Essai d’une Talbot-Lago T14 America, belle, moderne et sans héritière

Publié le par Benjamin

Essai d’une Talbot-Lago T14 America, belle, moderne et sans héritière

Quand Fabien m’a dit, il y a déjà quelques années, qu’il avait croisé une magnifique T14, j’étais impressionné. C’est une auto qu’on voit peu. Quand il me montra les photos et qu’elle présentait un badge rouge, je me dis qu’il avait même croisé une rareté. Et puis le propriétaire étant particulièrement sympathique et prêt à partager sa passion, il fallait absolument que je puisse essayer. Direction la région lyonnaise pour faire un tour dans la dernière auto de sa marque : la Talbot-Lago T14 America.

La Talbot-Lago T14 en bref

Pour le coup, on va faire très court puisque vous retrouvez son histoire par ici :

Si on veut résumer, on peut dire ceci. La ligne naît sur la T26 GSL, élégante, dessinée par Carlo Delaisse, et produite à 15 exemplaires. Suit la T14 LS, plus petite et motorisée par un 4 cylindres maison de 2,5 litres et 120 chevaux. Performante, mais chère et pas forcément assez noble, il ne s’en vend que 45.

La réaction se fait avec un moteur V8 ! La cylindrée reste à 2,5 litres mais on va, cette fois, chercher le moteur chez BMW. Baptisée America car c’est le marché qu’elle vise, elle ne connaît pas le succès avec 12 autos vendues.
Les derniers châssis seront même équipés d’un V8 Vedette lorsque Simca absorbe Talbot !

On parle donc d’une auto particulièrement rare.

Notre Talbot-Lago T14 America du jour

Je ne vais pas tourner autour du pot : je trouve cette auto simplement magnifique. Carlo Delaisse a vraiment réalisé un superbe travail. Plus connu pour ses réalisations pour Chapron, Dubos ou encore Letourneur et Marchand, son travail sur la T26 est magnifique. Car la ligne de la T14 America est bien née sur la T26 GSL (Grand Sport Lago) en 1953 et n’a presque pas été modifiée sur la T14 pourtant plus petite.

C’est donc une ligne ponton, basse, élancée mais ronde, large mais fine qu’on retrouve sur la Talbot-Lago T14 America. On se retrouve devant une auto qui n’a pas grand chose à voir avec les production précédentes de la marque, en même temps c’était le but ! Une ligne plus sportive et moins statutaire vraiment taillée pour conquérir de nouveaux marchés.

L’avant propose une calandre large et chromée, encadrée par les phares classiques, au bout de leurs ailes rebondies, et des phares additionnels fixés sur le pare-chocs. Celui-ci est simple et presque massif mais son chrome apporte vraiment quelque chose à la ligne.

Les formes sont douces et rondes, le bleu leur va très bien. Le capot est long et surmonté d’une petite prise d’air : c’est à cela qu’on reconnaît ces versions à moteur V8.

Le profil est magnifique, voilà que je me répète. Les proportions sont parfaites avec un avant assez long, un habitacle vers l’arrière, pas trop haut, avec un pavillon qui ne cesse de retomber. L’arrière présente un beau porte à faux qui ajoute encore au dynamisme.

Les surface vitrées sont bien travaillées, avec des montants assez fins et des découpes étudiées. La lunette arrière « panoramique » devait être un beau défi pour les verriers de l’époque.

L’arrière est vraiment dans l’air de son temps. La Talbot-Lago T14 America présente des ailes loin des caricatures américaines mais marquées malgré tout. Les petits feux y sont intégrés et elles encadrent le coffre avec une belle ouverture et des charnières apparentes.

Là encore le pare-chocs est massif mais apporte une touche de chrome décoratif appréciable. Le monogramme rouge permet également de reconnaître notre version V8, reprenant le 2500 de la version 4 cylindres mais mentionnant bien America. En dessous, les pots d’échappement sont longs et paraissent presque flotter. J’ai bien envie de les faire chanter !

Difficile de décrocher le regard. J’ai pris bien trop de photos de cette Talbot-Lago T14 America… mais elle le mérite !

Un intérieur inédit

Là je vous ai peut-être étonné mais oui, la T14 America possède un intérieur inédit. Cette dernière Talbot (version « Vedette » exceptées) est également la première à être proposée de base avec le volant à gauche. La signature des voitures françaises de luxe, le volant à droite n’était au final pas adapté au marché français… et en plus cette auto là visait le marché américain.

