Un problème, plusieurs solutions… et des succès divers. L’industrie automobile anglaise n’a d’ailleurs pas connu qu’un seul problème entre les années 50 et les années 2000 (quand elle a fini par rendre les armes) et les a traité par des choix divers qui se sont finalement tous retournés contre elle. Aussi étrange que cela puisse paraître, l’innovation a souvent été une voie explorée sans jamais s’avérer vraiment salvatrice. Dans cette voie, BMC a plutôt réussi, avec sa Mini. « En face », chez Rootes, on a proposé l’Hillman Imp qui a aussi eu une grosse carrière… mais n’en reste pas moins un vrai trompe l’œil ! On revient sur son histoire.



Suez comme déclencheur
Si l’Angleterre a toujours connu son lot de petites voitures, celles-ci étaient bien marginales au début des années 50. Et puis, en 1956, suite à l’arrivée au pouvoir de Nasser et au refus des USA et du Royaume-Uni de financer le barrage d’Assouan, l’Egypte décide de nationaliser le canal de Suez, alors propriété franco-britannique, pour engranger des devises. Les troubles militaires qui s’en suivent ne sont pas si important depuis les métropoles. En revanche, apparaît la difficulté qu’ont les deux pays pour se fournir en pétrole, qui vient, déjà, du Golfe persique par bateau. Les français et les anglais découvrent un prix du carburant élevé et les petites voitures deviennent alors de bonnes idées en raison de leur frugalité.
Si la France de l’après-guerre est relativement bien dotée en voitures bon marché et de petite cylindrée (grâce au Plan Pons), ce n’est pas le cas au Royaume-Uni. Les deux principaux groupes automobiles du pays se lancent donc dans l’étude de voitures plus petites, meilleur marché et surtout avec une certaine économie de carburant à la clé. Côté de la British Motor Corporation on fait confiance à Alec Issigonis qui va créer LE best-seller automobile anglais : la Mini.
La concurrence est incarnée par le groupe Rootes qui regroupe les marques Hillman, Humber, Commer mais aussi Sunbeam. Rootes aussi veut sa petite voiture, le groupe n’en propose aucune dans ses différentes gammes et on lance donc le projet Apex qui part dans de nombreuses directions mais qui sont opposées à celles prises par BMC. On ne fera pas confiance à la traction avant… mais il faut quand même proposer quelque chose de nouveau, ne serait-ce que pour attirer le client.
L’Hillman Imp : tout un concept
Le projet Apex est lancé dès la crise de Suez. En fait, il n’est pas demandé par les dirigeants du groupe mais c’est une proposition de deux ingénieurs : Tim Fry d’un côté et Mike Parkes de l’autre. Si le nom de ce dernier vous dit quelque chose, c’est parce qu’il a également été pilote de F1, pour Ferrari, en 1966 et 1967, glanant une pôle et deux podiums ! En cette fin des années 50, il pilote en F2 et émarge chez Rootes en tant qu’ingénieur.
Ils ont leur idée d’une petite voiture, la propose et reçoive la bénédiction de la direction pour la développer ! Vous aurez compris qu’on s’embarque dans une histoire de voiture d’ingénieur et que ce n’est pas forcément bon signe quand on parle d’une voiture qui doit être produite à grande échelle. Le concept va aller en ce sens. On va additionner de nombreuses solutions techniques originales qui sont viables… si elles sont prises une à une.
Premièrement, le point central sera le moteur. Dans le groupe, on ne propose que des gros moteurs. Néanmoins, il y a bien un spécialiste des petits moteurs en Angleterre : Coventry-Climax qui a su détourner des moteurs de pompe à incendie en véritables moteurs de course qui ont connu le succès… en F1 ! On se penche sur le plus petit : le FWM qui cube 742cm³ à la base. Chez Rootes on voit de suite un autre avantage : il est en alu !
Pour faire une voiture de petite cylindrée, mieux vaut, en effet, avoir une voiture légère et l’alu est alors un bel allié. Le FWMA peut monter jusqu’à 998 cm³ de cylindrée ce qui permet de créer une véritable gamme… sauf qu’on va vite se rentre compte que pour une utilisation non-chemisée et routière, le 875cm³ sera la limite. Il sera accolé à une boîte-pont à 4 rapport, tous synchronisés ce qui est rare à l’époque.

