L’Humeur d’Hugo : Le Mans Classic 2023 depuis le cockpit !

Publié le par Hugo Baldy

L’Humeur d’Hugo : Le Mans Classic 2023 depuis le cockpit !
Hugo Baldy 1-

Hugo Baldy est depuis des années (toujours en fait) plongé dans la voiture ancienne. Après des années au sein d’une célèbre maison d’édition, il est spécialiste des véhicules de collection chez Aguttes. Il nous livre régulièrement son billet d’humeur, les autres sont ici.

Déjà un mois que le dernier concurrent du Mans Classic a passé le drapeau à damiers. Un mois ! C’est le temps qu’il m’a également fallu pour m’en remettre… Parce que même si nous, participants, ne roulons pas 24 heures d’affilée, comme les authentiques et héroïques pilotes qui tournent sur cette boucle de légende depuis 1923, il faut bien avouer que le rythme de l’épreuve concoctée par Patrick Peter et son équipe n’en demeure pas moins éprouvant.

Pour le pur amateur que je suis, Le Mans Classic commence en effet quelques semaines avant l’événement, avec la préparation de la voiture, une Delahaye 135 S et, notamment – ce n’est pas un détail – le montage de garde-boues, pour se conformer à la configuration d’époque des voitures, qui ont toujours dû avoir des roues carénées en terre mancelle. Durant toute cette phase de préparation et de tests, déjà, la pression monte, et les questions sans réponse se télescopent dans mon esprit : le moteur va-t-il tenir ? Les amis que j’ai invité à partager le volant, vont-ils savoir dompter cette lourde avant-guerre ? Va-t-il pleuvoir ? Le moteur ne va-t-il pas chauffer ? La pression monte…

Mercredi 28 juin au petit matin. La Delahaye est chargée sur la remorque, bien arrimée. Et tout le nécessaire pour camper, manger, mécaniquer, réparer et se déplacer (Triumph Bonneville et… quad) sont également chargés et embarqués tant bien que mal sur la remorque et dans mon vieux Toyota Land Cruiser (plus de 400 000 km au compteur !). Quelques heures de route plus tard, nous arrivons au Mans, direction le mythique camping du Houx, où s’installent concurrents et assistance dans une joyeuse pagaille organisée.

Le camping du Houx est une véritable institution, et déambuler à toute heure du jour ou de la nuit, dans la poussière et l’odeur des barbecues, est un émerveillement de chaque instant : les voitures de course s’y cachent, les moteurs rugissent, et d’incroyables machines se garent, rapidement recouvertes de poussière, au milieu des poids-lourds, des remorques, et des tentes multicolores, tandis que top pilotes, amateurs et mécanos se croisent serviette de bain et rouleau de papier toilettes à la main aux abords de sanitaires d’un autre temps !

Jeudi matin, c’est le grand bain. L’emploi du temps est chargé : il faut passer toutes les étapes des vérifications administratives et techniques. Tel collège de commissaire vérifie les licences des concurrents, tel autre les éléments de sécurité du pilote (casque, bottines, combinaison, sous-vêtements, cagoules, gants ignifugés et homologués) et ceux de la voiture (coupe-circuit, extincteur et anneaux de remorquage a minima pour les avant-guerre), tandis que d’autres se penchent sur la conformité de la voiture par rapport à sa fiche d’homologation d’époque. Au milieu de tout cela, un briefing – en anglais – sur les règles et les procédures de course. Pas le temps de dire ouf, la journée est déjà terminée.

Vendredi, c’est le grand jour. Après les derniers réglages (resserrage culasse et réglage du jeu aux soupapes pour ma part !), on rentre dans le vif du sujet : séance d’essais qualificatifs à midi. Dominique (mon père), et Pierre (un ami) se relaient pour ce run de 45 minutes. Au bout du premier tour, la voiture rentre aux stands : petite frayeur, une biellette de la commande d’accélérateur s’est retournée, empêchant d’accélérer… La voiture termine néanmoins la séance d’essais sans autre problème. Nous sommes en milieu de peloton.

Pour rappel, la glorieuse Delahaye 135 S s’est illustrée au Mans, en 1938, remportant l’épreuve à plus de 130 km/h de moyenne, avec les illustres Eugène Chaboud et Jean Trémoulet au cerceau. Aujourd’hui, le format des courses (trois runs de 45 minutes) fait la part belle à la vitesse plus qu’à la fiabilité, et les voitures de sprint prennent un net avantage sur celles d’endurance.

