Après avoir suivi Jean-Paul Rouve au volant de sa Peugeot 504 Cabriolet pour Poupoupidou, on remonte dans le temps avec une icône française bien plus grande encore : la Citroën 2CV qui partage l’affiche avec Bourvil dans le Tracassin.
Le film en bref :
Réalisé par Alex Joffé en 1961
Noir et blanc.
Durée : 1h43
Genre : comédie
Scénario : Jean Bernard Luc
Acteurs : Bourvil, Pierrette Bruno, Maria Pacôme


Le synopsis :
André Loriot réside dans les quartiers rénovés, proches du quai de Javel, à Paris. Employé dans un laboratoire pharmaceutique, il est chargé de la mise sur le marché de nouvelles pilules, garantissant plaisirs et bonne humeur. Mais comme bon nombre de franciliens, les tracas de la vie moderne et du citadin jalonnent le cours d’une journée. Malgré une auto-médication et un surdosage des pilules miracles, les ennuis s’enchainent… et rien ne se passe comme prévu pour honorer ses rendez-vous, accroché au volant de sa trépidante voiture !
La voiture vedette :
La 2cv Citroën est une institution dans l’histoire de l’automobile française. Pour retracer fidèlement la place occupée depuis le premier cahier des charges, plusieurs chapitres seraient nécessaires. Nous allons donc sélectionner le modèle AZ de 1954, motorisé par le 425 cm³, avec une évolution ajoutant une malle arrière en tôle (en 1957) et des clignotants fixés sur les montants de custode. La capote en toile se distingue du modèle d’origine par une lunette arrière agrandie.
Viennent alors les caractéristiques propres d’une auto pourtant décriée par les journalistes de la presse automobile lors de son lancement (salon de l’auto d’Octobre 1948), mais plébiscitée d’emblée par de nombreux clients. Son prix d’abord, la situe parmi les autos les plus accessibles, sa polyvalence ensuite qui répond aux attentes d’acheteurs de différentes catégories sociales : les commerçants indépendants pouvant charger diverses denrées, les paysans ayant besoin de circuler sur des chemins de terre et enfin des urbains avides d’automobiles dont une modeste puissance suffit à se déplacer à l’intérieur des villes.
Sous un style très controversé, « la boite à sardine » avec ses optiques globuleux de batracien, recèle cependant des astuces géniales.


Premier atout, son poids plume. 495kg accueillent au moins quatre adultes assis. L’auto dispose de quatre portes, d’un coffre, et peut être propulsée par une mécanique peu gourmande en essence, avec un entretien qui se limite à l’essentiel (Il était tout de même indispensable de vérifier le jeu des simples cardans, d’inspecter la boite de vitesse et de prévoir selon le carnet un rodage des soupapes : l’auto parcourait ainsi jusqu’à 150.000 kms sans problèmes majeurs !).
Le motoriste Walter Beccia développe un flat twin de 2 cylindres, 4 soupapes pour délivrer une puissance de 12ch. Le couple est de 21Nm à 2000 trs/min autorisant une vitesse maximum de 80km/h. Refroidie par air pulsé, la 2cv fonctionne sans difficultés de nombreuses heures, même à faible vitesse.
Le coup de génie du constructeur concerne le système de suspensions. Sans revenir en détail sur le cahier des charges initial, il fallait concilier un haut débattement pour les chemins bosselés et caillouteux, un amortissement afin de limiter les mouvements de caisse, sans omettre des ressorts capables d’absorber les « coups de raquette » des roues chahutées de haut en bas !
Les ingénieurs façonnent un doublé batteurs/flotteurs qui équipent quatre roues indépendantes. Les premiers, à inertie, absorbent les chocs subis par les bras d’oscillations maintenant ainsi les roues au sol, les seconds jouent le rôle d’amortisseurs, implantés sur le haut de ces mêmes bras. Quant aux roues, elles sont judicieusement adaptées, de grand diamètre et de faible largeur (125x 400) les pneus participent à une adhérence remarquable, ce qui constituera également la réputation de la Citroën. Sur sol sableux et surtout sur la neige, la 2cv se sort de mauvais pas là où la plupart des autres voitures échouent ! Et n’oublions pas qu’il s’agit d’une traction avant, peu répandue à l’époque…


