Les ventes aux enchères : baromètre ou fête du slip ?

Publié le par Pierre

Les ventes aux enchères : baromètre ou fête du slip ?

Derrière ce titre volontairement accrocheur se cache une réflexion un peu plus poussée que « ouais nan mais c’est n’importe quoi, je vais vendre mon épave de BX à 49000€ avec leurs conneries ». Il convient de faire la part des choses sur de très nombreux points, car les réseaux sociaux, eux, partent en sucette au moindre résultat publié. Laissez-moi vous partager ce que j’ai (re)découvert sur les ventes aux enchères.

Il y a vente aux enchères et vente aux enchères

Il semblerait qu’il soit plus que bon de rappeler que toutes les ventes aux enchères ne sont pas des ventes de véhicules à sept, voire huit chiffres. Vous avez également de bien plus petites ventes près de chez vous (comme la pauvre 4L de monsieur X, malheureusement décédé, où la C3 de madame Y, saisie pour cause de trop gros endettement) mais celles-là, étrangement tout le monde s’en fout.

Celles qui « vendent » et surtout qui attirent le public en masse, ce sont celles avec des modèles de rêve, que tout le monde sait inabordables, encore que, l’envolée des prix sur certains modèles peut faire tiquer.

Ne pas confondre valeur estimée et valeur au marteau.

Parlons des prix justement. Tout le monde confond le prix au marteau et la valeur estimée avant la mise en vente, et bien souvent la différence est plutôt mince, à juste titre, puisque les commissaires-priseurs sont quand même des experts, qu’on le veuille ou non (et je ne parle pas d’experts en assurance, entendons-nous bien). Toutefois, il arrive en effet qu’il y ait des débordements, et des voitures voient leur prix décoller de manière imprévue.

Je vais prendre un exemple relayé par certains de nos collègues qui ont, histoire de s’assurer un peu de visibilité sur internet, déblatéré à n’en plus finir sur la 205 GTi vendue à Silverstone Classic, affirmant à qui mieux mieux que c’était incompréhensible, etc etc. Les plus assidus d’entre vous l’auront aperçue dans notre article, et il faut avouer que la miss était dans un état concours, alors qu’entièrement d’origine, mais ce n’est pas là le fond du sujet. En revanche, la vision « francocentrée », elle, est plus que discutable, en Angleterre, la 205 GTi est une auto rare, et d’autant plus en conduite à droite (aussi étonnant que cela puisse paraître) contrairement à chez nous. Donc oui, elle se négocie plus cher (estimation entre 10000 et 15000 livres, soit à la louche entre 14000 et 21000 euros) à la base ! Mais toutes ces informations, étrangement, ont été omises dans la plupart des articles sur le sujet. Je ne dis pas que le prix final est cohérent, mais dès le départ, le prix allait être supérieur à nos habitudes hexagonales.

Il y a également un autre paramètre à prendre en compte, le vendeur, qui fixe (ou non, c’est selon son choix) un prix de réserve. Si les enchères ne montent pas assez haut, la voiture reste invendue. Bonhams en a d’ailleurs fait les frais au Grand Palais, avec des prix de réserve trop hauts, leur laissant de nombreux lots sur les bras.

Les ventes aux enchères, moteur de spéculation ?

Certains d’entre vous me diront que du coup, ce sont les résultats des enchères qui font gonfler les prix du marché. En bon normand, je vais vous répondre « p’têt’ben qu’oui, p’têt’ben qu’non ». Il faut voir le sujet sous tous les angles. Pour les ventes « lambda », assurément, non, les petites ventes qui n’attirent pas les médias ne le sont clairement pas. Pour les ventes ayant pignon sur rue, le sujet est un peu plus délicat car il y a différents facteurs qui entrent en ligne de compte.

Depuis la crise de 2008, les investissements classiques se cassent la gueule, certains fonds d’investissement se sont rabattus sur l’automobile (oui, et il serait vain de s’en cacher) car c’est une des rares valeurs qui n’a pas chuté (comme au début des années 90). A cela s’ajoute l’apparition de nouveaux « concurrents » lors des ventes.