L’implantation maintenant. On a déjà exclu la traction. Mais l’arbre de transmission pèse son poids sur une petite auto… sauf si on n’en a pas ! On décide donc d’implanter le moteur à l’arrière de la voiture et de l’incliner de 45° pour descendre son centre de gravité. Autant cette solution est répandue en Europe (chez Renault, chez Fiat, etc), autant c’est une nouveauté anglaise. Pour éviter le survirage inhérent à l’architecture on s’embarque dans la conception d’un train arrière avec roues indépendantes qui s’avère complexe.

Cette implantation va forcément marquer le design et les volumes de l’auto. Dans un pur classicisme anglais (mais la R8 fera de même) on garde un capot relativement volumineux à l’avant. L’arrière propose également un coffre plat et l’habitacle est au centre. La voiture est tout de même innovante sur ces volumes puisqu’elle s’adresse à des familles et qu’il faut pouvoir emmener des bagages. La banquette arrière est donc rabattable (famille oui, on na pas dit « avec enfants ») et on peut y déposer des bagages en ouvrant la lunette arrière qui devient un quasi-hayon (solution qu’on reprendra bien plus tard sur la Talbot Sunbeam).


L’Apex est prête… mais ça a pris du temps : nous sommes alors en 1962. En échange d’une Humber Super Snipe, Rootes rachète un nom à une société qui produit des moteurs marins : Imp. Signifiant « lutin », ce petit nom est parfait pour une petite voiture qu’on voit en tant que concurrente de la Mini. L’Hillman Imp est prête à déferler sur les routes anglaises.
L’industrialisation : concentré de mauvaises idées
C’est le 2 Mai 1963 que le duc d’Edimbourg est invité dans les faubourgs de Glasgow à inaugurer l’usine de Linwood et, au passage, à la présentation officielle de l’auto qui y sera produite : l’Hillman Imp, vous l’aurez compris. Sauf qu’il faut aborder l’aspect industriel de l’Hillman Imp et donc cette usine de Linwood qui va avoir un énorme impact sur la carrière de la voiture.
Linwood et toute la région de Glasgow forment une zone sinistrée en cette fin des années 50 et début 60. La construction navale faisait tourner l’économie locale mais les chantiers ont fermé. Néanmoins, les pouvoirs publics ne veulent pas laisser les électeurs travailleurs sur le carreau et offrent donc une grosse subvention à Rootes pour venir s’installer à Linwood. Le choix du moteur a été prépondérant : Rootes n’a pas d’usine pour couler le moteur en alliage et l’Hillman Imp doit s’accompagner d’une nouvelle usine.
En fait, on va même plus loin puisque l’usine Rootes s’accompagne d’une seconde usine, celle de la Pressed Steel Company, société née de l’alliance de William Morris et de Budd Corp., société américaine spécialisée dans l’emboutissage. C’est Pressed Steel qui va fournir les éléments de carrosserie à l’usine de Linwood qui va construire les Hillman Imp… mais pas seule. Si vous êtes fans de chaîne logistique, vous allez vous régaler.

Le processus de construction de l’Hillman Imp est un gros bazar, pour rester poli. On commence par couler les blocs moteurs à Linwood. Sauf que leur usinage et leur assemblage restent localisés à Ryton-on-Dunsmore, l’usine principale du groupe Rootes, située à côté de Coventry et distante de 480 km ! Les blocs prennent donc le train, les moteurs sont assemblés et on en profite pour ajouter quelques sous-ensembles mécaniques qui remontent en Écosse pour être assemblés et créer une Hillman Imp. 960km, joli score.
Pour essayer de créer une meilleure logistique, on ne décidera jamais de déménager une des usines et on se contentera plutôt de faire produire les éléments de carrosserie des Hillman Avenger à Linwood pour les mettre, eux aussi, dans le train.

