Alfa Romeo 8C et Nuvolari, deux légendes au pinacle

Publié le par Guilhem Gaubert

Alfa Romeo 8C et Nuvolari, deux légendes au pinacle

C’est le 6 Janvier dernier que Peter Giddings nous a quitté. D’origine anglaise, Peter s’est très tôt intéressé à tout ce qui avait deux roues ou plus et qui pouvait aller vite. Après une première BSA, les plus belles montures passèrent entre ses mains, en compétition comme avec sa Frazer Nash 1928 ou sa Ferrari 196SP ex-Rodriguez ou en compétitions historiques ces dernières années avec sa Bugatti 35C ex Grand Prix de Lyon et ses recréations comme la mythique Lancia D50. Aujourd’hui, pour rendre hommage à un homme respecté dans le milieu, c’est sa fameuse Alfa Romeo 8C 35 et son histoire rocambolesque que nous allons découvrir.

2 Août 1936, Livourne, Italie. C’est sur la côte Toscane, quelques années avant le grand chambardement qui va bouleverser l’Europe, que se sont donnés rendez-vous les plus grands pilotes du moment et qu’une légende va se bâtir.

Le circuit de Livourne accueille la Coppa Montenero depuis 1921. Cette année-là, le Reich Allemand a envoyé ses meilleurs pilotes au volant des flèches d’argent. Les deux Auto-Union Type C de Achille Varzi et Bernd Rosemeyer monopolisent la première ligne de départ au coté de Tazio Nuvolari sur sa puissante Alfa Romeo 8C.

Malgré un départ réussi, ce dernier est contraint à l’abandon mais il peut reprendre la course au volant de l’Alfa Romeo 8C de son coéquipier Carlo Maria Pintacuda, ce que le règlement de l’époque autorisait. Contre toute attente, Tazio Nuvolari va remonter un à un tous ses adversaires. Il va s’imposer dans une des plus belles victoires de sa carrière. Le Mantouan Volant, surnom de Nuvalori, venait de faire entrer indirectement le moteur #50013 dans l’histoire.

De Livourne à Buenos Aires

C’est le moteur #50012 que nous allons maintenant suivre, celui que Tazio utilisa aux essais de cette Coppa Montenero, accouplé au châssis #8. Les chiffres ont ici leur importance, car plus que des matching numbers dont on parle souvent pour la revente de véhicules historiques, on côtoie ici l’histoire de l’automobile et ses artefacts. On retrouve donc #50012 à la Vanderbilt Cup Race 1936 puis à l’Indianapolis 500 de 1938. Avec une préparation moteur de Fred Offenhauser, il finit à une belle troisième place, après avoir mené plusieurs tours.

Offenhauser est plus connu de ce côté ci de l’Atlantique comme le concepteur du célèbre moteur Offy. Celui-ci est dérivé du révolutionnaire moteur Peugeot vainqueur à Indianapolis en 1913 et qui domina les grand prix dans les années 1910. Double arbre à came en tête, le Offy va truster les victoires à Indianapolis entre 1935 et 1976 !

La voiture équipée du #50012 disparue ensuite des écrans radars pendant 60 ans pour réapparaître en 1996 dans un garage de Buenos Aires. Sans moteur, sans boîte ni transmission, le châssis #8 était dans un bien piteux état. Mais Peter Giddings, nouveau propriétaire, ne pouvait laisser un tel joyau à l’abandon et décida de réaliser une reconstruction complète autour du châssis d’origine.

La renaissance

Auto Restorations à Christchurch, Nouvelle-Zélande se charge de ce travail de recréation et le résultat est d’une très grande qualité. Le modèle #50013, déjà la propriété de Peter Giddings, sert de modèle pour les cotes du véhicule, afin de recréer toutes les pièces manquantes le plus fidèlement possible.

C’est lors du Sommet des Légendes 2017 et 2018, sur le magnifique circuit de Mont-Tremblant, que nous avons eu la chance de rencontrer Peter et sa 8C. Facilement reconnaissable à son ruban bleu (ruban jaune pour la #50013), la #50012 fait tourner toutes les têtes quand l’équipe de mécanicien lance le 8 cylindres.

L’équipe de Auto Restorations a recréé une vraie merveille, poussant le détail jusqu’à rajouter le symbole de Tazio Nuvolari sur le tableau de bord; la petite tortue qu’il portait en pendentif lui avait été offerte en 1932 par le poète italien Gabriele d’Annunzio, en hommage à sa célérité légendaire.

L’Alfa Romeo 8C 35 a été développée par Alfa-Romeo pour contrer les machines allemandes. Elle faisait suite à sa glorieuse devancière, la Tipo B ou P3 qui gagna notamment 4 fois aux 24 Heures du Mans. Vittorio Jano (dont on parle plus en détail ici) travailla sur l’aérodynamique et équipa sa voiture de suspensions indépendantes.

Néanmoins, elle aura beaucoup de difficultés pour arriver à s’imposer face à la débauche de puissance des bolides allemands, qui étaient équipés de moteurs jusqu’à 16 cylindres. Le 8 cylindres développé par Jano passera de 2.6 à 3.8 litres, et entraîna même la construction de la fameuse Bimotore, développée avec l’équipe Ferrari et équipée de deux moteurs de 8 cylindres (un devant et un derrière le pilote). Très délicate à conduire, ses succès furent anecdotiques. Dans son ultime développement, on testa également des motorisations 12 cylindres, les fameuses 12C qui débutèrent à Tripoli en 1936. Avec le départ de Vittorio Jano chez Lancia, de Nuvalori chez Auto-Union et de Enzo Ferrari, on arrêta le développement de la 8C pour se consacrer au projet de la 158, surnommée Alfetta. Celle-ci aidera Farina et Fangio à triompher… dans les années 50.

Sur les 6 modèles construits en 1935, trois se sont retrouvés en Amérique du Sud pour continuer leur carrière en Formule Libre, étant devenues obsolètes dans les compétitions Européennes. Notre #50012 est une de ces Alfa Romeo 8C survivantes. Sa grande sœur #50013 a été vendue par Bonhams à Goodwood en 2014 pour un montant record de 9.5m$.

Un gros merci à Judy Giddings, épouse de Peter, et Michael Pidgeon, Managing Director de Auto Restorations Ltd pour leur collaboration. Un hommage à Peter Giddings sera rendu le 11 avril prochain au Sonoma Raceway.

Toutes les photos par Guilhem Gaubert exceptée les photos historiques et les photos de la restauration, aimablement communiquées par Michael Pidgeon.

Guilhem Gaubert

Guilhem baigne dans la culture motorisée depuis sa naissance. Avec un arrière-grand père et un grand-père garagistes, une grand-mère au style de pilotage digne de Tazio Nuvolari et un paternel restaurateur de bolides italiens, ses livres de chevet furent très tôt Piloti Che Gente de ce bon vieil Enzo et le programme du Grand Prix de Lyon 1924 retrouvé dans les archives familiales. Il n'en fallait pas plus pour le retrouver à chroniquer pour News d'Anciennes.

Commentaires

  1. Daniel DUCHEMIN

    Très bon article et bel hommage !

    Répondre · · 25 janvier 2019 à 19 h 02 min

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