C’est une voiture à la remarquable histoire. Une voiture unique qui mélange ce qui se fait de mieux niveau people (des années 50) et au niveau mécanique. Cette Ferrari 375 MM unique se retrouve, avec d’autres autos, au centre d’une enquête autour de soucis fiscaux et de faux documents. Certains grands noms de la voiture ancienne (pas tous italien) sont d’ailleurs cités dans cette affaire !
Une histoire de traçabilité
C’est la Corriere Della Sera qui a révélé cette affaire dans un article du 18 Janvier. Le juge d’instruction milanais Alberto Carboni, le procureur Giovanni Tarzia et la Guardia di Finanza (police douanière et financière italienne) ont en effet émis des assignations à résidence et d’autres mesures de rétorsion à l’encontre de 6 personnes jusqu’à leur audition préliminaire prévue le 30 Janvier.
Ces 6 personnes, dont Timm Arno Bergold ne fait pas partie (consul honoraire d’Allemagne en Principauté de Monaco et actuel propriétaire de la Ferrari 375 MM), sont accusées d’être au centre de tractations occultes afin de pouvoir réimmatriculer la voiture avec son auguste immatriculation originelle. On retrouve au centre de l’affaire l’avocat d’affaires Riccardo Roversi (avocat de la société « Destriero Ltd » de Bergold), le propriétaire d’une agence automobile Angelo Torre, le comptable Stefano Sciacchitano (non mis en examen) ainsi que le marchand spécialisé et reconnu Simon Kidston ainsi que son administrateur délégué Emanuele Collo (cités dans l’affaire sans mesures de restriction).
Dans ce dossier on a trace de plusieurs demandes suspectes. Ainsi le 1er Décembre 2020, Riccardo Roversi a déclaré la perte d’un document lié à l’auto tandis que le 4 Décembre, la société d’Angelo Torre émettait un duplicata du certificat de propriété de la Ferrari 375 MM au nom de « Rossellini Roberto », décédé le 3 Juin… 1977 ! Ce n’est qu’un exemple et il y en aurait suffisamment pour que le procureur déclare qu’il était « statistiquement au moins improbable que Bergold ait pu perdre un aussi grand nombre de documents de ses voitures de grande valeur ».
À ceci s’ajoute un arbitrage rendu par le tribunal de Biella (Piémont) entre Bergold, représenté par Sciacchitano (comptable dans le cabinet international de Roversi) et Emanuelle Collo (ayant droit du précédent propriétaire) sur fond d’échange de mails brouillons dans lesquels un risque implicite est suspecté…
D’autres autos saisies
En plus de la Ferrari 375 MM, trois autres autos ont été confisquées. On ne connaît qu’une des trois, et pas des moindres : c’est une Alfa Romeo 8C 2900B Berlinetta Lungo, rien que ça. Une auto estimée autour de 27 millions d’euros pour la petite histoire.
Pour ces trois autos, l’histoire n’est pas une affaire de documents mais une autre affaire de gros sous basée sur des soucis fiscaux entre Europe et USA avec pas moins de 12 millions d’euros au centre de l’affaire !
Ces deux histoires mêlées devraient donc connaître des avancées prochaines. Roversi et Sciacchitano rejettent toute accusation de falsification et assurent leur volonté de collaborer avec la justice en assurant également qu’ils n’ont exécuté aucun acte contraire aux règles. Colin Richard Walker et Tracey Michelle McFarlane, « managers » de la société Destriero de Bergold se voient reprocher des délits fiscaux tandis que Angelo Torre (avec, en marge, Walker, Simon Kidston et Emanuele Collo) se voient eux reprocher un délit de corruption. Affaire à suivre.
L’histoire de la Ferrari 375 MM de Rossellini en bref
Ce n’est pas une 250 et il est vrai que la Ferrari 375 MM est moins connue. En même temps, contrairement à la 250 qui s’est déclinée sur route et sur piste, la 375 MM est une pure voiture de course. Le MM, vous l’aurez deviné, signifie Mille Miglia.
Apparue en 1953, l’auto est produite à 22 exemplaires (ou 26 selon les sources et autres transformations postérieures). Elle est mue par un V12 Lampredi de 4522cm³ qui sort environ 340ch ! Sa carrosserie pouvait être un Spider ou un Coupé.
On l’a vue aux 24h du Mans mais elle obtint ses principales victoires en 1953 aux 24h de Spa (Farina / Hawthorn), 12h de Pescara (Hawthorn / Maglioli) et 12h de Casablanca (Farina / Scotti), contributions notables dans le titre de Ferrari lors du premier Championnat du Monde des Voitures de Sport. On ajoutera pour 1954 la victoire aux 1000km de Buenos Aires (Farina / Maglioli). Malgré son nom, la Ferrari 375 MM ne fit jamais mieux que 19e aux Mille Miglia.