Un échec qui fit long feu
Avant le lancement de l’Hillman Imp en 1963, la presse automobile anglaise a déjà bien traité le sujet et annoncé l’arrivée de la nouvelle auto. En fait c’est surtout l’utilisation d’un bloc moteur en alu qui est loué car c’est alors une vraie nouveauté technologique. Quand l’auto arrive dans les concessions, c’est plutôt son prix qui est mis en avant : 508£ pour la version standard et 532£ pour la version luxe. Quand on compare, la Mini est moins chère mais en fait, l’Hillman Imp ne veut la concurrencer qu’au niveau du volume des ventes. Les deux autos sont bien différentes et ne sont, finalement, pas tellement concurrentes.


L’Hillman Imp a plutôt réussi son pari au niveau du comportement ainsi qu’au niveau de ses performances. Son moteur de 37ch lui permet d’atteindre les 129 km/h, bien aidé par son poids de 670kg à vide !
Les bonnes nouvelles sont là. On table sur une vitesse de croisière de 100.000 voitures produites chaque année. Il faut dire que la Mini a dépassé, en 1962, les 200.000 exemplaires annuels ! En 1963 on écoule 33.000 Hillman Imp et 50.000 sont vendues en 1964.
Cette année là apparaît la première idée de diversification de la gamme : on va ajouter un coupé à l’Hillman Imp : l’Hillman ZImp. Le Z qui traîne est celui de Zagato, si, si. Par contre, c’est aussi en 1964 que Chrysler rentre au capital de Rootes avec, d’abord, 30% des parts. On taille dans les coûts et la ZImp est une des premières sacrifiée alors que trois prototypes ont été produits.
Seulement, à ce moment là, l’Hillman Imp se prend un sacré retour de bâton. Comme d’autres constructeurs l’apprendront plus tard (Alfa Romeo à Arese, DeLorean en Irlande ou Bricklin au New Brunswick), une grosse subvention pour ouvrir une usine automobile là où il n’y en a pas signifie aussi que la main d’œuvre n’est pas qualifiée. Passer de la construction navale à la construction automobile ne se fait pas comme ça et les problèmes de qualité sont fréquents… et pas aidés par la chaîne logistique.
Ajoutez à cela un vrai problème de refroidissement, accouplé à des mécaniciens peu rompus aux blocs alu, et vous voyez poindre les avis négatifs. L’Hillman Imp est mal vue et les ventes dévissent : 42.000 exemplaires en 1965.
Cette année-là est pourtant la première de l’Hillman Imp MkII. Devant les soucis rencontrés par la première mouture, on s’est remis au travail. Côté esthétique, peu de changements, si ce n’est que la baguette latérale est affinée et la calandre modifiée. Quelques menus changements sont apportés aux finitions et un MkII est apposé sur les carrosseries.
Par contre, côté technique, on modifie tout ce qui peut entraîner des soucis de fiabilité côté moteur. La commande d’accélérateur, pneumatique, et le starter automatique sont remplacés par des systèmes plus conventionnels. Le moteur change également de pompe à eau pour palier aux soucis de refroidissement tandis que les soupapes gagnent en taille. Enfin, on revoit la géométrie du train avant.

En plus de ces modifications, on introduit les premières variantes de l’Hillman Imp. Comme la Mini, la petite voiture de Rootes va être déclinée pour se retrouver incluse dans les différentes marques du groupe en fonction de leurs spécialités.
On commence avec une version plus luxueuse, proposée chez Singer, c’est la Chamois lancée en Octobre 1964 et qui sera même dotée d’une version Rallye l’année suivante avec un moteur poussé à 998cm³. Ensuite, en 1965, Commer, qui est spécialisée dans les utilitaires, reçoit la Commer Imp qui est en fait un Van tôlé… qui conserve son moteur arrière !


En 1966 c’est Sunbeam qui a droit son Imp, c’est la Sunbeam Imp Sport qui reçoit un deuxième carburateur et, évidemment, plus de puissance. On ne change pas la cylindrée. Même en améliorant les process, ces modifications restent l’apanage des préparateurs et bricoleurs et réservés à la course… sous peine d’avoir une fiabilité encore plus basse !
L’idée du Van est améliorée. Cette fois c’est directement chez Hillman avec la Husky qui est un break vitré lancé en 1967.

