La Barquette D.B HBR4, de Retour au Mans 60 Ans Après la Victoire

Publié le par Vincent

La Barquette D.B HBR4, de Retour au Mans 60 Ans Après la Victoire

Ce samedi 6 juin 2020, c’est une page de l’histoire du sport automobile français qui reprenait vie dans la Sarthe. Antoine Laureau prenait pour la première fois le volant de la barquette D.B HBR4 avec laquelle son grand-père remportait l’indice de performance aux 24h du Mans 60 ans plus tôt.

Les Automobiles D.B

Cela fait maintenant 3 ans que News d’Anciennes contribue à faire connaitre D.B (retrouvez notre premier article sur l’essai du Coach HBR5 en cliquant ici). Des sportives françaises lancées à la fin de la guerre par Charles Deutsch et René Bonnet et assemblées à Champigny-sur-Marne (94). Leur philisophie ? Des autos légères, aérodynamiques et propulsées par de petits bicylindres Panhard refroidis par air.

La marque n’a pas seulement des prétentions sportives, elle a aussi un riche palmarès. Elle compte pas moins de 5 victoires à l’indice de performance aux 24h du Mans en 1954, 1956, 1959, 1960 et 1961. Une catégorie où les D.B étaient reines car elle prenant en compte la cylindrée, le poids et la moyenne horaire, donnant ainsi l’auto avec le meilleur rendement.

Equipe Los Amigos, l’héritage des gentlemen drivers

Gérard Laureau

Gérard Laureau- HBR4

Revenons maintenant sur l’histoire d’un homme : Gérard Laureau. Passionné de courses, il suit sur les circuits l’Equipe Los Amigos, une fine équipe de gentlemen drivers dont fait parti son ami Camille Simonot. Ce dernier lui offre le volant de sa Jaguar XK120 aux 12H de Hyères en 1953. Une course où Laureau s’illustre par une 8ème place. Un classement honorable en dépit de la pluie torrentielle qui s’abat sur la piste.

Après un essai manqué au Tour Auto où il effectue un tonneau, il rencontre un garagiste nommé Georges Trouis qui venait d’acheter un tank D.B. Tous les deux doivent courir ensemble à l’édition 1954 du Tourist Trophy mais à cause d’une tempête, Trouis se retrouve bloqué sur le bateau avec la voiture. Gérard Laureau arrivé en avion est sans auto ni équipier.

Par un concours de circonstances, René Bonnet manque d’un pilote pour seconder Paul Armagnac. Ce dernier insiste auprès de Bonnet pour donner une chance à Laureau qui ne connait alors ni le circuit, ni la voiture. Après quelques tours d’essais et des indications sur le circuit alors tracé sur un bout de papier, le plan est le suivant : Paul Armagnac piloterait la moitié de la course, s’arrêterait quelques tours et reprendrait le volant jusqu’à l’arrivée.

Lors du relais, Laureau prend le volant avec prudence. Au 3ème tour, la pluie inonde la piste. Au passage devant les stands, Bonnet lui fait signe de continuer. Après 1h30, lors du ravitaillement, les instructions restent les mêmes. Gérard Laureau remporte sa première course face à la Ferrari 750 Monza 3L de Mike Hawthorn et Maurice Trintignant (qui signent le scratch) ! Cet exploit marque le début des aventures de Gérard Laureau avec D.B dont il rejoint l’écurie officielle.

L’année suivante, il revient et gagne à nouveau le Tourist Trophy dans sa catégorie. Les courses les plus mythiques s’enchaînent : Le Mans, Sebring, le Tour de France Automobile, les Mille Miglia, les 1000 km du Nurbürgring, la Targa Florio, Spa, les 1000 km de Paris, Daytona, Monza et Reims, pour ne citer qu’elles… Gérard Laureau emmènera les autos bleues de Champigny à la victoire à plus de 60 reprises ! Après la rupture entre Charles Deutsch et René Bonnet en 1962, il continuera de piloter pour ce dernier. Il renoncera définitivement à la compétition suite à l’accident de son ami Pierre Beltoise en 1964.