Roberto Rossellini est considéré comme le père de la nouvelle vague européenne au début des années 50. Il a gagné un Grand Prix à Cannes en 1946 avec Rome, ville ouverte ou encore un Lion d’Or à la Mostra de Venise en 1959 pour Le Général Della Rovere. En 1949, il fait tourner une première fois Ingrid Bergman dans Stromboli. Tous deux sont mariés mais vont avoir un enfant ensemble le 2 Février 1950. Une semaine après, ils se marient. C’est alors un couple très en vue de la scène « people ».
Rossellini est un grand amateur de course automobile. Il a possédé plusieurs Ferrari (250 MMM et Europa, 212 Export et Inter) avec lesquelles il a couru. La 212 Inter était même un cadeau de mariage à Ingrid Bergman. Cette dernière désapprouve cependant la course automobile. En 1953, lors des Mille Miglia, elle se jette sur le capot de sa 250 MM lors du point de contrôle au sud de Rome pour le forcer à abandonner !
C’est l’année suivante que Rossellini achète… deux Ferrari 375 MM. La première, un Spyder Pinin Farina (0402 AM) est pour son utilisation personnelle. La seconde (0456 AM) est une Berlinetta Speciale, pour Ingrid Bergman. C’est 0402 AM qui nous intéresse dans cette histoire. L’auto ne fait qu’une apparition en course, en Suède, mais Bergman finit par obtenir que son mari arrête ses engagements en sport automobile. La voiture est donc immatriculée pour un usage routier. Son immatriculation, au coeur des soucis actuels, est alors « Roma 213712 ». Seulement, même sur la route, le danger est présent et l’auto finit contre un mur !
La Ferrari 375 MM 0402 AM est donc renvoyée à l’usine pour une réparation. Elle traverse ensuite la route pour finir chez Scaglietti. Le carrossier s’occupe alors majoritairement des voitures de course de la Scuderia et signe avec cette auto sa première Ferrari de route après un an de travail. Le style de la carrosserie en aluminium n’a rien à voir avec celui de Pinin Farina. Il peut facilement faire penser à une Mercedes 300 SLR et la teinte grise ne fait que renforcer cette impression.



L’auto est conservée par Rossellini jusqu’en 1964 et vendue à Mario Savona qui vit à Palerme en Sicile. Elle sera volée juste après, repeinte en vert puis retrouvée. Savona la conserve jusqu’en 1970 avant de la vendre à Charles Robert.
Cette histoire est particulièrement retracée dans ce documentaire sorti par Kidston en 2021 :
Le parisien va entreprendre une grosse restauration mais va surtout rester à l’arrêt dans un parking souterrain. C’est le négociant californien Mark Ketcham qui réussit à l’en extraire. Elle est alors vendue à l’ancien président et directeur d’exploitation de Microsoft, Jon Shirley.
Jon Shirley qui a fait restauré la voiture en 1995 au moment de son achat l’engage une première fois à Pebble Beach en 1998 où elle remporte sa classe. Elle remporte également le concours de Bagatelle cette année-là puis le Cavallino Classic en 2006 après une nouvelle restauration plus profonde a lieu dans les années 2000 avec un gros travail de recherche. Ce travail va payer. La voiture est alors sacrée Best of Show à Pebble Beach en 2014. C’est la première Ferrari titrée et la première voiture d’après-guerre en 40 ans !
En 2021, elle est une nouvelle fois à Pebble Beach, engagée par Tim Bergold et sa Destriero Collection où elle est toujours. On estime sa valeur à une trentaine de millions d’euros.
Photos complémentaires : Pebble Beach Concours, Wikimedia et Wheelsage

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