Il n’y a pas si longtemps encore, le marché se partageait entre l’Europe, l’Amérique du Nord et le Japon. Toutefois, depuis on voit régulièrement des acheteurs venus de Russie, de Chine… qui veulent aussi leur part de belles pièces. Effet économique classique, la demande devient largement supérieure à l’offre, et les prix s’envolent. Effet boule de neige, comme il n’y en a pas pour tout le monde, certains se rabattent sur des modèles moins courus, histoire de se consoler, et c’est de là que vient (partiellement) le boom sur les Youngtimers, qui, il y a peu, étaient accessibles. Encore que, pour ces dernières il faut aussi ajouter la raréfaction, beaucoup étaient juste de « vieilles guimbardes » achetées à vil prix et emmenées jusqu’au bout du bout de leur vie par des gens qui ne cherchent pas à dépenser une fortune dans une voiture.

Les prix record ne sont pas monnaie courante

Juste pour cet article, je me suis ingurgité plus de 1000 lots, sur les 5 dernières années, juste pour avoir une idée. Les prix complètement délirants par rapport aux estimations sont-ils réellement monnaie courante ? Ou bien, est-ce juste une impression due au battage médiatique (dont nous sommes aussi l’écho, à notre échelle) ?

Eh bien non, tout simplement, même voir une voiture partir au-delà de l’estimation haute est assez rare au final. Il est même plutôt régulier de voir une voiture partir en dessous de son estimation basse, comme quoi… nos biais naturels sont plus que traîtres. Sur ces 987 lots, seulement 45 enregistrent une majoration supérieure à 5000€ ou 5%, et on tombe à 20 avec une variation au-delà de 10000€ de la valeur estimée, soit moins de 3% des voitures vendues. Alors que dans le même temps 124 voient leur prix baisser au-delà de 5000 ou 5%.

Et d’ailleurs, si on analyse un peu les valeurs, on se rend effectivement compte que les plus grosses variations sont sur les voitures à « petit prix », plutôt que sur les lots se négociant au-delà du million, qui eux, sont en plein ralentissement depuis globalement un an.

La fin d’une bulle ?

Pour être honnête, cette réflexion est purement subjective. On a droit à tous les signes avant-coureurs sur le sujet, le marché est en plein ralentissement, si ce n’est en volumétrie, les sommes ne sont plus les mêmes. Les expertises, sont même recalculées à la baisse d’après l’indice Hagerty (une grosse compagnie d’assurance américaine, donc forcément, basée sur des statistiques, toujours des statistiques).

Et la 250 GTO a une nouvelle fois atteint une somme record, comme en 1994, là où la précédente phase de spéculation s’était effondrée. Cependant, je ne suis pas un expert, mais si les voitures restent invendues (ce qui est quand même un peu plus régulier ces deniers temps), continuer à faire monter les prix ne sert strictement à rien.

Donc les enchères c’est quoi ?

Les enchères sont plus le reflet du marché qu’un réel index. Et il est bien souvent possible d’obtenir une voiture en dessous des estimations. Toutefois, il y a effectivement certaines marques saturées de demande qui voient leurs prix s’envoler, mais ça… hélas on n’y peut pas grand-chose, enfin si, on peut se pencher sur des marques moins communes, qui elles restent encore « raisonnables » dans leur valeur d’échange…. Bref, en voiture comme en enchères, si on en parle moins, c’est souvent meilleur marché.

PS : Duemila Ruote est venue tout foutre en l’air. J’avoue ne rien avoir compris à ces résultats. Alors que les mises à prix et les estimations étaient largement à la baisse, les prix finaux sont complètement satellisés, hors de tout bon sens. A croire que c’était l’effet Black Friday, ça coute moins cher donc on dépense 3 fois plus…

Photos : News d’Anciennes, Silverstone Auctions, RM Auctions

Pierre

Tombé dans la marmite automobile quand il était petit, il a rejoint l'équipe de News d'Anciennes en 2015. Expatrié en Angleterre depuis Mai 2016, il nous partage les évènements de là-bas. En dehors de ça, il partage une bonne partie de son temps sur la route entre une Opel Ascona et une Mazda RX-8.