La Relève

En 2016, Antoine Laureau, petit fils de Gérard Laureau, et son père Jean-Louis Laureau engagent un coach D.B HBR5 au Mans Classic. Lors de cette aventure, ils font la rencontre d’Antoine Moreau avec qui ils se lient d’amitié. Ensemble, ils décident de préparer le coach pour l’édition 2017 du Tour Auto Optic 2000. Une édition mettant à l’honneur les constructeurs français disparus.

Les amis y voient une occasion de faire connaître Automobiles de Charles Deutsch et René Bonnet auprès du grand public. Avec Vincent Dursen et Xavier Seidl, ils font renaître l’Equipe Los Amigos et ils roulent autant pour le plaisir que pour la gagne.

Comme toutes les D.B, la voiture est d’une grande légèreté et possède une incroyable tenue de route. Les problèmes de fiabilités se retrouvent effacés par une préparation méticuleuse et le duo Antoine Laureau et Antoine Moreau termine l’épreuve 2nd à l’indice de performance !

Le projet continue avec Le Mans Classic 2018 puis au Tour Auto 2019. Lors de cette dernière épreuve, la vaillante HBR5 est la seule voiture française en VHC ! Lors d’une étape, elle sera victime de problèmes mécaniques et le moteur sera changé en seulement 1h30 !

Le graphiste Stéphane Plassart contribue lui aussi à faire connaitre les exploits de la marque D.B et des aventure de l’Equipe Los Amigos au travers de ses illustrations (un travail de véritable passionné à découvrir en cliquant ici).

La barquette D.B HBR4 #1091, deux fois victorieuse des 24h

En 1959, les ateliers de Champigny fabriquent trois barquettes HBR4 identiques. Pour rappel, le H désigne la catégories des automobiles de 500 à 750 cm3, le B renvoie aux voitures bi-places, le R à une conduite sur route et le chiffre à la puissance fiscale. Elles portent les numéros de châssis 1091, 1092 et 1093 et sont engagées aux 24h du Mans de 1959 à 1961. Ces trois années, D.B sera le seul constructeur à défendre les couleurs françaises à l’épreuve mancelle.

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Les barquettes HBR4 bénéficient de l’expertise de Charles Deutsch en aérodynamisme et adoptent une carrosserie profilée en aluminium. La grosse particularité de cette barquette provient de ses suspensions. Elles sont inspirées des Lotus de l’époque. La suspension avant est semi-triangulée avec deux triangles sur la partie inférieure et une barre de ressort pour la partie supérieure. Résultat, la voiture est plaquée au bitume en virage. Le train avant est ancré dans la courbe et l’arrière suit en glissant.

« Ceux qui tournaient en Ferrari et grosses cylindrées, se plaignaient d’être gênés par les barquettes D.B en course à cause de leur faible vitesse de pointe. Pourtant, celles-ci obtenaient 2nd meilleur chrono en virage. Notamment parce qu’elles étaient très légères mais surtout parce qu’elles avaient une suspension exceptionnelle. C’est encore très méconnu car cela n’a été fait que sur ces trois voitures.  »

Antoine Laureau

Le Mans 1959

Cette année, D.B est engagé comme écurie officielle Panhard et 7 autos sont alignées sur la grille de départ. Le bicylindre 744 cm3 Panhard de la barquette HBR4 1091, pilotée par Gérard Laureau, cède à la 3ème heure, avant même que Pierre Chancel n’ait le temps de prendre le volant. Malheureusement, seules deux D.B termineront la course.

En 1959, Papy perce un piston au bout de 3h. Toutes les années impaires, il ne finissait pas Le Mans, sauf en 1961.

