Elles sont stars d’un film… mais pas forcément évidentes dans les événements de voitures de cinéma. Aujourd’hui, c’est la Siata Spring dont on vous parle. Non, ce n’est pas de Babar qu’on va discuter mais du film Trafic.
Trafic en bref
Année : 1971
Réalisateur : Jacques Tati
Production : Française
Genre : Comédie
Durée : 92mn
Couleur
Acteurs principaux : Jacques Tati, Maria Kimberly, Marcel Fraval.

Synopsis :
La société ALTRA met tout en œuvre afin d’exposer un véhicule de tourisme au salon de l’automobile d’Amsterdam. Monsieur Hulot, dessinateur employé par le constructeur, et une attachée de presse sont en charge d’acheminer le matériel pour équiper un stand de vente parmi les plus importantes marques européennes. Pas moins de trois véhicules constituent la flotte nécessaire au voyage jusqu’à la capitale des Pays-Bas. Tout semble être orchestré d’une main de maître avec l’objectif de rejoindre rapidement le grand hall dédié aux voitures, mais les aléas du trajet vont retarder considérablement la délégation…
Le staff est au complet pour le départ à destination des pays bas. Les trois véhicules se suivent en marche serrée : au sein de ce convoi constitué dans un cadre professionnel, c’est l’attachée de presse qui se distingue au premier coup d’œil. D’abord parce qu’elle est l’unique personnage féminin du groupe, mais aussi par la pointe de modernité qu’elle dégage : chargée de communication, elle maîtrise deux langues, atouts majeurs pour une commerciale. Grande, élancée, son dynamisme ajoute au personnage alerte une émancipation en phase avec son époque. Elle évolue au début du récit avec la manifestation évidente de son indépendance.
Touche finale qui atteste de cette approche, son véhicule est l’illustration de l’adéquation du rôle choisi avec les années 1970 : cabriolet Siata Spring dont la teinte jaune vif et le faible encombrement évoquent la voiture plaisir plébiscitée par toute une jeunesse en quête de reconnaissance.
La voiture vedette
Cette Siata Spring, simple coïncidence, correspond au paradoxe énoncé : en strict deux places, le cabriolet est dessiné avec une ligne évoquant les roadsters des années 1930. Renato Ambrosini, précurseur d’une tendance que l’on nommerait vintage de nos jours, souhaite poursuivre le travail de son père, fondateur de la SIATA (Societa Italiano Auto Transformazioni). Il mise sur des modèles décalés susceptibles d’attirer une jeunesse en pleine émancipation.
Habile commercial, il établit un partenariat avec André Chardonnet (celui qui déclina certaines Autobianchi en voitures de sport). Le marché Français (et Allemand) peut assurer de plus gros volumes de production : il s’écoulera 3500 véhicules de 1967 à 1970. Mue par un moteur FIAT, nerveuse malgré ses 37cv, l’auto inaugure une avant place au style néo-rétro, peu exploitée à cette époque. Il n’en faut pas davantage pour cibler une clientèle en recherche d’originalité. Décalée, la SIATA ne laisse pas indifférent : volant tulipé, planche de bord aux nombreux cadrans telle une Triumph TR4.
L’un d’eux, un compte tour, accompagne les montées en régime avec ce son rauque caractéristique du 845 cm³. La planche de bord, imitation bois, est recouverte d’un capitonnage posé sur l’arête horizontale. Optionnel, le poste radio trouve sa place côté passager. La carrosserie faite d’ailes extérieures au châssis, complète son aspect classique. Ses quatre roues à rayons et sa large poupe lui donnent l’assise suffisante pour ne pas la confondre avec un jouet.
Côté fiche technique, elle reste aguicheuse : moteur arrière et propulsion garantissent un survirage propre aux dérapages contrôlés ! Les quatre vitesses au plancher réclament de la patience lors des caprices de synchros mais tombant sous la main, le sélecteur participe au plaisir de jouer avec la vélocité du châssis Fiat. Et puis 750 kilos sur la balance, un centre de gravité au ras du sol, cela reste la recette gagnante d’une voiture vive et agile.





Cependant, les détracteurs ne vont pas épargner le modèle lors de sa présentation à la presse professionnelle ! Siata spring, ou «spring car» pour les anglais, c’est une appellation volontaire qui désigne une vocation pour la période du printemps… un cabriolet, c’est d’abord la possibilité de conduire les cheveux au vent. Mais alors, le système de fermeture du toit et l’articulation d’une capote se doivent de proposer une efficacité suffisante ! Et bien voilà le talon d’Achille de notre vedette : rudimentaire et sans isolation suffisante, la toile tirée par une armature métallique n’incite pas à sortir par temps de pluie et cette faiblesse chronique dissuadera malheureusement bon nombre de clients !
La place de l’auto dans le film :
L’attachée de presse de la société ALTRA est pétillante, l’auto aussi, qualités communes mises à rude épreuve au cours du voyage. S’il faut tenir une bonne moyenne afin de répondre au timing prévu, les aléas ponctuent le parcours en retardant à chaque fois la progression des trois voitures : panne d’essence, roue à changer, accrochages avec d’autres véhicules et une immobilisation forcée à cause d’un embrayage défectueux.
Jacques Tati, le réalisateur de Traffic en 1971, utilise la thématique des environnements en pleine mutation. S’appuyant sur une multitude de contradictions, il présente ses personnages avec un univers qui alterne constamment entre le rythme effréné des temps modernes et l’empreinte laissée par un mode de vie plus traditionnel.
C’est dans les suites de ces déboires que le rythme du film change : arrêt dans un garage de province, installation sommaire le long d’un canal. L’atelier regorge de voitures accidentées, pause pour des tôles inanimées qui dépendent de nouveau de la main de l’homme, ce dernier retrouvant une certaine maîtrise de l’objet endormi le temps d’une réparation.
Cette respiration dans la narration renforce la contradiction entre une société de consommation exigeante, capable de vampiriser ses acteurs, et un environnement plus authentique, non séparé des éléments naturels, régulateurs des trépidations humaines. A travers l’utilisation de gags visuels dignes d’un Buster Keaton ou d’un Harold Lloyd, l’approche satirique de Jacques Tati n’a pas le ton d’un réquisitoire implacable sur le modernisme. La dérision autorise un regard critique en montrant simplement des incohérences et l’adaptation maladroite des personnages aux vicissitudes de la vie contemporaine.



