Essai d’un Ford T Speedster : né d’un crayon Dubois

Publié le par Thibaut

Essai d’un Ford T Speedster : né d’un crayon Dubois

« De l’art de réaliser un rêve de gosse » pourrait être un sous-titre qui, égoïstement, résumerait à merveille l’essai que je vais vous conter. Car il s’agit ici de l’auto la plus ancienne dont j’ai eu l’honneur de prendre le volant, et dans une version qui n’a pas du manquer de vous interpeller : rejoignons donc Charles et son Ford T speedster.

Ford T : histoire d’une révolution automobile

Avant de s’intéresser spécifiquement au modèle du jour, rapide crochet outre-Atlantique, nous sommes alors en 1908 à Détroit.

Depuis 1903, Henry Ford n’a d’autre idée en tête que d’offrir aux Etats Unis une voiture populaire, ou plutôt « la » voiture populaire. Et pour cela, le mot clé sera la rationalisation : celle des coûts, bien sûr, mais aussi celle des process. Côté coûts, on se limite au minimum syndical : moteur, qualifié par beaucoup d’agricole, tôle emboutie à tire-larigot (oui, j’essaye d’utiliser des expressions datées), châssis pour le moins archaïque, couleur au choix parmi noir et noir (liste exhaustive), bref, « une voiture qu’elle est pas chère pour la conduire » diraient les Nuls.

Côté process, on donne de l’élan à la fabrication à la chaîne et on décide de verser aux ouvriers un salaire indicé sur le prix de vente de la Ford T, pas par simple philanthropie bien sûr… mais « Keynes’que je raconte », je m’égare. 16.5 millions d’exemplaire plus tard, alors que la Ford T aura inondé le marché en son temps et ouvert les vannes à une production automobile grand public, nous voilà au volant d’un Ford T Speedster.

Notre modèle du jour : Ford T Speedster, né du crayon de bois de Dubois

Comment parler du Speedster de Charles sans parler de son instigateur, de celui qui l’a mise en forme, un nom qui fleure bon les vacances, la Nationale 7, les bouchons à l’ancienne (et en ancienne).

Il s’agit bien sûr de Thierry Dubois que vous avez déjà pu croiser, au détour d’une plaque rallye si vous avez pris part à la Traversée de Paris ; au détour d’un salon lorsqu’il dédicace son ouvrage « C’était la Nationale 7 » ; au détour de ladite Nationale 7 lorsqu’il l’arpente avec son compère Jicé Amilhat… et cet esprit fécond, c’est dans l’histoire américaine qu’il est allé chercher ce superbe projet. Vous voulez en savoir plus sur Thierry ? Allez donc faire un tour sur sa page Facebook !

Ocean to Ocean : « montrer aux gens tout ce que permet l’automobile » en dira Henry Ford (en anglais, of course)

C’est donc ce même Thierry Dubois qui s’est décidé un jour à faire un clin d’œil très appuyé aux belles qui ont animé le rallye Ocean to Ocean aux Etats Unis en 1909, ralliant New-York à Seattle : arrivée première, la Ford T qui fit la fierté d’Henry Ford, dut concéder sa place à une Shwamut parce qu’un changement de moteur en cours de route, ça ne passait pas dans le règlement de la course.

Pour cette première course transcontinentale, l’engagement de Ford n’est pas anodin : alors que la T entre dans sa première année de production, Ford veut prouver à tous que l’automobile n’est pas qu’un « déplacoire », mais plutôt une source d’innovation et de progrès (ouais, à l’heure actuelle on appelle ça un coup de com’).

L’extérieur : un hommage redynamisé

Il reprend alors la base d’une Ford T, mais la retravaille, la redessine, lui donne un côté sportif, en bref, la sublime. Des lignes de la raceuse de 1909, il garde le côté topless et la malle de coffre, mais il affine le dessin.

Photos de profil : on affine autant que possible

Si la face avant ne change pas beaucoup (hormis les phares, le sigle Ford qui disparaît de la grille pour un numéro de course et un haut de radiateur plus pointu), le corps central reçoit une belle évolution : là où les Ford T Speedster d’Henry Ford souffrent de l’absence de toute carlingue latérale (peut-on encore parlé banalement de carrosserie sur de telles pièces ?), Thierry propose une avancée qui prolonge la ligne du capot, vient protéger les pieds de l’équipage et vient allonger tout l’avant du véhicule.

Ajoutez à cela 2 lanières de cuir pour tenir le capot, un numéro de course dessiné au blanc, une ou deux décos signées de l’expert en la matière (Jean Do), vous obtenez alors un avant de Ford T au look sportif mais pas moderne, rustique sans être suranné.

