Hugo Baldy est depuis des années (toujours en fait) plongé dans la voiture ancienne. Après des années au sein d’une célèbre maison d’édition, il est spécialiste des véhicules de collection chez Aguttes. Il nous livre régulièrement son billet d’humeur, les autres sont ici.
Une fois n’étant pas coutume, je vais aujourd’hui vous parler d’une auto des années 1990. Il n’y a pas d’auto sans histoire, et même si ma préférence va aux avant guerre sportives, « démêler la pelote de laine » et remonter année après année, propriétaire après propriétaire, et course après course l’histoire d’une auto fait partie de ce qui me passionne le plus dans le métier que j’exerce…
Tout commence lorsqu’un client nous confie une Porsche. Blanche. Quoi de plus banale qu’une Porsche. Blanche. Une autre Porsche. Blanche. Mais ce n’est pas n’importe quelle Porsche blanche, puisque nous avons a première vue sous les yeux une 3.8 RSR Supercup. Déjà, un monstre sacré fabriqué à quelques dizaines d’unités.
Accompagné de l’un de mes collaborateurs et très fin limier Augustin, nous commençons à creuser, puisque le propriétaire de la voiture ne nous livre que ce qu’il sait : l’auto a couru et gagné en Espagne au début des années 2000, alors qu’elle avait été achetée en France via les frères Almeras, les célèbres préparateurs Porsche. Un bon début.
Le dossier, très maigre, comporte quelques photos lors de sa carrière espagnole (gagnante de sa catégorie en championnat GT espagnol quand même !). Notre Porsche était alors rouge, aux couleurs de l’entreprise ibérique Galfer, notamment spécialisée dans les systèmes de freins hautes performances. La voiture est d’ailleurs équipée d’étriers/disques de la marque, ayant rendu le montage de jantes spécifiques obligatoires. Nous partons pour cette Porsche blanche, d’une feuille quasi… blanche.
Première piste : décortiquer le numéro de série. Le propriétaire nous parlait d’une 3.8 RSR Evo. La suite de chiffres et de lettres frappés sur la caisse confirme cela. Notre Porsche blanche est née 3.8 RS Cup en 1995. Elle a plus tard évolué en RSR Supercup, une production hyper confidentielle uniquement construite en 1997.
Comme c’est une auto de course, nous avons de la chance de pouvoir détailler son équipement (dont des vérins de levage rapide, et le système de remplissage sous pression du réservoir, ou l’unique essuie-glace central) et – surtout – une série de vieux stickers sur les éléments de sécurité (ici, l’arceau) et sur les pièces « plombées » à l’origine et contrôlées à chaque début de saison par un commissaire technique, qui apposait alors un sticker de validation.
La plupart des stickers sur l’arceau sont estampillés de la fédération espagnole, mais quatre stickers retiennent notre attention, un sur l’arceau, trois autres sur les boitiers électroniques de la voiture, dans l’habitacle et dans le compartiment avant. Ces stickers indiquent que notre voiture a participé à l’incontournable Carrera Cup en 1995, 1996, 1997 et 1998. Les quatre années où la Cup se courrait avec une 993. Un premier bon point pour l’histoire de notre voiture. Reste à trouver avec qui, avec quelle déco, et ce qu’elle a fait d’autre.
Deuxième piste, les Alméras. Coup de fil à la concession : « Faites un mail à telle adresse ». Comme nous sommes toujours tenus par des délais très courts – et que nous sommes de nature très impatiente ! –, la voie de la correspondance dématérialisée ne nous convient guère. Augustin fait jouer son réseau et obtient le téléphone direct de l’un des frères. Un message vocal, et le téléphone sonne dans le bureau cinq minutes après.
Conversation passionnée et chaleureuse : ils ont en effet vendu une 993 Cup en Espagne à la fin des années 1990, au team Zanini Racing (la voiture dispose d’ailleurs d’un autocollant Zanini au tableau de bord). Et ça ne peut être qu’elle puisque, aussi étonnant que cela puisse paraitre, ils n’ont eu qu’une 993 Cup entre les mains !
Cette auto était alors pilotée par Roland Bervillé, dans la Carrera Cup France 1998. Nous connaissons bien Roland puisque nous avons déjà vendu une des ses anciennes Porsche de course. Deuxième coup de fil à Roland, content qu’on lui parle de cette voiture et qui nous explique qu’il l’avait achetée à un autre gentleman driver, Didier Van Straaten. Augustin, à la pointe de la technologie, et au culot, tente plusieurs coups de fil, et finit par réussir à entrer en communication avec notre homme, le tout en moins d’une heure. Là-encore, discussion passionnée et passionnante.
Didier acheta cette 993 Cup en 1997 pour prendre part au FFSA GT (2e de sa classe) et au GTR organisé par Patrick Peter sous l’égide de sa société BPR Organisation. Didier nous fait suivre quelques photos de la voiture lors de cette saison. De superbes clichés ! Didier indique par ailleurs à Augustin qu’il avait acquis cette voiture auprès de Jean-Luc Chéreau, un pilote connu et reconnu, aujourd’hui crédité de neuf participations aux 24 Heures du Mans, et trois aux 24 Heures de Daytona.
La voiture était alors suivie par l’incontournable team Larbre Compétition, dirigé par Jack Leconte. Deux coups de fils me permettent d’obtenir les coordonnées de Jack, qui accepte de me transmettre le téléphone de Jean-Luc Chéreau. Qui répond à la troisième sonnerie. Fantastique. Il a acheté la voiture neuve et a participé à son volant à la Carrera Cup France… et à la Supercup, en 1995 et 1996. Ce qui veut dire que notre Porsche blanche a participé à quatre saisons de Cup, et à deux saisons de Supercup, qui se courrait sur les plus beaux circuits européens, dont Spa ou… Monaco. Pas moins !
Un détail demeure à ce stade : on a remonté l’intégralité de l’historique d’une Porsche 993 Cup. Comment être sur qu’il s’agisse de la nôtre ? Aucun des protagonistes interrogés n’a gardé de documents sur cette énigmatique Porsche. Et les 993 Cup n’étaient bien entendu pas immatriculées… Le salut viendra encore de chez Alméras, qui nous fournit 24 heures chrono après le début de nos recherches, le numéro de châssis de cette fameuse Porsche passée chez eux 25 ans plus tôt. Les planètes sont alignées. C’est bien notre Porsche.
Notre client nous a confié une Porsche. Blanche. Croyez-le où non, elle est née blanche, et fut vendue 30 ans plus tôt à un certain Jean-Luc Chéreau. Il n’y a pas d’auto sans histoire, mais il n’y a que leur propriétaires pilotes qui peuvent les raconter. Et c’est toute la magie de mon métier. De faire d’une simple Porsche, blanche, une authentique Cup avec l’un des plus beaux palmarès de la série…
Cette auto sera proposée lors de la prochaine vente Aguttes au départ du Tour Auto. Un aperçu du catalogue par ici.
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