Cet habitacle étonne aussi par sa taille. Avec une ligne basse et une auto pas forcément très massive on pourrait penser à un intérieur étriqué mais il est plutôt logeable. Les sièges avant et arrière sont larges et épais. Bon, on va être francs, ceux de l’arrière ne pourront pas emmener des adultes, que ce soit pour la place au niveau des genoux ou pour la garde au toit, mais au moins on pourra partir en famille.

La planche de bord est simple mais bien dessinée et habillée. Dire qu’en France on pouvait se passer de plastique ou de tôle peinte… Le noir du simili est bien conservé. L’instrumentation est un peu chiche puisque les seuls compteurs d’origine permettent d’avoir la pression d’huile, la vitesse (en miles), le régime moteur et la jauge du réservoir d’essence. Le reste est confié à des voyants… et ce n’est pas assez puisque cette Talbot-Lago T14 America a finalement été dotée d’une platine supplémentaire pour la température d’eau, et quelques commandes et voyants supplémentaires.

Au dessus trône fièrement un carré reprenant 9 boutons… sans aucune indication, deux autres se plaçant totalement à gauche. Vite, sortez le mode d’emploi !

Sinon, pour les commandes principales, on retrouve des pédales assez espacées avec un accélérateur au plancher, un gros volant à 4 branches et un levier de vitesse plutôt haut vu la taille de l’habitacle.

Dernier détail qui nous replace bien dans l’ambiance des années 50, l’allume cigare et le cendrier sont bien plus accessibles que les clignotants par exemple !

Une mécanique allemande !

C’est la vraie spécificité de notre Talbot-Lago T14 America. Quand on bascule le capot vers l’avant on se retrouve face à un moteur venu de Bavière.

Le gros 4 cylindres était certes performant mais s’était montré plutôt fragile. Et puis 4 cylindres dans une Talbot-Lago sportive, chère, la pilule était compliquée à faire passer. Et forcément un V8, ça passe mieux.

Ce moteur c’est donc celui qu’on retrouve sur les BMW 501 et 502… du moins sa base. Car sur les allemandes il cube 2580 cm³. Dans notre auto du jour c’est une cylindrée de 2476 cm³ qu’il affiche. Le but étant simplement de rester dans la catégorie des 14cv.

Pour autant, il est équipé de deux carburateurs, comme sur la 507 par exemple, même si celle-ci était équipée d’un moteur de plus grosse cylindrée (3168 cm³). Il sort une belle puissance, pour l’époque, de 138 ch.

C’est une cavalerie qui fait le job dans le châssis français. Relativement légère, environ 1200kg, la Talbot-Lago T14 America file à 200 km/h, une performance alors rare, pour une voiture française. Du côté des trains roulants on garde un arrière avec un essieu rigide avec lames et des freins à tambours aux quatre roues.

En bref : un mélange à la fois rustique et performant. On va voir ce que ça donne au volant.

Au volant de la Talbot-Lago T14 America

Notre belle française n’a pas tourné depuis plusieurs semaines. Ce n’est pas pour autant qu’elle rechigne à démarrer. Le démarreur lance le V8 BMW qui s’ébroue dans un son très sympathique. Pour le coup la sonorité est un peu à part. On est à la fois loin du V8 à l’américaine, même du début des années 60, loin du V8 à l’italienne, peu répandu dans les années 60. Le son est puissant, caverneux. Ça donne une impression de performance, sans pour autant être rauque et vouloir montrer du muscle. En fait c’est en adéquation avec l’image qu’on s’est faite de la Talbot-Lago T14 America à l’arrêt !

L’installation se fait parfaitement. En plus d’être beau, cet habitacle offre une ergonomie plutôt moderne. Contrairement à certaines autos qui circulaient encore au moment où cette Talbot-Lago T14 America sortait des usines de Suresnes, on se retrouve assis plutôt bas. C’est plutôt une bonne nouvelle, même à l’arrêt, car le volant ne vient pas trop s’appuyer sur les jambes. Je règle la distance du siège. Et c’est parti.

Première, la vitesse rentre bien. Pour le coup je n’ai aucun souci à dire qu’elle est bien verrouillée. J’accélère doucement et la pédale me le permet tout à fait. Je relâche l’embrayage doucement et je trouve le point de patinage assez facilement. Le couple, pas camionesque mais bien suffisant, du V8 bavarois fait le reste.

La Talbot-Lago T14 America est lancée sur la route. Comme je vous l’ai déjà mentionné dans cet article, l’une des première chose que je fais en me lançant dans un essai, c’est le test des freins. La pédale s’enfonce et je sens vite son effet. Elle est facile à doser mais je ne vais pas vous mentir, nous sommes au volant d’une auto de 1958. Le freinage est correct mais après les résultats de ce test, on évitera de s’emballer !