Vue de l’arrière : s’affirmer baroudeuse, et le prouver

Vient alors la partie arrière du véhicule, partie que je trouve particulièrement réussie. Alors qu’Henry Ford y prévoit une malle droite, Thierry décide de jouer à nouveau la carte du fuselage : le bois peint s’attribue un grand sigle Ford (qui n’est bien sûr par sans rappeler les décos arborées en 1909), la ligne bien trop droite et plate est cassée pour plonger vers l’arrière de la voiture (un fastback donc).

Autre changement, la lanterne qui faisait office de feu arrière est remplacée par un petit feu, le tout entouré par une roue de secours, on assène le côté baroudeur.

En parlant des roues et pour en terminer avec le tour de la voiture : elles sont ici rayonnées de bois couleur carrosserie, loin du noir brillant de l’origine. Au risque de me répéter, la Ford T Speedster sauce Dubois se veut baroudeuse et elle l’affirme !

Un Ford T Speedster prend la pose

L’intérieur : austère… efficace, mais austère

Ne reste qu’une chose à faire avant de monter se mettre en place : jeter un œil à l’intérieur de ce Ford T Speedster. Ne nous mentons pas, l’intérieur accuse son âge, quoique je lui trouve un charme totalement absent dans certaines de ses contemporaines. On résume de manière exhaustive : 3 pédales (rien de surprenant), 1 volant doté de 2 manettes (on y reviendra), 1 levier à main gauche, un basculeur à main droite, 1 compteur central et 1 tirette. Voilà voilà.

Un Ford T Speedster prend la pose

Voilà voilà, certes mais finalement, de quoi pourrions-nous avoir besoin en plus de cela ? d’un compteur de vitesse ? pas vraiment, l’auto n’est pas un foudre de guerre dans la circulation actuelle et la notion de limitation de vitesse était fantasque à son heure actuelle à elle. D’un compteur à aiguilles avec tout plein de chiffres ? À quoi bon tant le moteur semble indestructible et son entretien aisé.

Un Ford T Speedster prend la pose

Côté assise, la chose est belle : un cuir noir très sympa, un positionnement assez surélevé par rapport à la route qui permet de se positionner face au volant finalement très peu incliné. Rien à en redire de ce côté, on verra ce que ça donne une fois en route.

Bref, tout ne relève ici que de l’essentiel. Et est-ce vraiment un problème ? Pas si sûr, car l’essentiel est ailleurs sur le Ford T Speedster.

Au volant, tout un monde

Ca y est, on y est. Charles me brief rapidement sur les différentes commandes… et c’est peu dire que l’explication a de quoi dérouter : « tes pieds ne te serviront quasiment à rien » ! Autant vous dire que pour tout conducteur d’auto moderne, c’est une idée qu’il faut se forcer à oublier une fois au volant.

Moteur, ça tourne (et plutôt pas mal) !

Le démarrage, c’est un cérémonial que je laisse à Charles : il faut prendre en compte le démarreur, le retard à l’allumage, l’arrivée d’essence, le tout à la main. Le moteur se lance rapidement, dans une sonorité définitivement datée, mais on reste tout de même loin du bruit de tracteur que certains relèvent.

Alors même qu’elles me perturbent terriblement, les commandes tombent assez bien sous la main : les manettes derrière le volant sont un peu cachées mais on les trouve rapidement, le basculeur au tableau de bord n’aura que peu d’utilité en roulant, donc pas grave… bref, la première impression pourrait rassurer, mais prudence.

Prudence, car rien ne ressemble moins à la conduite habituelle que la conduite d’une auto pareille. Et vous n’avez pas idée, après avoir suivi Charles sur routes de campagne, à quel point je lui tire mon chapeau et que je mesure tout l’apprentissage nécessaire. Cela force bien sûr l’humilité lors de cet essai : non, je n’arriverai évidemment pas à tirer de cette auto tout ce qu’elle peut proposer. Trève de bavardage, on démarre.

Un Ford T Speedster prend la pose

Boîte et couple : duo gagnant ? Oui, une fois le tout pris en main

Frein à main en position centrale, j’engage la première. Pour cela, rien de plus facile bien sûr… il suffit de pousser la pédale de gauche. Je vais être honnête, je m’attendais à une lancée poussive, à un aspect tracteur. A quel point ai-je pu me tromper ! Non, ce n’est pas un foudre de guerre, bien sûr, mais l’auto s’élance de manière finalement assez dynamique.