Antoine Laureau

Au volant de la barquette HBR4 châssis 1093, René Cotton et Louis Cornet décrochent la victoire à l’indice de performance, dans la catégorie 501 à 750 cm3. Mais la voiture a été accidentée à la fin de la course. Les mécaniciens de l’écurie D.B doivent remettre en fonctionnement les feux de route et le système de signalisation sous peine de disqualification. L’année suivante, les deux seront rentrés dans la carrosserie pour éviter ce type de désagrément. La D.B HBR4 1093 est aujourd’hui conservée au Musée des 24h du Mans (que l’on vous fait visiter ici).

Double victoire au Mans

En 1960, la D.B HBR4 #1091 est équipée d’un moteur 702 cm3. Elle à nouveau pilotée par Gérard Laureau qui fait équipe avec son ami Paul Armagnac. Le duo remporte l’indice avec une vitesse moyenne de 141,294 km/h !

L’année suivant, Gérard Laureau, toujours au volant de la barquette 1091, réitère l’exploit avec Robert Bourharde ! Cette fois-ci, la barquette file pendant 24h à 144,498 km/h de moyenne.

La voiture s’envole ensuite aux Etats-Unis pour les 12h de Sebring. A la fin de la course, elle est rachetée et continue sa carrière sportive chez l’oncle Sam.

Une rencontre historique

Épopée américaine

Retour en 2020. Nous sommes conviés dans la Sarthe par Michel Germaine pour une occasion toute particulière… Surnommé « l’américain », Michel travaille la moitié de l’année dans les réserves indiennes. Passionné de voitures américaines, il n’en est pas moins fanatique de la marque D.B dont il a aidé à rapatrier quelques modèles en France.

Michel nous reçoit chaleureusement dans sa maison en bordure du Mans. Au milieu des ses magnifiques Studebaker, Corvettes, Mustang et autre Cadillac, on retrouve quelques françaises comme une Renault Caravelle, la Floride américaine ou son coach HBR5 en restauration. Deux autos importées du continent américain. La perle de sa collection reste un rare Djet Matra Bonnet de 1966. Equipé d’un moteur 1100 cm3 Gordini, la voiture a été vendu neuve dans le Michigan et se trouve maintenant entièrement dans son jus.

Michel a aidé Antoine à ramener la barquette D.B HBR4 1091 en France. Après un périple en camion à travers les Etats-Unis et un long voyage en bateau. La voiture est arrivée pendant le confinement et est restée chez le transporteur.

Un devoir de mémoire et une histoire de famille

Vers 15h, la cérémonie commence. Des proches, des passionnés et des membres de l’ACO sont venus admirer la voiture. Certains ont même fait le déplacement en ancienne.

Michel, Antoine et Jean-Louis prononcent quelques mots. Puis, trois générations de Laureau découvrent la voiture. Jean-Louis revoit la barquette pour la première fois depuis 1961. C’est la gorge nouée et la voix pleine d’émotions qu’il se souvient de la première victoire de son père au Tourist Trophy et des années Le Mans.

« C’est un jour très important dans ma vie. Quand Papa a gagné la première fois l’indice de performance en 1956, j’avais 18 ans. Cette voiture, et d’autres ont été toute ma jeunesse. J’avais une très grande admiration et une une grande affection pour mon père. A chaque fois qu’il gagnait c’était quelque chose d’extraordinaire pour moi et ça a été une période tout à fait exceptionnelle.

Mon émotion a été très intense la première fois où j’ai revu la camionnette (N.D.L.R la voiture avec laquelle Gérard Laureau a notamment participé au Tour Auto et à de nombreuses courses) dans un garage à Tour. C’était probablement la voiture que mon père a préféré. J’étais avec Antoine, je l’ai vue et je me suis mis à pleurer. Ici, c’est pour moi pratiquement identique.