La Delahaye, une auto rapide et diablement rustique et costaude, se trouve ainsi reléguée aux places d’honneur, derrière les véloces Talbot London et Bentley survitaminées par nos amis anglais, et derrière l’armada de Bugatti Grand Prix très rapides (une voiture de Grand Prix qui n’a jamais brillé au Mans en période…). Dans la nuit de vendredi à samedi, essais libres de nuit. C’est au tour de mon ami Romain (aujourd’hui directeur de Rétromobile, avec qui nous avons déjà partagé de nombreuses expériences en anciennes, des pistes du Maroc aux spéciales du Tour Auto) de prendre le volant, puis de me passer le relais. Le moment est toujours aussi émouvant, même après quatre participations, surtout à l’amorce de la chicane Dunlop, puis des Hunaudières. Manque de chance, drapeau rouge (incident sur la piste, course neutralisée) : je finis mon tour au ralenti et rentre aux paddocks. Après une petite révision d’usage, les aiguilles de ma montre indiquent 2h00… il est temps d’aller dormir un peu.

Samedi, la journée commence tranquillement puisque nous n’avons rien de prévu avant le vrai départ, à 16h. L’occasion de profiter de la fête et du spectacle qu’offre l’événement. Impossible d’être ici blasé ou rassasié, surtout en cette mémorable édition du centenaire.

Le temps passe vite, et vers 15h, il est plus que temps de se préparer. Nous avons décidé de laisser mon père prendre le départ, d’autant qu’il s’agit, pour le spectacle uniquement, d’un départ type Le Mans. Les voitures sont garées, moteur coupé, côté intérieur de la piste, tandis que les pilotes, qui patientent à l’opposé, doivent la traverser en courant au moment où le drapeau tricolore – tenu par le tennisman Rafaël Nadal pour l’occasion – s’abaisse. Certains marchent (comme Jacky Ickx en 1969) ou dansent (sic), d’autres courent, et les voitures s’élancent dans une fantastique fureur.

C’est vraiment un grand moment dans la vie d’un concurrent, mais ce n’est que pour le folklore, puisque les voitures sont remises dans leur ordre de qualification au milieu des Hunaudières, avant de procéder à un départ lancé au tour suivant. Un tour, deux tours… Au troisième tour, il est temps de faire un passage obligatoire par la pit lane et de procéder le cas échéant au changement de pilotes. On peut en effet courir en solitaire ou se partager le volant jusqu’à quatre « pilotes ». Dominique, ému, ravi, laisse le volant à Romain. L’auto tourne parfaitement bien. Le ciel est gris, mais la piste sèche. Et le public, venu en masse pour les 100 ans du Mans, galvanise les amateurs que nous sommes. Fin de cette première course. Petite révision. La pression retombe. Au moins jusqu’à 23h, où il faut se repréparer, pour la deuxième course, de nuit.

Ça y est déjà, l’horloge tourne, l’aiguille des minutes avance d’un cran, il est minuit, nous sommes dimanche. Pierre patiente en prégrille. Il y a un peu de retard mais ça y est, il est temps de s’élancer. Je suis pour ma part en pit lane, guettant avec fébrilité les passages de MA voiture. Au bout de trois tours, les deux phares jaunes rapprochés, caractéristiques de la Delahaye, pointent leur faible halo de lumière à l’autre bout des stands : je suis casqué, concentré. Pierre saute du cockpit et je m’installe. Pas de ceinture ni d’arceau, l’exercice est aisé.

Petite alerte, Dominique et Romuald, mon ami qui veille à la bonne santé de la voiture, s’aperçoivent que la pompe à essence est dévissée… Quelques tours de clés de 13 plus tard, c’est le grand moment, je sors de la pit lane. La voiture fonctionne toujours parfaitement (Pierre vient d’ailleurs d’améliorer notre temps en prenant plus de 160 km/h dans les Hunaudières), mais je suis « ailleurs ». De nuit (alors que c’est moi qui compte quatre participations au Mans Classic), je suis perdu, je n’ai aucun repère, et commets de nombreuses petites fautes. De la même façon, je n’arrive pas à anticiper correctement la longueur des Hunaudières (!) et roule bien en deçà des capacités de la voiture, roues dans roues avec une Bugatti Type 37 (une 4-cylindres 1 500 cm 3 , tandis que nous avons un 6-cylindres de plus de 3,5 l !). Le drapeau à damiers tombe, je rentre aux paddocks, avec un sentiment mitigé.

