient l’arrivée avec la 4e place, Dalmas a signé le meilleur tour en course avant d’abandonner alors que sa voiture était en tête !

Mal débuté, le Championnat du Monde 1991 est finalement une bonne surprise pour les Peugeot 905. Avec 3 victoires, autant que Jaguar qui remporte le titre, l’équipe devance Sauber-Mercedes pourtant tenante du titre ! Cette saison d’apprentissage a porté ses fruits !
1992 : en route vers le succès
L’année 1992 commence mal pour l’Endurance. Mercedes, Jaguar et Nissan sont partis, Mazda est toujours présent mais avec les anciennes Jaguar XJR-14 motorisées par un V10 Judd, le même qui équipe la Lola T92, tandis que les Groupe C son définitivement écartées. La saison est réduite à 6 course et ce sont les Peugeot 905 Evolution 1 Bis qui seront au départ côté français. 12 autos au départ de chaque course, c’est peu.
Les 500km de Monza tournent à la farce. Les françaises signent pôle et meilleur tour mais sur la piste, c’est l’hécatombe. Seule la Toyota victorieuse est classée, la première Peugeot 905 est sortie à deux tours de l’arrivée mais prend tout de même la 2e place !
À Silverstone, seules deux voitures de la catégorie reine voient l’arrivée et c’est le duo Dalmas / Warwick qui s’impose devant une Mazda.
Arrivent les 24h du Mans 1992 que Peugeot a préparé avec des tests sur le Paul Ricard où les autos ont couvert plus de 5000km. Par prudence, la lame avant est démontée, la boîte renforcée et le régime moteur max est abaissé de 1000trs/min.
Trois Peugeot 905 Evo 1 Bis seront en piste. La n°1 sera confiée à Damals, Warwick et Blundell. La n°2 revient à Baldi, Alliot et Jabouille tandis que la n°31 est engagée pour Wendlinger, van de Poele et Ferté. La concurrence est rude avec des Toyota affutées et des Mazda en embuscade. D’ailleurs, si Alliot signe la pôle devant Dalmas, la troisième 905 est devancée par 3 Toyota.

Au départ, la prudence du clan Peugeot est frappante. C’est une Mazda qui prend la tête sur le mouillé. Par contre la n°31 est retardée assez vite par un accrochage. Au 24e tour la n°1 se porte en tête et la n°2 qui a résolu ses soucis de boîte prend la 2e place à 21h. Si la piste s’assèche, Alliot se fait piéger (deux fois) au petit matin et se retrouve 5e. Pour la 31, à 8h25 c’est l’abandon, moteur cassé.
La n°1 n’a pas quitté la tête et un arrêt nécessité par une défaillance de l’électronique n’interrompt pas longtemps sa marche en avant. Elle file vers le succès et finit par s’imposer devant une Toyota à 6 tours tandis que la n°2, de nouveau retardée en fin de course, échoue à la troisième place à 1 tour. Peugeot a gagné son pari, reste à parachever le travail.


Pour cela, il faut gagner le championnat. Warwick et Dalmas s’imposent à Suzuka, Alliot et Baldi partis en pôle sont 3e. À Magny-Cours, la Peugeot 905 conclut la saison avec un doublé. Baldi et Alliot l’emportent devant une nouvelle voiture, confiée aux « juniors » Bouchut et Hélary. L’équipe Peugeot Talbot Sport est sacrée championne du monde des constructeurs.
1993 : bis repetita
Alors que Peugeot avait préparé une surprise pour le Championnat du Monde des Voitures de Sport 1993, les belles promesses faites en 1988 paraissent bien loin. L’endurance est moribonde et la saison des Peugeot 905 va se résumer aux seules 24h du Mans. Pourtant Peugeot ne veut pas laisser Toyota seule en piste et revoit encore sa voiture. Le moteur gagne quelques chevaux et on monte une boite de vitesse transversale et séquentielle. En fait, on prépare la suite !
Trois Peugeot 905 Evolution 1 Bis seront au départ. Dalmas emmènera la n°1 avec un nouvel équipage complété par Thierry Boutsen et Teo Fabi. Alliot et Baldi seront épaulés par Jabouille sur la n°2. Enfin, l’équipage Junior, testé en fin de saison précédente et directement venu de la filière 905 Spider (qui n’a pas grand chose à voir avec la 905) composé de Eric Hélary et Christophe Bouchut est rejoint par Geoff Brabham, fils de Jack et quatre fois champion IMSA aux USA.
Alliot signe sa deuxième pôle d’affilée. Une Toyota se place entre sa n°2 et la n°1 de Dalmas. Brabham classe la troisième Peugeot 905 à la 6e place. Les voitures japonaises sont en forme.
Cela se confirme en course. Irvine est encore un jeune loup, mais il est rapide et prend la tête en début de course. La bataille est féroce et la n°2 ne récupère la tête que quelques heures avant que ce soit la Toyota de Lammers qui ne se porte en tête.