Voilà, en bref, comment nait une légende : ce système amélioré au cours de la grande carrière de la 2cv, gardera les bases du brevet technologique original jusqu’aux derniers modèles de 1990 !
Passons à l’intérieur : instrumentation épurée ? Il faut le voir pour le croire… Mais si les journalistes de l’époque pestaient sur l’indigence du poste de conduite, ils ont manqué probablement d’objectivité sur l’aspect pratique. Pas de planche ni de tableau de bord, exact, mais un plan horizontal permet de poser du matériel sur presque toute le longueur de l’auto.
Le conducteur dispose, face à lui, d’un ampèremètre entouré de deux tirettes : le S indique le starter, le D pour actionner le démarreur. La minuscule clé de contact s’insère sur le côté droit d’un boitier métallique gris dont l’implantation ne présente aucun effort de garnissage décoratif.
Et le compteur de vitesse ? Il faut détourner le regard vers le bas du parebrise, à gauche, avec une lecture de cadran aussi succincte que celle d’une mobylette…
La dynamo des premiers modèles, ponctuée régulièrement de signes de faiblesses, ne peut assurer des démarrages fiables : le problème se résout facilement en un tour de manivelle opérant la compression des deux cylindres ! Autre curiosité : par temps de pluie, le balayage des essuies glaces est relié au câble de vitesse. La rotation aléatoire ne pouvant s’adapter à l’intensité des averses, le chauffeur utilise alors manuellement la commande située sous le compteur kilométrique et corrige la cadence.
L’assise est rustique ? Les deux banquettes se détachent rapidement et offrent quatre sièges à l’extérieur de la 2CV. Il n’existe pas de toit soudé à la carrosserie ? Une capote de toile épaisse se roule en quelques minutes et libère de l’espace comme un cabriolet. Sur ce point particulier, des objets hauts et encombrants se calent sur la banquette arrière ou directement sur le tapis de sol.
En résumé, ce modèle 1954 demandera de nombreuses évolutions pour garder la 2cv inscrite au catalogue Citroën, tout en défiant les concurrents. Son talon d’Achille ? Un châssis plateforme supportant une caisse mono-pièce boulonnée. Les critères et normes de sécurité européens stopperont sans appel sa production (par absence de déformation de la coque et non protection de l’habitacle).
L’auto dans le film :
La 2cv AZ est présente dans l’intégralité du long métrage. Le scénario propose la description du milieu urbain à travers une grande ville avec ce qui en constitue le quotidien. L’aspect pratique de la capitale devient fastidieux en réclamant une grande énergie afin de pallier un système de déplacement engorgé. La voiture, devenue indispensable, doit répondre avec une adaptabilité constante, il faut donc choisir le bon modèle et la 2cv excelle dans cette discipline comme un véritable couteau suisse à quatre roues…
Légère, une seule personne suffit à la pousser de la main. A plusieurs, coincée par d’autres véhicules en stationnement, il est possible de la hisser sur un trottoir pour rejoindre une rue accessible. Dans le cas où les portières sont empêchées d’ouverture complète, les passagers parviennent à s’extraire du toit béant, libéré par la capote enroulée.
Au moment de se garer en double file, le conducteur laisse le moteur tourner en signifiant qu’il va rapidement quitter une place interdite. Le personnage principal, André Loriot, devient l’ambassadeur de cette automobile mythique. Le récit se visionne comme un témoignage : le spectateur suit la journée type d’un citadin des années soixante, installé à Paris. Lorsqu’il lui arrive d’être en retard pour récupérer des chemises propres chez le blanchisseur, une seule solution à envisager, se changer dans la voiture sous les regards moqueurs d’écoliers en cour de récréation !



Si l’auto est poussive de par sa faible cylindrée, elle est cependant opérationnelle en aidant, par exemple, à transporter une femme sur le point d’accoucher… Elle s’installe en confiance sur la banquette arrière, les suspensions atténuant parfaitement les irrégularités de la route. De plus, la tige métallique horizontale, dégagée sur toute la hauteur des places avants, devient une véritable barre de maintien pour s’accrocher et lutter contre les premières contractions !
AU VOLANT AVEC BOURVIL :
Sous les traits de Bourvil, André Loriot est un personnage fictif à travers lequel il est aisé de s’identifier. Certains réalisateurs gardent la volonté de photographier une époque avec le plus de réalisme possible. A l’heure où les salles de cinéma se remplissent et donnent accès à la culture par démocratisation, une satire qui s’attache aux pas d’un citadin relève d’une auto dérision saine.
L’acteur populaire est en pleine ascension, il prend plaisir à endosser un rôle taillé sur mesure. La 2cv complète la panoplie du citadin, fier de disposer d’une certaine aisance matérielle et d’être propriétaire de sa propre voiture. À l’écran, Bourvil utilise l’auto avec la plus grande facilité : enchaîner les vitesses avec une grille spécifique dont une surmultipliée peu exploitée en ville, il maîtrise ! Lorsqu’il faut expliquer la manipulation de la tige en métal surmontée d’une boule en bakélite, c’est simple « vous ne pouvez pas vous tromper, c’est écrit »… sur l’unique instrument de compteur …
Quoi de plus pratique que ces vitres avant à charnière qui se basculent par moitié ? C’est bien plus rapide à ouvrir que d’actionner la classique manivelle, monsieur Loriot n’hésitant pas à héler une fleuriste en plein milieu d’une rue circulante…
Faire un créneau dans un mouchoir de poche, oui, à condition d’exploiter l’étonnante inclinaison des roues en fin de braquage du volant et d’éviter de faire toucher la carrosserie !





Bref, ceci pour rappeler que le couple Bourvil/2cv fait figure ici de répétition, précédant un autre film inscrit dans nos mémoires collectives : une deudeuche complètement pulvérisée par une grosse limousine… mais c’est une autre histoire !
Les amateurs pourront donc découvrir ce tour d’essai du tracassin et réviser de A à Z le patrimoine représenté par la 2cv Citroën !
On vous laisse découvrir un extrait du film ci-dessous.
Le film est disponible en DVD.
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