A l’exception de la presse spécialisée et des médias consacrés à l’automobile, rares sont les longs métrages dont le thème porte entièrement sur l’industrie des véhicules thermiques. Construit avec un récit et des personnages qui évoluent, Trafic propose dès les premières images des prises de vues à l’intérieur des usines Renault. Tel un reportage le film démontre une construction rigoureuse puisque l’on suit, par étapes, le cycle entier d’une voiture : sa fabrication, son acheminement sur les points de vente, son utilisation au quotidien et pour terminer, son stockage dans les casses. Une séquence complète, par exemple, se focalise sur des terrains jonchés de carcasses métalliques.
Le regard du cinéaste reste neutre : comme un paysagiste, il dessine des contours, esquisse des portraits pour rendre compte et partager ses observations. Les automobiles ne laissent pas de marbre, outils utilitaires ou de loisirs, rutilantes sous les stands d’exposition, elles représentent une promesse, souvent celle du voyage… Une scène, rarement visualisée ailleurs, illustre ce propos lorsque les visiteurs du salon d’Amsterdam scrutent chaque véhicule ; installé derrière le volant, chacun imagine en être le propriétaire en rêvant de voir défiler les kilomètres. Cette parenthèse fantasmée trouve son point culminant lorsqu’un homme âgé semble retrouver une jeunesse dès lors qu’il s’installe aux commandes d’une voiture sportive !
Mais revenons à cette SIATA vitaminée comme un citron : détail amusant dans le long métrage, même si monsieur Hulot n’en prend pas les commandes, la voiture ne le quitte pas d’un pneu ! C’est elle qui coordonne et corrige chaque déviation de trajectoire ; elle est donc omniprésente et virevolte au côté du personnage principal pendant toute la durée du film. Ce ballet jaune vif rend le cabriolet encore plus attractif puisqu’il s’agit d’une démonstration grand écran de l’ensemble de ses qualités et de son « charisme ».
Malgré un cinémascope qui date bien des années 1970, le contenu reste d’actualité et les spectateurs sauront se reconnaitre…
Au volant avec Jacques Tati :
Plus passager que conducteur, monsieur Hulot, joué par le réalisateur, est un véritable copilote tant il participe à la bonne marche du convoi. Parfois bousculé par l’énergie de l’attachée de presse, ouvreuse avec la pétaradante Siata Spring, il tente à chaque avarie de remédier à la cause mécanique. Une panne d’essence, c’est lui qui court à travers les champs cultivés à la recherche d’une station ! Un pneu dégonflé : malgré la partie exiguë de la chaussée, il essaye de faire fonctionner un cric en synchronisant ses mouvements de manivelle avec le passage des autres voitures ! Enfin, la seule séquence où Mr Hulot approche de plus près le cabriolet jaune, c’est pour venir en aide à sa collègue qui pense avoir reculé sur la laisse de son propre caniche !


Peintre, documentaliste, critique, le réalisateur/acteur n’oublie pas de guider les spectateurs vers une sorte de fable moralisatrice. Monsieur Hulot est tout de même dessinateur de la déclinaison d’une Renault 4 fourgonnette en véhicule de loisir ! Si l’auto arrive en retard au salon, en trompe l’œil, le modèle est véritablement exposé à un public conquis lors du contrôle exigé au passage du poste de douane ! Si l’envie venait de décrire un personnage visionnaire, la scène de démonstration des gadgets embarqués est une pépite : oui, monsieur Hulot a anticipé sur pellicule le phénomène actuel de la « van life »…
Lorsque sous la colère de ses employeurs son contrat de travail est remis en question et qu’il est contraint de cheminer par les rues d’Amsterdam, monsieur Hulot est chaleureusement réconforté par l’attachée de presse. Sous des airs de cadre obnubilée par le rendement de la délégation, le personnage féminin vient rappeler qu’une mission partagée ce sont d’abord des rencontres : ici les liens tissés et la complicité l’emportent sur des potentiels carnets de commande…

Est-ce que le couple formé partagera les places exiguës des deux sièges avant du roadster éclatant ? L’histoire ne le dit pas, mais rien n’empêche d’imaginer un retour à Paris par les chemins de traverse où la SIATA pourra exceller…
Le film est disponible à la location sur Youtube.
Pour compléter le détail de la conduite d’une SIATA SPRING, ne pas oublier de se référer à l’essai proposé en 2021 :
Le bonus :
Appréciée, La Siata Spring a également capté l’attention dans plusieurs fictions ! Voici un aperçu :
Quand un éléphant s’installe aux commandes, ce n’est pas une boutade puisque Babar l’utilise comme école de conduite.
Un cabriolet pour Désiré : BD réalisée en 1969 et proposée dans le journal de Tintin.
Ho ! Film de 1968 avec Jean Paul Belmondo et Joanna Shimkus…

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