Le couple est assez impressionnant d’ailleurs et vient faciliter la tâche du conducteur qui découvre la conduite du Ford T Speedster : 2 rapports de vitesse, mais un couple bien suffisant qui permet d’avoir une 1ère rassurante. Le temps de prendre de la vitesse, que l’on régule avec la manette de droite qui est celle des gaz, vient le temps de passer la seconde.

Un Ford T Speedster prend la pose

Passer la seconde ? Facile bien sûr… vous coupez l’accélération, vous poussez le levier tout au fond (genre, vraiment tout au fond), vous lâchez la pédale de gauche, vous accélérez de nouveau, la chose est faite. Ce deuxième rapport est assez fantastique je dois le reconnaître tant il permet d’évoluer librement, laissant l’impression que la 1ère pourrait se limiter aux manœuvres.

Châssis et direction : accuser son temps…

Mais la plus grosse source de stress va venir de ce que j’attendais le moins : l’absence totale de rigidité du châssis. Tout vous porte à croire que vous roulez droit, vous tenez fermement votre volant et pourtant… et pourtant le Ford T Speedster semble avoir sa vie propre.

Etrange sensation pour moi qui me suis habitué à une direction hyper précise et à un châssis rigide. Rencontre d’un autre monde, mais cela n’efface toujours pas le sourire qui béat sur mon visage, c’est pas tous les jours qu’on réalise un rêve. Etonnamment ou pas, cette direction qui s’avère floue en ligne droite, est super sympa une fois que ça tourne. Ok, il faut jouer des bras, mais elle se fait ferme et assez directe, pas mal.

A l’inverse, les suspensions font vraiment bien leur travail, alors même que la route n’est pas totalement lisse. Bien aidé par les (grandes) roues à pneus assez épais, pas de particulier inconfort, rien à dire.

Freinage : il ne se rapporte pas au ramage…

On a parlé du moteur (archaïque mais finalement assez dynamique), de la boîte (commandes un peu complexes de prime abord mais une boîte qui tire avantage du couple proposé), de la direction (floue en ligne droite, ferme à la demande)… ne reste qu’à évoquer le freinage.

Et j’ai eu droit à ma frayeur au moment de faire demi-tour, lorsque la rigole a décidé d’avancer beaucoup plus vite que prévu face au Ford T Speedster… la faute au conducteur qui a oublié que ses pieds devaient devenir ses mains.

Car la Ford T, elle ralentit bien plus qu’elle ne freine. La faute à son système de freinage : des lanières, un tambour sur l’arbre de transmission, une friction… et c’est tout. Et pour la blague, ce travail, c’est la pédale de droite qui le pilote !

Imaginez donc ma perplexité lorsque, en voyant arriver la rigole, je constate qu’en enfonçant la pédale de gauche nulle décélération ne se produit, au contraire (puisque c’est la première qui s’engage alors). Là encore, c’est un apprentissage : le freinage, c’est réduction des gaz + pédale de droite, voir levier tiré vers soi si besoin.

En conclusion : un morceau d’histoire nécessaire

Forcément, à lire ces lignes, on pourrait penser à une mauvaise expérience. Alors que non, cent fois non. Ce n’est pas une mauvaise expérience, mais c’est une aventure : en rupture totale avec les autos que j’ai pu essayé ou conduire jusque ici, mais une vraie (re)découverte de la conduite.

Car conduire une Ford T Speedster, ou pas Speedster d’ailleurs, c’est revenir aux premiers temps de l’automobile populaire, de revenir à l’automobile sans assistance. Et cela doit nous inciter à comprendre pourquoi quelques passionnés sont aujourd’hui encore tellement portés par ces modèles qu’ils prennent part à des raids à leur volant : c’est parce que tout déplacement devient une aventure.

Je ne saurais que trop conseiller à tout un chacun de prendre un jour le volant d’une Ford T, tous modèles confondus, ne serait-ce que pour se rendre compte de cette antre de l’évolution qu’est le marché automobile.

Conduire un Ford T Speedster ?

Comme Benjamin dans son essai de la Type 38 et pour les mêmes raisons, je passerais sur la phase de notation de la voiture… comment la mettre en balance face à des autos des années 60, 70 ?