C’est cette même année qu’on propose l’Hillman Imp Californian, un coupé qui est aussi proposé en Singer Chamois et Sunbeam Stiletto. Le pavillon retombe plus doucement mais plus tôt alors que le châssis n’est pas modifié… pas plus que la puissance de la voiture !


L’année 1968 est celle de l’apparition de l’Hillman Imp MkIII bien que cette appellation n’ait jamais été officielle. Les modifications sont bien moins importantes qu’en 1965 et les principaux changements se situent à l’intérieur avec un nouveau volant et un tableau de bord entièrement repensé. La calandre est redessinée, juste ce qu’il faut pour différencier cette nouvelle version. Ces nouveautés sont accueillies fraîchement car l’ergonomie en pâtit réellement mais cette refonte est l’occasion rêvée pour Chrysler, qui vient de finaliser le rachat du groupe Rootes, d’imposer ses vues.

Le rachat par Chrysler a d’ailleurs une autre conséquence. En 1967, TVR avait dévoilé sa nouvelle auto : la TVR Tina qui abandonnait la philosophie des TVR précédentes. En fait c’était une version recarrossée de l’Hillman Imp ! Problème : Chrysler ne veut pas en entendre parler !


Malgré les engagements réguliers en compétition où l’Hillman Imp court en club, en rallyes et essaye de concurrencer la Mini sur des courses réservées aux moins de 1 litre, malgré des baisses de prix sous l’ère Chrysler, rien ne relance vraiment la carrière de l’Hillman Imp. Les version Van et Break tirent leur révérence dès l’année 1970. La marque Singer est, elle, supprimée et sa Chamois l’est également, même si elle est remplacée par la Sunbeam Sport. Les stocks montrent pourtant que ces versions se vendent jusqu’en 1973 ! Le début de la fin ?
C’est généralement ce qu’annonce la disparition de certaines versions. Sauf que dans le cas de Chrysler UK… on joue le conservatisme jusqu’au bout et la production continue. Aucun changement, aucune nouvelle version de l’Hillman Imp n’est pourtant proposée. En 1973, la Sport et la Stiletto quittent elles aussi la gamme. Cela suffit néanmoins à la laisser au catalogue… jusqu’en 1976.
À cette date, on stoppe tout. Chrysler entre en discussion avec PSA pour le rachat de sa branche européenne et l’Hillman Imp n’est toujours pas la concurrente de la Mini qu’on espérait… et puis elle a quand même 13 ans. L’usine de Linwood perd une auto mais une autre subvention permet de lui attribuer une voiture qui commence son développement qui se terminera dès 1977 : la Chrysler Sunbeam, future Talbot Sunbeam.
Le bilan de l’Hillman Imp ? Rappelez vous, on prévoyait d’en produire 100.000 exemplaires par an. La meilleure année aura été 1964 avec ses 50.000 exemplaires. Ensuite, dès 1969, la production tombe sous les 30.000 exemplaires et même sous les 20.000 dès l’année suivante ! Le chiffre se stabilisera ensuite autour des 15.000 Hillman Imp vendues chaque année.
Si on entre dans le détail, 369.504 Hillman Imp ont été vendues. Il faut ajouter 45.101 Chamois, 7944 Sport, 7949 Stiletto, 10.490 Husky et 6.122 Californian. Des chiffres bien loin des attentes, surtout pour une voiture qui a eu une telle carrière !
Merci à Richard Sozanski de l’Imp Club pour la documentation.
Photos additionnelles : Imps4ever


denis
benjamin !! on en apprends toujours avec vous.
et c’est tant mieux
· · 27 décembre 2023 à 18 h 22 min
Marc
Comme d’habitude toujours passionnante et enrichissante ton histoire de l’Hillman que l’on connaît moins que la Mini
Merci Benjamin
· · 27 décembre 2023 à 18 h 32 min