Quelques heures de sommeil et un rapide check up mécanique plus tard, c’est le moment de la dernière course, que je dois faire en solo. Les souvenirs de la nuit sont envolés, le soleil a percé les nuages, et je me retrouve en prégrille avec la très authentique Delage D6 du gentleman-driver Paul-Emile Bessade. La sister car de ma voiture, qui partage le même châssis. Un honneur ! Quelques bons mots et j’enfile à nouveau mon casque.

Dès les premiers tours de roues, je retrouve d’excellentes sensations et me bagarre enfin avec des autos de ma classe. Freinage tardif, trajectoires léchées, moteur poussé à plus de 4000 tours dans les Hunaudières : le chrono s’améliore nettement ! Au troisième tour, à la chicane au milieu des Hunaudières, je reçois un seau de liquide de refroidissement sur ma visière… Je coupe immédiatement le moteur et me gare en bord de piste, rapidement poussé par les commissaires dans un échappatoire dédié. J’ouvre le capot, le liquide s’échappe de la Durit supérieure du radiateur. Fin de la partie au moment où je commençais à prendre mon pied. Quelques larmes trahissent mon émotion, et la pression qui retombe après tant de semaines de préparation. Je regarde passer les copains, depuis le bord de piste, derrière la barrière de pneus de la chicane, avec un mélange de fierté et de mélancolie.

Après la course, une dépanneuse me prend en charge et une bonne heure plus tard (la dépanneuse sort et contourne l’intégralité du circuit !) me voilà de retour au camping du Houx, attendu par les miens. La déception est déjà passée. On décharge et recharge la vaillante Delahaye qui n’a pas démérité. Quelques jours plus tard, je constaterai que c’est un collier Serflex qui a lâché… tout simplement ! Bien sûr, j’aurais aimé terminer, et embarquer ma femme et mon fils de 4 ans à la sortie des circuits pour remonter fièrement jusqu’aux paddocks. Mais c’est la loi de la mécanique. La petite pièce à 2 € en a décidé autrement, mais elle a attendu le dimanche matin pour le faire… L’élégance du hasard et du destin.

Nous reviendrons, pour faire au moins aussi bien. Car qu’importe le résultat, j’ai eu la chance de participer au Mans Classic, à l’édition du centenaire, au volant de ma voiture, patiemment reconstruite pendant 8 ans, embarquant dans cette folle aventure ma famille et mes amis.

La meilleure façon de vivre l’auto ancienne, non ?

Crédits photo : News d’Anciennes, Arthur Chambre

Hugo Baldy

https://aguttes.com

Hugo est tombé jeune dans le monde de la voiture ancienne... et il y est resté ! Après de nombreuses années dans le groupe La Vie de l'Auto, il rejoint la maison de vente Aguttes en tant que spécialiste des véhicules de collection. Il livre ses billets d'humeur sur News d'Anciennes depuis la fin 2022.

Commentaires

  1. Gougnard

    sympa ce reportage merci Hugo

    Répondre · · 30 juillet 2023 à 12 h 09 min

  2. Corentin

    Il faut saluer le travail remarquable d’Hugo et son équipe pour avoir tout donner afin de participer à cette course. C’est un travail de titan. Cependant, il faut aussi remettre les choses à leur place quant à cette voiture avec laquelle ils ont couru et qui n’est en rien une 135 S mais une replica à base d’élément mécanique Delahaye et sur un châssis raccourci. Ça n’enlève rien à leur mérite mais il ne faut pas faire passer les choses pour ce qu’elles ne sont pas.
    Bravo tout de même

    Répondre · · 3 août 2023 à 17 h 24 min

  3. Jerome

    Bonjour Hugo ,
    C’était une aventure magnifique, et nous te remercions non seulement de la façon dont tu sais la dérouler, mais aussi pour le partage généreux que toi , ton père , Romain , et toute votre équipe, nous avez offert, à l’équipe de L’agence Yucatan, à Caroline, Gabrielle et à moi-même.
    Et nul doute que la belle et vaillante Delahaye reconstruite de vos mains n’a pas dit son dernier mot.
    Bonne continuation
    Jérôme

    Répondre · · 5 janvier 2024 à 14 h 19 min

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