La n°2 va d’ailleurs connaître un gros soucis aux alentours des 20h mais la n°1 a pris la tête bientôt secondée par la n°3. Irvine ne se laisse pas abattre et bat 6 fois le meilleur tour en course au petit matin. La n°1 perd la tête à cause d’un collecteur d’échappement desserré et c’est le team « junior » qui prend la tête sur la n°3. Elle ne quittera plus la tête de la course.
La Toyota d’Irvine a des soucis d’embrayage qui permettent aux deux autres Peugeot 905 de monter sur le podium. La n°3 de Bouchut-Hélary-Brabham l’emporte devant la n°1 et la n°2 qui a vu une portière s’envoler comme dernière péripétie.

C’est la dernière course des Peugeot 905. Déjà, l’équipe s’est tournée vers son nouvel objectif : devenir motoriste en F1 avec McLaren.
La Peugeot 905 « Supercopter »
Fin 1992, Peugeot a dévoilé une Peugeot 905 Evolution 2 à la presse. Cette auto devait s’engager en championnat du monde pour l’année 1993 et on avait opté pour une approche radicale.
L’aéro avait encore fait un bon en avant. Pour les courses sprint, pas besoin de phares et les ailes avant sont devenues des déflecteurs servant à orienter l’air vers le milieu de la voiture. Là on retrouve un nez « façon F1 » mais plus large et un plan juste devant l’habitacle… sorte d’aileron à peine dissimulé. Tous ces appendices lui valent un surnom : Supercopter.
Pour améliorer encore les performances, la boîte séquentielle est inaugurée.
Néanmoins, tout n’est pas rose. La nouvelle voiture est pointue et finalement moins rapide que les Peugeot 905 Evolution 1 Bis. La mise au point s’annonce longue mais la décision de supprimer le championnat du monde 1993 vient rebattre les cartes. On conservera les Evolution 1 Bis, dotées de la nouvelle boîte et la Peugeot 905 Evolution 2 finira au musée…
En fait, elle n’ira pas directement puisque ce châssis roulant sera une bonne opportunité pour Peugeot. C’est dans cette autos que seront testés les futurs V10 destinés à la F1.


Les Peugeot 905 aujourd’hui
Après ces succès puis l’arrêt des Groupes C que sont devenues les Peugeot 905 ? On en trouve quelques-unes dans des Musées, notamment une Evo1 Bis au Musée de l’Aventure Peugeot à Sochaux ou encore une maquette Usine de la version initiale de 90/91 au Musée des 24h du Mans.


Mais le plus extraordinaire c’est que certains passionnés ont pu en acquérir parmi les 7 châssis construits et roulent en courses historiques, pour notre plus grand plaisir.
La 905 au Mans Classic 2023
J’espérais cette année voir courir deux Peugeot 905 au Mans Classic. Malheureusement la 905 Evo1 Bis de 1993 de Dominique Guénat n’étant pas présente en course, tous les espoirs restaient sur la seule 905 Evo1 Bis de 1992 d’Erik Maris. Nous avons beaucoup de chance que ce passionné fasse revivre en piste ce monstre sacré.


Avec 6 courses réalisées aux « vraies » 24heures du Mans dans différentes catégories Erik connait bien le circuit. C’était d’ailleurs la troisième participation en Peugeot 905 au Mans Classic pour ce pilote qui aime vraiment les Peugeot puisqu’il a également couru au Mans Classic avec la 908 HDI il y a quelques années (en catégorie Endurance Racing Legends).



Classé 6e aux 1eres qualifications, Erik est finalement arrivé en tête lors de la course principale du Samedi matin, une belle consécration de ses talents de pilotage et des capacités extraordinaires de cette auto qui doit être menée « à fond » pour s’exprimer.



Vous pouvez me croire qu’admirer l’évolution de ce bolide très rapide et surtout entendre la mélodie de son V10 rageur c’est vraiment très sympathique.





Après sa victoire la « bête » au repos dans les paddocks…quelle voiture extraordinaire.


On se quitte avec quelques images supplémentaires :









Images complémentaires : Peugeot, Artcurial, Wheelsage, Proto Design Peugeot,
Gougnard
belle aventure pour cette 905 merci Bruno
· · 25 août 2023 à 18 h 43 min
tourneux
merci Bruno pour cette rétrospective intéressante
· · 25 août 2023 à 21 h 23 min
Bruno Lelievre
C’est Benjamin qui a rédigé la partie historique qu’il faut aussi remercier, j’ai pour ma part rédigé la partie « les 905 aujourd’hui » avec les images réalisées au Mans Classic cette année.
· · 29 août 2023 à 18 h 27 min