Histoire d’un semi-échec, Jaguar a-t-il survendu la XJ220 ?

Publié le par Benjamin

Histoire d’un semi-échec, Jaguar a-t-il survendu la XJ220 ?

Les sportives badgées Jaguar sont nombreuses. Les supercars beaucoup moins. Surtout celles qui sont arrivées sur la route. La Jaguar XJ220 est de celles-ci. Pourtant cette auto aux performances de premier plan n’a pas été le succès escompté, tant commercialement qu’au niveau de l’image qu’elle a laissé de la marque.

Genèse et présentation de la XJ220

Au milieu des années 80, deux modèles composent la gamme du félin : la Berline XJ et le coupé XJ-S. Parallèlement, en compétition, Jaguar retrouve des couleurs en endurance. TWR en Europe et Group 44 aux USA mènent de beaux programme avec des protos de la marque. Cela donne des idées au constructeur qui décide de sauter le pas.

Le but est de créer une voiture aux performances de premier plan. Et tant qu’on y est, partons chasser Porsche et Ferrari qui ont sorti les 959 et F40. Les deux autos partagent une caractéristique : elles sont prévues pour le groupe B. Et comme Jaguar aimerait bien s’engager en compétition, cela fait un cadre réglementaire. On commence donc à travailler sur la nouvelle auto.

Salon de Birmingham 1988 : elle est là !

Le premier prototype de la XJ220 est dévoilé au salon de Birmingham en 1988. La voiture reprend une vieille technique pour nommer les autos chez Jaguar, initié par la XK120 : le chiffre correspond à la vitesse maxi. Et 220 mph ça fait quand même 354 km/h !

Pour y arriver, les ingénieurs du félin ont pioché les solutions techniques directement dans les programmes d’endurance. Le moteur est le V12 de 6,2 litres qu’on a pu voir sur les XJR-9. Mais là il est encore plus poussé avec un double arbre à cames en tête. Résultat, la puissance sera d’environ 500 ch, soit les valeurs de la concurrence. Ah, il ne faut pas oublier que ce prototype est une 4 roues motrices avec 31% du couple renvoyé sur l’avant ! Un héritage du Groupe B qui a pourtant disparu entre temps.

Côté châssis, là aussi la XJ220 ne fait pas dans la dentelle. Pour des questions évidentes de coûts (et d’industrialisation), un châssis alu est préféré à la coque carbone. Les suspensions reprennent des doubles triangles et des des basculeurs, comme sur les autos de course.
La robe est elle aussi en alu. Signée Geoff Lawson, elle fait appel à des phares escamotables, une queue longue, tandis que le dessous de la voiture est particulièrement étudiée pour l’effet de sol.

Ouverture des précommandes

Si la voiture exposée à Birmingham n’est qu’un show car et qu’on annonce un prix évasif tournant autour des 250.000 £, les demandes affluent cependant !

En décembre 1989 Jaguar se lance. La production sera fixée à 220 exemplaires, qui peuvent monter à 350 si les demandes sont suffisantes. Les acomptes affluent, Jaguar va en encaisser plus de 1500…

Pour la production, on fixe le cap. La nouvelle auto sera produite par une société mixte, JaguarSport codétenue par Tom Walkinshaw Racing qui gère donc le programme des XJR.

La Jaguar XJ220 définitive

Développement long… et étonnant !

Jaguar s’attelle ensuite au développement de l’auto. La gamme d’alors ne se compose que de voitures à moteur avant. Du coup le mulet est caché sous la carrosserie d’un… Ford Transit !

Une définition différente pour la XJ220 de série

La voiture définitive est révélée au public en Octobre 1991 au salon de Tokyo. Par contre elle n’a plus grand chose à voir avec le prototype exposé à Brimingham presque quatre ans auparavant.

La robe est sensiblement la même mais pour le reste, Jaguar a développé la meilleur voiture possible… en changeant son cahier des charges. Déjà, plus de Groupe B, donc plus besoin des 4 roues motrices. En plus cela fait du poids en moins.

Mais surtout la XJ220 a troqué son V12 contre un V6 à deux turbos ! C’est le dérivé d’un moteur Austin/Rover de série. Le moteur de 3.5 litres gagne en poids mais aussi en puissance puisqu’on atteint 542 ch sur l’auto définitive ! L’abandon du V12 est somme toute logique puisque les XJR de course sont également passées au V6. On reste tout de même dans l’esprit de recherche de performance. Et puis le V6 a l’avantage d’être plus récent et donc plus efficient. Il respecte les normes anti-pollution, lui, avec d’ailleurs un pot catalytique !

Dernier petit point… la XJ220 aurait finalement dû s’appeler XJ212,3. En 1991 un exemplaire de pré-production réalise donc une marque à plus de 341 km/h mais c’est en dessous de l’objectif. Qu’à cela ne tienne c’est le record de vitesse pour une auto de production et la marque sera ensuite améliorée à 217,1 mph (349,4 km/h).

Finalement il faut attendre Juin 1992 pour voir la Jaguar XJ220 entrer en production.

Les ennuis commencent !

Même si l’auto est performante, Jaguar va s’engluer dans des problèmes d’ordre judiciaire.