Cette voiture, je l’ai fortement désirée. Pour les Laureau, la barquette et ce qu’a fait mon père, sont choses de très importantes. Je veux remercie Michel Germaine de l’aide qu’il nous a apporté et surtout remercier mon fils. Aujourd’hui il m’a donné un plaisir et une émotion énorme. »

Avant de passer le micro à son fils Antoine, il conclut :

« Maintenant qu’Antoine a fait notre devoir de mémoire, mon plus beau rêve serait qu’il gagne Le Mans Classic avec la barquette de Papa. »

La barquette HBR4 est immaculée. Son précédent propriétaire l’avait restaurée dans les règles de l’art : la caisse en aluminium a été décoquée, le châssis entièrement revue, les pièces mécaniques ont été testée et la carrosserie repeinte. Elle possède encore son moteur du Mans 1961. Antoine ouvre le capot pour le présenter au publique qui trépigne et Vincent Dursen en fait la présentation technique.

On apporte de l’essence et une batterie. Antoine se met au volant. Après quelques tentatives le moteur démarre sous les applaudissements.

Retour aux sources

Antoine, qu’est-ce que cette voiture représente pour toi ?

« Cette voiture c’est une autre époque et un patrimoine familial, même si elle n’était pas la propriété de la famille. Papy était un des pilotes de l’usine et il a eu la chance de courir sur ce type de véhicule. Pour nous ça représente quelque chose de fort. Papy a fait toutes les éditions des 24h du Mans de 1955 à 1964. En 1956, il décroche la victoire à l’indice avec une voiture qui aujourd’hui n’existe plus. Il a aussi participé au Mans avec la barquette n°988 qui est désormais chez un collectionneur au Japon. Finalement, cette barquette était la seule voiture existante avec laquelle il avait gagné l’indice de performance. C’est exceptionnel pour nous ! J’espère maintenant qu’elle va rester dans la famille. »

Quel avenir pour la barquette ?

« Le moteur va être démonté pour être préservé. Avant, il sera passé au banc pour connaître les vraies performances de cette voiture.

Pour la suite, on veut pas aller chercher notre pain avec ! La barquette était engagée en plateau pour courir au Mans Classic cette année. Cela se fera l’année prochaine. On veut voir si on peut se mesurer aux Porsche. Une 356 pèse 820 à 830 kg pour 120 ch. Si la barquette pèse vraiment 450 kg avec 85 ch, ça se tente !

La voiture a participé au Mans mais aussi sur d’autres courses, comme aux Essarts à Rouen. On a envie de faire revivre cette histoire et d’y retourner avec. Un autre projet qui nous tient à cœur, c’est aller en Allemagne sur le vieux Nürburgring à l’AvD Oldtimer Festival. La voiture l’a déjà fait à l’époque. On est vraiment tenté mais cela se fera en fonction des conditions de sécurité pour la barquette, car sur le Ring on n’a pas le droit à l’erreur…

On se fera aussi un plaisir de prêter la voiture à l’ACO pour le musée. Il est important de faire connaître et reconnaître ces véhicules autant en course que lors des expositions»

Le début de nouvelles aventures

C’est donc une nouveau membre et une nouvelle dynamique qui rejoignent l’Equipe Los Amigos. Souhaitons-leur un franc succès dans cette aventure humaine !

Sources et crédits : Panhard Racing Team, Amicale D.B, Stéphane Plassart

Vincent

https://vincentdecours.com

Ingénieur de formation, il se lance dans les anciennes en 2011 en écrivant "Auto d'Antan", une revue amateur sur les véhicules anciens. Trois ans plus tard il se lance sur la blogosphère puis rejoint l'équipe de News d'Anciennes en 2016 . Il partage la route avec sa Motobécane N40TS, son Vélosolex 3800 et sa Renault 5 GTL.

Commentaires

  1. Jacquesb

    Excellent article et bravo à la famille Laureau pour avoir rapatrié cette magnifique barquette dans le patrimoine familial et national et, qui plus est, pour la faire revivre sur circuit. Vivement Le Mans Classic 2021!

    Répondre · · 13 juin 2020 à 10 h 26 min

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