Vous souhaitez acquérir la même ? J’ai peur que cela ne soit que très difficile puisqu’un Ford T Speedster pareil, c’est en quelque sorte une série limitée… d’ailleurs, les Ford T en général ne sont pas si courantes que cela. Comptez entre 15 et 20000€ en moyenne, peu importe les modèles. Beaucoup viendront cependant de l’étranger…

Les plusLes moins
Une ligne dynamique…… au dessin unique, donc clivant
Une auto sans artifices…… qui demande un peu d’apprentissage
Une mécanique accessibleUne auto difficilement adaptée à la circulation actuelle (du moins, pas sans une véritable habitude de conduite)
Fiche Technique de la Ford T
MécaniquePerformances
Architecture4 cylindres en ligneVmax± 65 km/h
Cylindrée2892 cm³0 à 100 km/hNC
Soupapes8400m daNC
Puissance Max20 ch à 1800 tr/min1000m daNC
Couple Max11 m/kgPoids / Puissance45
Boîte de vitesse2 rapports, semi-manuelle
TransmissionPropulsion
ChâssisConso Mixte
Position MoteurLongitudinale avantConso Sportive
FreinageTambours AR
Dimensions LxlxhDépend des autosCote 2021Dépend de l’auto
Poids900 kg à vide

Un immense merci à Charles pour la confiance accordée : laisser le volant d’une voiture, ce n’est déjà pas naturel pour tous… mais le faire lorsqu’on sait que l’auto est complexe à conduire, c’est franchement valorisant pour celui à qui on passe le volant. Merci Charles pour ce rêve de gosse que tu m’as permis de réaliser !

Thibaut

Copilote, président de l'AutoMoto Classic de l'Ouest, Directeur de Course FFSA... et rédacteur/photographe pour News d'Anciennes (depuis 2017) lorsque les évènements s'y prêtent. C'est au guidon d'une Terrot TENOR de 1963 et au volant d'une Lancia FULVIA 1.3S de 1971 que j'arpente les routes de France... c'est fort de ces différentes casquettes que je tâcherai de vous faire vivre par procuration autant d'évènements que possible : pas toujours de manière professionnelle, mais avec une constante sincérité...Viendriez-vous avec moi découvrir ce que la passion de l'auto ancienne a de plus diversifié ?

Commentaires

  1. Marc

    Bonjour,
    merveilleux article qui retranscrit bien les sensations de conduite d’une T.
    J’ai un Touring de 1927 et depuis c’est le bonheur absolu, et mes autres anciennes et modernes délaissées. Mon autre Ford de 1962 me fait penser à n’importe quelle voiture moderne maintenant.

    Chaque sortie en T est effectivement une aventure, la boite 2 vitesses est un régal et quel plaisir de jongler avec ses manettes et pédales, et de maintenir la deuxième le plus longtemps possible.
    Une fois passé les 150 premiers kilomètres la simplicité de sa conduite est une évidence, elle à été conçue pour les personnes découvrant l’automobile.
    Pas de double débrayage, de boite récalcitrante ou d’embrayage trop dur.
    Circuler dans une zone 30 km/h en 2e avec un très léger bruit de machine à coudre en bande sonore est un immense plaisir.

    Le freinage est gérable, énorme frein moteur une fois les gaz coupés, + autre énorme frein avec la première enfoncée (si besoin) après on fini les derniers mètres au frein. (La marche arrière peut freiner aussi)

    Accessibilité mécanique royale, ne rouille pas (Vanadium), pièces disponibles
    malgré ses 94 ans, économique, entretien pas trop compliqué mais de grosses
    réparations peuvent vite se révéler extrêmement cher.

    Comme lu sur un site américain; une des rares voiture qui roulera encore dans 200 ans (on trouvera bien un combustible pour la faire avancer)

    Bonne continuation à votre site

    Marc

    Répondre · · 13 juillet 2021 à 14 h 00 min

    1. Thibaut

      Je suis heureux de lire que je n’ai pas trop « tapé à côté » ! Evidemment, et c’est ce que j’ai tenté de laisser transparaître, mon essai de quelques centaines de mètres n’est qu’un essai de quelques centaines de mètres : cette auto, comme tout ce qui sort de l’ordinaire actuel, demande de la pratique et des « trucs et astuces » pour devenir le franc plaisir que vous évoquez… et je dois dire que malgré tout le stress que cela aura été pour moi (et pour Charles je le suppose), c’est une incroyable découverte qu’il m’a offert ce jour là, une découverte qui restera sûrement longtemps gravée dans ma (jeune) mémoire !

      Répondre · · 13 juillet 2021 à 14 h 47 min

  2. Marc

    Effectivement, au début chaque sortie c’était 1/2 kilo de perdu, tant c’était stressant et maintenant après les + de 1’000 km en une année toujours un « frisson » au départ.
    Marc

    Répondre · · 14 juillet 2021 à 9 h 48 min

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