40RA, l’Opel Omega Lotus qui a failli tuer l’automobile sportive Outre-Manche

Publié le par Pierre

40RA, l’Opel Omega Lotus qui a failli tuer l’automobile sportive Outre-Manche

L’Opel Omega Lotus (ou Lotus Carlton, chez nos voisins britanniques) reste pour moi une anomalie chez Opel, la rendant d’autant plus iconique. Cependant, s’il ne faut en retenir qu’une, c’est 40RA, une voiture qui a défrayé la chronique pendant des mois dans le sud de l’Angleterre.

L’Opel Omega Lotus, un monstre

S’il est bien une voiture que l’on imagine pas en survêtements, à l’époque, c’est l’Opel Omega. Avec son style lisse, dicté par la volonté de faire des voitures aussi aérodynamiquement efficaces que possible, la voiture offre une allure plus que placide, et, malgré un chapeau de gamme culminant à 200 chevaux, elle évoque tout sauf la sportivité.

C’est là que les américains vont entrer en scène. Face au boom des berlines rapides dans les années 80, GM se dit que sa filiale allemande a elle aussi besoin d’un porte-étendard, surtout depuis que la marque au blitz ne brille plus en compétition. En plus, ils ont l’équipe parfaite pour s’occuper de la mise à jour : Lotus.

Le constructeur d’Hethel est en effet tombé dans le giron du géant américain après le décès de Colin Chapman, et les yankees font tourner le bureau d’études à plein régime, conception d’une nouvelle baby Lotus (qui amènera l’Elan M100), mise à niveau de la Corvette C4 (qui amènera à la ZR-1) et… carte blanche, ou presque, pour un porte étendard chez Opel.

Même si, en premier lieu, il état question de booster la Senator, c’est tel L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde de Robert Louis Stevenson que la placide Omega se transforme en un véritable monstre à même d’en remontrer à tout le monde, des concurrents directs, comme BMW ou Mercedes-Benz, aux fabricants de voitures de sport, Ferrari ou Porsche en tête.

La partie mécanique est revue en profondeur. Le vilebrequin et les pistons sont forgés, les bielles sont redessinées et produites par Lotus. Le moteur passe de 3.0 à 3.6 litres de cylindrée, et voit le maillage extérieur renforcé afin d’assurer la solidité du bloc face aux contraintes mécaniques majorées. Et le mot majoration est un euphémisme… Gavé par deux turbos Garrett T25, avec un échangeur air/eau, le moteur gagne 88% de puissance !

Le tout est envoyé dans une boite ZF à 6 rapports, déjà utilisée sur la Corvette ZR-1 qui balance la puissance aux roues arrières via un différentiel à glissement limité issu de la Holden Commodore. GM oblige, les synergies sont là pour essayer de grappiller quelques cents ça et là.

À l’extérieur, la nouvelle mouture ne fait pas dans la dentelle. Le kit carrosserie est encore plus agressif que celui de l’Omega 3000 Evolution 500 produite au même moment pour des raisons d’homologation en DTM, rien que ça ! Au programme, élargisseurs d’aile (au passage l’aile arrière perd sa coupe droite pour une vraie arche), pare-chocs avant accueillant d’énormes entrée d’air, bas de caisse dignes de marche-pieds, ouïes sur le capot, aileron arrière… Il y a de la cavalerie, et on l’affiche.

Fait assez « marrant », l’habitacle n’évolue pas. Le seul changement est la graduation du compteur de vitesse, et un simple autocollant Lotus. Pourquoi ? Parce que cette partie aurait été gérée avec le cahier des charges GM, et que, accrochez-vous, faire évoluer le tableau de bord de manière plus personnalisée aurait couté AUTANT que le développement du moteur !

Résultat final : 377 chevaux pour 1660 kg. Ce n’est certes pas une ballerine, mais c’est presque 100 kg de moins qu’une M5 ou qu’une 500E. Du côté des autres chiffres : un 0 à 100 en 5.3 secondes et une vitesse maximale de 280 km/h. En résumé, et c’est probablement là que vous allez avoir un choc, on est au même degré de performances qu’une Ferrari Testarossa, le tout avec 4 vraies places.

Entre 1990 et 1992, Lotus fabriquera 950 voitures, 286 Carlton (la version anglaise) et 664 Omega. Un peu en decà des espérances de GM, qui avait planché sur 1100 voitures produites, mais la récession du début des années 90 entraine un ralentissement des ventes, pour une voiture vendue plus de 480000 francs de l’époque.

Panique au Parlement

Assez rapidement, le statut de berline la plus rapide du monde de la voiture vient poser problème. Bob Murray, le rédacteur en chef d’Autocar se met dans tous ses états après l’essai de la bête. Il affirme même que Vauxhall doit mettre une bride à la vitesse maximale de la voiture.

Dans la semaine qui suit, tous les tabloids vont se jeter sur le sujet. Le Daily Mail, par exemple, va activement faire campagne pour carrément interdire la Lotus Carlton, mettant de l’huile sur le feu. Nous sommes bien avant l’ère des réseaux sociaux, mais cela ne va pas empêcher certains membres du Parlement britannique de s’emparer du sujet.

« Est-ce que mes honorables confrères veulent se joindre à moi pour condamner la publicité offerte à une Vauxhall Carlton capable d’atteindre 280 km/h ? » Tels sont les mots d’Alex Carlisle à la Chambre des Communes le 16 novembre 1990. Il ajoutera quelques instants plus tard : « Elle ne devrait même pas petre en vente au public, même au prix aberrant de, je crois, 45000 livres » (dans les faits, 48000).

