Tous les mois on vous dévoile des voitures anciennes… qui ne sont jamais arrivées sur les routes, ou du moins sur les chaînes de production (les épisodes précédents sont là). Ce mois-ci, un concept presque récent, mais du siècle dernier, qui a servi a poser les bases d’une nouvelle identité, visuelle et commerciale, la Bentley Hunaudières.
Bataille d’Angleterre 2.0
Pour parler de la Bentley Hunaudières, il faut revenir sur un gros pan de l’histoire de l’industrie automobile britannique. Je vais essayer d’être bref, mais on va couvrir une très grande partie du vingtière siècle.
Lors de la faillite de Bentley des suites de la Grande Dépression, Rolls-Royce se porte acquéreur de son concurrent, histoire d’augmenter son catalogue, à vil prix. Rapidement les deux marques sont rapidement segmentées, et Rolls-Royce vient se placer au-dessus de Bentley.
Durant la Seconde Guerre Mondiale, le gouvernement britannique construit une usine à Crewe, sur la côte ouest de l’Angleterre, afin de protéger l’outil de production du groupe, qui produit des moteurs pour l’aéronautique, basé à Derby, et potentiellement sous le risque des bombardements allemands. Au sortir du conflit, Rolls-Royce va racheter l’usine de Crewe à la Couronne et y installer sa division automobile, laissant plus de place pour la conception aéronautique à Derby.


Petit saut dans le temps, à l’aune des années 1970, le groupe est financièrement au plus mal, et est inclus dans le grand plan de nationalisations qui donnera naissance, notamment, à British Leyland (qui, pour l’anecdote, produisait les caisses de Rolls-Royce et Bentley à travers sa succursale Pressed Steel). Sous l’ère Thatcher, l’activité automobile sera privatisée, et passera sous le contrôle d’une autre entreprise ayant un pied dans l’aéronautique, Vickers.
L’entreprise survivra bon an, mal an, jusque dans les années 90, offrant des voitures dont la différence extérieure se limite, peu ou prou, à la calandre. En octobre 1997, Vickers met en vente Rolls-Royce/Bentley, et BMW, qui leur fournissait déjà des composants, semble prêt à en prendre le contrôle avec une offre de 340 millions de livres sterling.
Cependant, dès le mois suivant, c’est une nouvelle bataille d’Angleterre (sans bombardements ni combats aériens, cette fois) qui commence. Lors de la présentation des potentiels acheteurs aux actionnaires, BMW découvre un concurrent inattendu ! Volkswagen. Sous la tutelle de Ferdinand Piëch et de ses idées de grandeur (le but est de devenir le premier constructeur mondial), la firme de Wolfsburg vient aligner près de 100 millions de livres supplémentaires.


Histoire d’enfoncer le clou, VW annonce aussi vouloir racheter Cosworth, appartenant aussi à Vickers, via Audi, pour la modique somme de 49 millions supplémentaires.. Sans grande surprise, en 1998, la transaction est bouclée, et c’est Volkswagen qui emporte la timbale… enfin c’est ce que l’on croit.
Dans les faits, VW va bel et bien prendre le contrôle de l’usine de Crewe, son outillage et son personnel. Cependant, il y a une petite subtilité qui a échappé au nouvel acquéreur. Si le Spirit of Ecstasy (la statuette qui orne le capot) et la calandre emblématique de Rolls-Royce font bel et bien partie du deal, l’utilisation de la marque et du logo Rolls-Royce sont propriété de l’avionneur Rolls-Royce…
Vous voyez venir la douille ? Vickers va vendre la licence de la marque et du logo à BMW, pour « seulement » 40 millions de livres, permettant au munichois, en partenariat technique avec l’avionneur britannique, de faire un magnifique doigt d’honneur à leur concurrent. Ajoutez à cela la clause permettant à BMW de dénoncer son contrat de fourniture de moteur sous un délai de douze mois, bien trop court pour pourvoir intégrer un autre moteur, et VW se voit acculé à céder la moitié des nouveaux joyaux de sa couronne.
Le deal va prendre une tournure plutôt simple, BMW continue a fournir des moteurs jusqu’en 2003 et VW a le droit de continuer à produire des Rolls jusqu’à la même date. En échange, BMW récupère la flying lady et la calandre passé cette date, ce qui leur laisse tout le temps de construire leur propre usine et de développer leur nouveau modèle.



Nouveau départ
C’est dans ce contexte pour le moins tumultueux qu’apparait la Bentley Hunaudières. Volkswagen veut annoncer la couleur, la marque de Crewe ne restera pas dans l’ombre de son ancien propriétaire. Place aux performances et à un nouveau style, qui tranche radicalement avec ce que la clientèle a connu pendant des décennies.
Finies les lignes en coin. Même si le dessin est massif, il est tout en rondeurs, à commencer par les phares, qui réinterprètent les optiques séparées que l’ont croisait sur les Continental, présentant la nouvelle signature visuelle de la marque au B ailé.
Impossible de passer à côté du nom, Bentley va piocher dans son histoire en compétition, et Le Mans est un incontournable pour le constructeur britannique. De même, l’architecture de la Bentley Hunaudières est une révolution, avec son W16 en position centrale, à la cylindrée de 8 litres, comme les dernières Bentley, avant la prise de pouvoir de Rolls-Royce, symbolique, quand tu nous tiens… On est loin, très loin, de la conception ultraconservatrice qui faisait partie de la patte Bentley, et c’était la direction que Ferdinand Piëch voulait pour la marque, des supercars comme vous n’en aviez encore jamais vu.
D’ailleurs, la marque reviendra courir sur les terres mancelles à partir de 2001, avec la Speed 8, enfonçant le clou que le fait que la marque est ici pour faire parler d’elle, et non rester la discrète marque réservée aux clients aisés.


La Bentley Hunaudières de nos jours
Bon, on ne va pas tourner autour du pot, la Bentley Hunaudières est un sacré pétard mouillé. La déclaration d’intention pour faire des supercars a vite fait pschitt, une fois que VW a intégré Bugatti à son portefeuille.
Les Bentley qui ont suivi ont, certes, conservé les 4 roues motrices et le moteur en W, mais il a perdu la moitié de ses cylindre et il est bien sagement revenu s’installer à l’avant. La Hunaudières aura juste pavé le chemin de la future Bugatti Veyron.
Quant au prototype, après avoir fait la tournée des Salons en 1999, il a rejoint l’Autostadt de Wolfsburg. Cependant, la voiture s’est faite discrète et, hors des images officielles lors de sa présentation, difficile de trouver de quoi illustrer cet article !
Crédits photo : Bentley, Wheelsage
Commentaires