En fait, comme sur la F40, beaucoup de ceux qui ont versé des acomptes voulaient revendre leurs bons de commande et faire ainsi une belle culbute… sans même toucher à l’auto, ni même qu’elle soit fabriquée.
Jaguar aurait pu se protéger de tout souci, avec 1500 pré-commandes pour maximum 350 autos, beaucoup de spéculateurs pouvaient être mis hors circuit dès le départ. Sauf que la sélection laisse à désirer.

En plus Jaguar se retrouve face à un double problème. La XJ220 définitive ne tient pas toutes ses promesses. Les 4 roues motrices ne sont plus là, le V12, tout comme la noblesse qui va avec cette architecture. La vitesse max n’est pas atteinte non plus, bref, l’auto a été survendue et les commanditaires n’auront pas l’auto qu’ils ont « acheté ».

Pire, la bulle a éclaté. Jaguar a mis trop de temps à développer l’auto. Du coup, certains des spéculateurs se retrouvent avec une voiture sur les bras… alors qu’ils voulaient du cash.

Un problème de plus ? Oui, le prix est bien plus élevé que celui annoncé, en plus le barème de la TVA anglaise a changé !

C’en est trop pour certains acheteurs. Jaguar propose de racheter les pré-commandes pour les déçus. Certains s’y plient, mais pas tous. Ils sont en effet quelques-uns à attaquer Jaguar sur le fait que l’auto ne répond pas aux spécifications initiales. Le verdict ira dans le sens du constructeur, qui a tout de même produit une auto exceptionnelle. Mais l’image de l’auto est entachée. Dommage.

La production cesse en 1994. 281 autos sont fabriquées mais quelques exemplaires en conduite à gauche n’ont toujours pas trouvé preneur. En fait l’auto n’a pas été homologuée aux USA ! Les dernières autos seront vendues en 1997… en fait elles sont même bradées, cassant encore plus la spéculation.

La Jaguar XJ220 en course

En 1993, Jaguar lance la XK220-C. Une version de course prévue pour les grands championnats. Elle est développée par TWR. Côté carrosserie, de nombreux panneaux sont en carbone à la place de l’alu. On la dote d’un gros aileron à l’arrière et on améliore le moteur, notamment en enlevant les pots catalytiques. Elle répond aux spécifications FISA GT Racing, une nouvelle catégorie.

Les XJ220-C aux 24h du Mans

Trois autos sont engagées officiellement par Jaguar aux 24h du Mans 1993. Elles seront pilotées par Nielsen-Brabham-Coulthard, Hahne-Percie-Leslie et Belmondo-Cochrane-Fuchs. Plutôt performantes les autos se font néanmoins vite remarquer. Et pas dans le bon sens du terme.

Engagées en IMSA GT, les officiels remarquent qu’elles devraient être munies de pots catalytiques et qu’elles doivent être exclues. Jaguar n’est pas de cet avis et dépose un appel.
La course de passe et Nielsen, Brabham et Coulthard remportent largement leur catégorie. Sauf que l’appel de Jaguar est rejeté. Si la FIA et l’IMSA plaident en faveur de Jaguar, l’ACO fait disqualifier la voiture au motif que l’appel a été déposé trop tard !

On reverra deux XJ220-C l’année suivante aux mains du PC Automotive Jaguar en catégorie GT1 ! Dépassées par les McLaren, les autos abandonnent toutes les deux !

Les Jaguar XJ220S

Sur la base des XJ220-C, TWR a aussi produit une version de route. La XJ220S est radicale. Elle se dote des éléments de carrosserie en carbone, du large aileron arrière et fait fi de l’obligation d’avoir un pot catalytique. Résultat le V6 3.5L développe 680 ch ! Une cavalerie énorme.

Cette version restera néanmoins rare puisque seul 6 exemplaires ont été produits.

La Jaguar XJ220 de nos jours

Malgré leur image un peu spéciale, les Jaguar XJ220 jouissent toujours d’une grande popularité. En même temps l’auto a été affichée pendant 5 ans comme l’auto de route la plus rapide du monde par le Guiness Book !

Néanmoins, elle n’a pas la même aura qu’une F40 ou qu’une Porsche 959. Et on ne parle même pas d’une McLaren. Les Jaguar XJ220 sont donc assez rares. Mais elles passent de temps en temps en salle des ventes. Leur prix n’a rien à voir avec leurs concurrentes : entre 400.000 et 500.000 $ il y a quelques années, elles sont tombées entre 350 et 400.000 désormais.

En revanche, on notera une exception : la XJ220-C. Artcurial en proposait une à sa vente de Rétromobile 2020. C’était le châssis piloté au Mans en 93 par Belmondo, Cochrane et Fuchs et elle y est revenue l’année suivante. Elle s’est vendue contre 1.085.760 € !

Photos supplémentaires : Jaguar, RM Sotheby’s et 95ron.com

Benjamin

http://newsdanciennes.com

Passionné d'automobile ancienne, il a créé News d'Anciennes en 2013 à force de se balader sur les salons sans savoir quoi faire de ses photos. Conducteur occasionnel de Simca 1100 il adore conduire les voitures des autres, dès qu'elles sont un peu plus rapides !

Commentaires

  1. Coup de gueule : la repompe - Les Flous du Volant

    […] sur le mulet de la Jaguar XJ220 (le Ford Transit le plus rapide de l’Ouest), pour un article sur News d’Anciennes. Ni une, ni deux, je me dépêche d’entrer en contact avec Ollie Woodard de 95RON qui était […]

    Répondre · · 20 mai 2020 à 18 h 15 min

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