Cette phrase est amenée alors que le sujet initial de la discussion était la réforme du Code de la Route britannique, qui venait d’installer l’obligation du port de la ceinture aux places arière ainsi qu’un renfort des contrôles d’alcoolémie sur la route. C’était il y a trente ans, voyez que les agendas politiques de certains élus face à l’automobile n’ont rien de nouveau ! Si, en plus, vous vous replongez dans la lutte cols blancs/cols bleus sous-jacente à l’époque, le sous-texte devient purement nauséabond.

Cas isolé ? Pas vraiment. Si vous prenez le temps de vous plonger dans les retranscriptions des débats à ce jour là, c’est un vrai sujet important pour les parlementaires… Le MP Joan Ruddock ajoute dans les débats : « Peu importe à quel point quelqu’un est un bon pilote, on peut se poser la question de savoir si quelqu’un est encore capable de tenir une voiture à 280 km/h », faisant clairement abstraction du fait que la vitesse est limitée sur route ouverte.

Face à ces tombereaux de bad buzz (oui le terme est anachronique, mais là n’est pas le sujet), Mike Kimberley, le patron de Lotus de l’époque, décide de faire le dos rond. Au final, il aura raison, puisque la Lotus Carlton ne sera jamais bannie, les berlines toujours plus puissantes étant encore autorisées aujourd’hui.

On raconte même que suite aux réserves émises par certains élus, expliquant qu’une telle voiture serait un outil de rêve pour les malfrats, un porte-parole de GM aurait répondu que les forces de police pouvaient acheter une Lotus Carlton au prix catalogue. Même si cette anecdote n’a jamais réellement été documentée, les réserves émises, elles, vont prendre une allure prophétique, avec l’apparition d’une Lotus Carlton dans les faits divers : 40RA.

40RA, ennemie publique numéro 1

Nous sommes en 1993. En novembre, une Lotus Carlton immatriculée 40RA est volée à Pershore, pas très loin de Worcester (oui la ville de la sauce au nom imprononçable). Jusqu’ici rien de bien surprenant, les West Midlands, se sont pris de plein fouet les crises sociales des années 70, suivies par les privatisations à vitesse grand V de l’ère Thatcher, et les vols sont, hélas, monnaie courante.

Là où 40RA va se démarquer d’autres voitures volées, c’est qu’elle va servir à une série de braquages autour de Birmingham qui vont gagner en audace au fur et à mesure. En 11 larcins, la voiture va gagner une certaine réputation dans la région, au grand dam des forces de l’ordre.

Pensez-vous donc, les services de police sont au mieux équipés de Rover 800, et c’est bien souvent une pauvre Austin Metro ou une Vauxhall Astra qui doit tenter de faire la course avec un engin de presque 400 chevaux… Comme on dirait de nos jours, y a pas match.

Il n’y a d’autant pas match que 40RA arrive même à semer les hélicoptères ! Le gang vise des cibles faciles : des épiceries, des stations-service ou des kiosques à journaux. En deux coups de cuiller à pot, ils repartent avec la caisse et des cigarettes, engrangeant des milliers de livres à chaque larcin.

Le point culminant de la carrière de 40RA sera en janvier 1994, lorsque les braqueurs s’attaquent à un bureau de tabac à Rubery, dans la banlieue de Birmingham. La particularité de ce bureau de tabac ? Il est situé EN FACE d’un commissariat de police !

Face à la pression augmentant, on retrouve 40RA quelques jours plus tard dans un canal dans la ville de Knowle, toujours autour de Birmingham (en tout cas, c’est ce qu’affirme le Birmingham Post le 15 janvier 1994). C’en est fini de cette série de braquages, et la voiture entre dans la postérité, d’autant plus que les braqueurs n’ont jamais été retrouvés !

Un épilogue touchant, presque 30 ans plus tard

Richard Austin, le propriétaire de 40RA, se retouve sans voiture et va pendant des années conduire des véhicules plus lambdas les uns que les autres, autant par dépit que par absence d’envie de revivre le même trauma.

Chose amusante, pour un regard extérieur, il va conserver sa plaque d’immatriculation personnalisée (sachant qu’avec seulement 4 caractères, elle a couté plusieurs milliers de livres) et on va ainsi voir 40RA apparaitre sur des Renault Clio ou plus récemment un Nissan Qashqai.

En 2022, Richard Austin appose 40RA là où l’immatriculation aurait toujours du rester, une autre Lotus Carlton. Il l’expose régulièrement dans des événements à proximité de chez lui.

De nos jours 40RA reste un véritable meme sur internet, entre la récurrente Is that 40RA? (est-ce 40RA ?) à chaque Lotus Carlton postée sur les réseaux, ou les multiples recréations disponibles par et pour les joueurs de jeux vidéo, notamment la série Forza, qui m’avait servi de support pour vous raconter cette histoire dans un des premiers épisodes des Anciennes à la Manette.

Crédits photo : Microsoft, News d’Anciennes, Opel, Vauxhall

Pierre

Tombé dans la marmite automobile quand il était petit, il a rejoint l'équipe de News d'Anciennes en 2015. Expatrié en Angleterre depuis Mai 2016, il nous partage les évènements de là-bas. En dehors de ça, il partage une bonne partie de son temps sur la route entre une Opel Ascona et une Mazda RX-8.

Commentaires

  1. Gerard ABADJIAN

    Passionnant ! Mais qu’est devenue la vraie 40RA ???

    Répondre · · 28 mai 2024 à 18 h 27 min

    1. Pierre

      Comme précisé dans l’article, on l’a retrouvée dans un canal quelques jours après le braquage devant le commissariat de police. Elle a été envoyée en destruction.

      Répondre · · 28 mai 2024 à 19 h 23 min

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