Je relance la machine et je passe la seconde. Toujours ce verrouillage exquis de la boite tandis que notre française prend de la vitesse. Les premiers virages s’amorcent sans aucune appréhension. J’aime les gros volant, celui-là tourne bien et permet de placer les roues pile là où je le veux. La Talbot-Lago T14 America est rassurante dans ses placements. La direction ne montre pas de vrai souci de guidonnage et l’état de la route ne la met pas en défaut.

Nous voilà à un stop, légèrement en montée. J’aimerais avoir un peu de marge histoire de ne pas rater un démarrage en cote qui me ferait reculer dans la méchante Renault qui suit. Mais au bout d’un moment, faut y aller. Le point de patinage étant facile à trouver, je me lance sans accroc. Maintenant, il faut accélérer histoire de ne pas se faire klaxonner par un Kona gris (forcément). Parce que je suis quand même au volant de la dernière Talbot-Lago et que c’est une histoire de classe !

L’accélérateur s’enfonce. Je ne tire pas sur le moteur inutilement et passe la deuxième au milieu du compte-tours. Même chose pour la troisième qu’il faut bien aller chercher sur le côté droit mais avec ce guidage et ce verrouillage de la boîte, ça reste un vrai plaisir. Vive ZF ! La quatrième ne sert qu’à soulager et me voilà calé à un bon 80 des familles sur une nationale bien chargée. Ça débauche tôt dans l’Ain !

La Talbot-Lago T14 America a beau accuser 63 ans, cela ne l’empêche pas d’être à l’aise dans la circulation moderne. La puissance, généreuse pour l’époque mais normale de nos jours, aide bien à la chose. Son gabarit devenu frêle également. On a presque peur de ne pas être vu !

Voilà maintenant un passage urbain. Ce n’est certainement pas le meilleur endroit pour conduire notre belle du jour, mais il faut bien y passer. Les ronds-points ne sont pas un souci. Il faudra juste bien penser que pour mettre les clignotants, on doit tendre le bras puisque la commande est en plein centre du tableau de bord. Certains conducteurs optaient pour un commodo accessoire, on les comprend aisément ! Les dos d’âne seront un peu plus problématiques. Non pas à cause du confort puisque le rustique système arrière à lames fait son office. Par contre la Talbot-Lago T14 America reste basse et l’échappement l’est encore plus. Et quand les services d’urbanisme font mal leur travail, ça racle.

Le gros bourg que nous traversons permet au moins à notre belle de rencontrer son public. Le son du moteur fait se retourner les connaisseurs. Pas par sa puissance mais par le simple fait qu’il est différent de la cohorte de 4 cylindres turbo-diesel qui nous précède. Et puis ceux qui regardaient déjà dans le bon sens lèvent les pouces. Une belle auto comme ça, ils n’en ont peut-être jamais vu. Avec aussi peu d’exemplaires, c’est plutôt normal. Si ils savaient quel morceau d’histoire ils ont devant les yeux, nulle doute que les smartphone sortiraient plus facilement. Mais notre auto du jour reste méconnue.

Un énième rond-point est avalé et j’ai une belle ligne droite pour moi tout seul. Le panneau de ville est dépassé alors que je suis encore en première, je laisse le moteur monter un peu plus dans les tours. Il se fait d’un coup plus présent. Sans pour autant vous rendre sourd, le V8 BMW s’exprime et commence à pousser. Passé les 3000 tours la puissance est là. Attention, la cavalerie reste limitée à 138 ch, mais c’est bien assez pour faire apparaître des vitesses élevées sur le compteur. On va d’ailleurs calmer un peu, n’oublions pas qu’il est en miles !

À ces vitesses de GT, celles pour lesquelles la Talbot-Lago T14 America est prévue, le confort est top. Le moteur se fait bien entendre, mais c’est plus pour participer à l’ambiance que pour vous pousser à accélérer. La direction et l’amortissement sont excellents. Bien sûr j’anticipe les grandes courbes, ce n’est pas une ballerine et elle n’est pas toute jeune. Les virages plus serrés et les ronds-points demandent un peu plus d’attention. Le freinage est à la hauteur mais il faut tout de même l’anticiper.

Retour à un train plus léger, surtout que je vais avoir du mal à dépasser dans la circulation chargée de ce vendredi après-midi. La Talbot-Lago T14 America se fait grande voyageuse. On apprécie simplement le fait d’être au volant d’une des toutes dernières autos produites par la marque.