Commentaires

  1. Charles Merlen

    Voici un article enfin intéressant sur l’analyse des enchères du marché automobile.

    Répondre · · 7 décembre 2016 à 12 h 49 min

  2. jean-christophe

    Un bon travail de fond, merci.

    Les voitures à saturation, comme vous le précisez, reste un effet de mode de la part d’acheteurs ayant peu ou pas de culture automobile. Juste une grosse capacité à payer pour rouler ou pour être vu au volant de LA voiture.

    Les ventes aux enchères catalysent les achats irréfléchis, comme les ventes « sorties de grange » de ces derniers mois (depuis Baillon).
    C’est une cour d’école ou celui qui a la plus grosse (capacité d’achat, bien sûr !) le montre à ses voisins, en faisant fi d’un prix payé hors d’une logique d’achat de gré à gré.

    Pour ces ventes, je pense toujours « bien vendu et bravo » au vendeur, mais félicite rarement l’acheteur.

    La vente aux enchères est parfois l’unique façon d’acquérir un modèle précis ou une automobile qui ne sera jamais sur le marché. A ce moment, l’enchérisseur final a eu raison de l’acquérir, si c’est le bien qu’il convoitait depuis longtemps.

    Répondre · · 7 décembre 2016 à 19 h 00 min

  3. Sixtysix

    L’envie d’emporter le lot lors d’une vente aux enchères est dopée par l’ambiance surexitante régnant dans la salle. Il est très difficile de garder les pieds sur terre d’autant plus que le prix est « hors frais » au moment des adjudications.

    Le ressenti de ma très modeste expérience en la matière était en tout point comparable à celui d’un casino avec ses lumières, ses sonorité et ses éclats de voix par moment.

    Qui n’a jamais dépensé des fortunes pour tenter de gagner le plus gros nounours de la foire ?

    Analysez donc les ambiances créees par les grosses maisons de commissaires priseurs, tous les ingrédients sont là, l’éclairage mettant en valeur l’objet des convoitises, les éclats de voix…

    Rien ne va plus, faites vos jeux…

    Répondre · · 8 décembre 2016 à 7 h 52 min

  4. Jacques Lucarelli

    Bonjour,

    Effectivement la vente Duemila Ruote met à mal votre bon raisonnement, avec l’exemple de la cox 63 vendue plus de 23.000€, soit le prix d’une split (forcément restaurée) en très bon état.
    Avec effet de dopage sur les autres coccinelles? Sans doute, mais cela fait déjà quelques années que des cox récentes en fort bon état se vendent à plus de 10.000€.
    Et dire que j’ai payé la mienne 2500€ (1976, 82.000 Km, CT vierge) il y a 14 ans.

    Répondre · · 8 décembre 2016 à 20 h 58 min

    1. Benjamin

      Et c’était déjà pas donné !

      Répondre · · 8 décembre 2016 à 22 h 05 min

  5. Fred

    La vérité dont personne ne parle, c’est que les ventes aux enchères sont devenues le lieu parfait pour écouler de l’argent à la provenance douteuse…

    Les commissaires priseurs, dont les revenus sont proportionnels aux prix d’adjudication ferment les yeux en arguant secrètement qu’ils ne sont pas là pour faire le travail de la brigade financière, du fisc etc… Toujours est-il que, lorsqu’on s’intéresse aux véhicules anciens depuis longtemps et qu’on suit de près certains véhicules, on se rend bien compte qu’il se passe des trucs pas clairs…

    A côté de cela, la plupart des gens, bien loin de ces enjeux, croient que la voiture qu’ils ont au fond de leur garage vaut des sommes folles, les magazines font du papier, les commissaires priseurs se gavent mais personne ne parle de ces aspects du véhicule de collection car chacun y trouve son compte.
    Mais vous, si vous mettez votre véhicule en vente trop cher sur un site de petites annonces, vous n’avez pas plus de chance de le vendre que de gagner au Loto…

    Répondre · · 4 août 2017 à 21 h 59 min

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