Je pourrais rouler encore longtemps à son volant. La Talbot-Lago T14 America n’est pas fatigante et c’est encore plus intéressant quand on se rappelle son âge. Un âge où les françaises étaient des joyaux automobiles, avant qu’on ne décide que la verroterie convenait tout à fait au français moyen. Dommage.

Conclusion :

Quand on pense à une auto construite à la fin de la vie d’un constructeur, avec un moteur et divers autres éléments chinés sur les étagères des équipementiers, on peut avoir peur du résultat.

Mais la Talbot-Lago T14 America est conforme à ce qu’on attendait d’elle. Une auto faite pour rouler, plutôt vite, longtemps, dans un certain confort et en faisant tourner les têtes. Elle est surtout raffinée, moderne, facile à conduire, du niveau des populaires qui arrivèrent sur le marché quelques années plus tard. Une auto très plaisante… dommage qu’il y en ait si peu !

Les plusLes moins
Une ligne magnifiqueTrès rare
La dernière Talbot-LagoLes pièces spécifiques
Un moteur agréable
Une Talbot moderne
image 8- Talbot-Lago T14 America

Conduire une Talbot-Lago T14

Si vous êtes séduits, si vous en voulez une… et bien commencez à chercher dès maintenant. Les Talbot-Lago T14 sont rares… et vous devinez la corolaire sur le prix.

Les versions LS sont les plus répandues, même si on ne parle que de 45 exemplaires. Leur 4 cylindres n’avait pas une très belle réputation mais on en trouve. Artcurial en avait proposé deux à Rétromobile l’an dernier et les prix s’établissent autour des 200.000 € pour les modèles non restaurés. Ceux qui sont parfaits peuvent viser les 300.000 €.

Les Talbot-Lago T14 America sont très rares et forcément plus chères. Cependant on en trouve jamais en vente ou presque, difficile de vous donner un prix mais il est supérieur à celui des LS.

Les pièces seront forcément compliquées à trouver mais les amateurs de la marque forment un beau réseau qui saura retrouver presque tout. Il faudra juste de la patience.

Un grand merci à Ben pour nous avoir laissé le volant et à la mairie d’Ambronay pour le spot photo.

Fiche Technique de la Talbot-Lago T14 America
MécaniquePerformances
Architecture8 cylindres en VVmax200 km/h
Cylindrée2476 cm³0 à 100 km/hNC
Soupapes16400m daNC
Puissance Max138 ch SAE à 5000 tr/min1000m daNC
Couple Max230 Nm à 5000 trs/minPoids / Puissance8,69 kg/ch
Boîte de vitesse4 rapports manuelle

TransmissionPropulsion
ChâssisConso Mixte
Position MoteurLongitudinale avantConso Sportive
FreinageTambours AV et AR
Dimensions Lxlxh420 x 164 x 132 cmPrix 19582.900.000 francs
Poids± 1200 kgPrix 2021
± 350.000 €

Benjamin

http://newsdanciennes.com

Passionné d'automobile ancienne, il a créé News d'Anciennes en 2013 à force de se balader sur les salons sans savoir quoi faire de ses photos. Conducteur occasionnel de Simca 1100 il adore conduire les voitures des autres, dès qu'elles sont un peu plus rapides !

Commentaires

  1. Gerard ABADJIAN

    Un essai vraiment formidable !

    Répondre · · 12 juillet 2021 à 17 h 47 min

  2. Jean-Christophe

    Une voiture (et un modèle) magnifique !

    Répondre · · 12 juillet 2021 à 19 h 10 min

  3. Ben

    Bonjour Benjamin oui c est une belle auto merci à vous super article
    Ben

    Répondre · · 12 juillet 2021 à 21 h 09 min

  4. philippe centa

    Beaucoup plus chère et moins raffinée qu’une Jaguar XK150 elle n’avait aucune chance

    Répondre · · 12 juillet 2021 à 22 h 52 min

  5. Ilya

    Superbe Talbot !
    Je crois que si je devais choisir une auto d’exception à avoir elle serait mon Graal.

    Répondre · · 13 juillet 2021 à 21 h 29 min

  6. Christine

    Éventuellement à vendre

    Répondre · · 21 juillet 2021 à 8 h 26 min

  7. Christine

    Éventuellement à vendre

    Répondre · · 21 juillet 2021 à 8 h 30 min

    1. Ben Nassia

      Oui

      Répondre · · 23 juillet 2021 à 5 h 23 min

  8. Ben Nassia

    Véhicule à vendre oui

    Répondre · · 26 juillet 2021 à 8 h 45 min

Répondre à philippe centaAnnuler la réponse.

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