L’Aventure des Serenissima, quand le Comte Volpi s’est mué en constructeur

Publié le par Benjamin

L’Aventure des Serenissima, quand le Comte Volpi s’est mué en constructeur

La marque Serenissima va connaître un grand coup de projecteur avec trois autos qui seront présentées lors de la vente Artcurial de Rétromobile 2019. Très méconnue, cette aventure a pourtant été ponctuée de très belles autos, avec un certain Comte Volpi comme patron.

Le Comte Giovanni Volpi

Né en 1938, Giovanni Volpi est le fils du Comte Giuseppe Volpi di Misurata. Cet homme politique s’illustra (ou pas) en étant le ministre de l’économie de l’Italie… de Mussolini. Ce vénitien est également le principal financier et fondateur du Festival du Film de Venise. Il s’éteint en 1947, son héritier est alors Giovanni.

Le Comte Volpi se passionne pour les puissantes autos… et devient logiquement client chez Ferrari, mais également chez Maserati ou Cooper. Ses voitures courent sous la bannière de la Scuderia Serenissima. Nous sommes alors au début des années 60 et Giovanni Volpi va alors toucher l’énorme héritage paternel.

La révolution de palais de Maranello

En 1961, rien ne va plus à Maranello. La direction du comendatore irrite certains ingénieurs et décideurs, et non des moindres. On retrouve dans cette affaire Carlo Chiti, directeur Technique de la Scuderia, Romolo Tavoni, directeur sportif et un certain Giotto Bizzarrini. Ceux-ci quittent la marque au cheval cabré pour créer leur propre marque. C’est la naissance d’ATS pour Automobili Turismo e Sport à la fin de l’année 1961. Parmi les financiers de la nouvelle entreprise, on trouve le compte Volpi qui détient 20% de la société.

ATS va mettre en chantier deux projets : une auto de route et une F1. Las, les dissension n’était pas dues qu’à Enzo Ferrari. Les projets d’ATS n’avancent pas assez vite pour le Comte Volpi qui propose, au bout de 8 mois seulement, soit de racheter l’intégralité de la société, soit de s’en aller. C’est finalement cette solution qui est choisie.

La Scuderia Serenissima crée ses propres autos

Le revers de la médaille, c’est que Ferrari n’a pas apprécié que le Comte Volpi se soit associé à l’aventure des « traîtres » d’ATS. Enzo Ferrari refuse donc de livrer à la Scuderia Serenissima les deux 250 GTO qui étaient commandées ! L’écurie n’a plus d’auto pour la saison 1962 !

La 250 GT Breadvan

De l’aventure ATS, le Comte Volpi n’a pas emmené que des châssis et moteur d’ATS. Giotto Bizzarrini est également de la partie avec quelques mécaniciens. La Scuderia Serenissima va alors trouver une parade à l’absence de livraison des 250 GTO en créant sa version de la 250 GT ultime. Ils rachètent pour cela la 250 GT SWB de Gendebien qui a terminé seconde du Tour de France 1961 avec Lucien Bianchi. L’auto a une carrosserie alu, comme les autres SWB de course.
Il engage l’auto une première fois, fin 1961 aux 1000 km de Paris avec Trintignant et Vaccarella qui terminent 3e.

L’auto est ensuite modifiée. Au niveau mécanique, Bizzarrini recule le radiateur et le moteur et abaisse ce dernier pour mieux répartir les masses. Un système à carter sec est également installé. Les trois carbus sont échangés contre six Weber double corps !
La carrosserie est le centre de bien des travaux. C’est Drogo qui va habiller la voiture et lui créer cet aspect qui lui vaudra son surnom de breadvan, camionnette de boulanger en français. Le principe est d’utiliser un Kamm-Back (lire : De la BMW 328 à la Citroën CX, le Kamm Back a révolutionné l’aero) pour améliorer l’aéro. La nouvelle carrosserie est également légère. La cure d’amaigrissement fera descendre l’auto à 935 kg contre environ 1000 à la GTO.

La Scuderia Serenissima tient « sa » première auto. Elle est engagée aux 24h du Mans 1962 avec Carlo Maria Abate et Colin Davis. Ils sont 7e au général quand la transmission les trahit lors de la 4e heure. Le même équipage se classera 4e et première GT au Guards Trophy de Goodwood, et même classement lors de la course de cote d’Ollon-Villars avec le seul Abate. Enfin aux 1000 Km de Paris elle sera 3e GT et 3e au général, avec Davis et Scarfiotti.

Les Serenissima 308 Jet Competizione

Après la saison 1962, plutôt intéressante, le Comte Volpi veut se doter d’une auto portant le badge Serenissima, pas uniquement engagée par l’écurie. Entre-temps, Bizzarrini a changé de crèmerie et travaille chez ASA (lire : L’ASA 1000 GT, la Baby Ferrari). C’est donc un autre ingénieur ex-Ferrari qui va se charger du projet : Alberto Massimio. Cet ingénieur est loin d’être un inconnu : il a créé la Lancia D50 qui passa ensuite chez Ferrari.

Il va dessiner une auto à châssis tubulaire et moteur central arrière. Le moteur aurait pu être repris du V8 imaginé par ATS, mais c’est bien un moteur totalement nouveau qui est créé. C’est un 3 litres à doubles arbres à came en tête et double allumage qui sort 300 chevaux. Une belle réussite. Il est accolé à une boîte 5 vitesses Colloti.
Pour la construction, Serenissima fait appel à Sassamotors, une entreprise crée… par un ancien de chez ATS !

C’est en 1964 que la carrosserie est dessinée par Francisco Salomone et fabriquée par la Carrozzeria Gransport créée par Vaccari… et Bizzarrini ! Le badge est bien Serenissima, et c’est un autre grand nom qui est derrière : Bulgari ! La 308 GTV Prototyp est mise sur l’autodrome de Modène mais ne convainc pas du tout. Les engagements à Spa, et au Mans sont annulés.
Une nouvelle carrosserie est alors créée et le châssis est raccourci. Cette seconde auto est baptisée Jet.

Apparition du Spyder

En Juin 1965 une nouvelle auto est présentée avec une nouvelle carrosserie ouverte signée Fantuzzi. La ligne de l’auto est d’une inspiration très Ferrari. C’est l’auto qu’on a pu découvrir en début de semaine à Orly. De loin on pourrait la confondre avec une Ferrari 275 P (lire : La Ferrari 275P ex-Bardinon sera vendue, aux USA et elle a gagné deux fois les 24h du Mans). En tout cas les lignes sont élégantes et fines. Une belle réalisation.

Ce Spyder, c’est son nom, est une évolution de la première auto, rien de plus. Les autos vont être développées ensemble et courent simultanément à partir de l’été 1965. C’est le Spyder qui est à Zeltweg pour les 200 km avec Bertocco, qui abandonne, la Jet se classe 28e à Ollon-Villars avec Jo Schlesser au volant.

Début 1966 le V8 passe à 3.4 litres. C’est avec ce moteur que la Jet est engagée aux tests des 24h du Mans où elle se classe à une décevante 19e et dernière place. Finalement le moteur est une nouvelle fois revu et passe à 3472 cm³. Il est monté dans le Spyder qui est engagé aux 24h du Mans 1966. Jean-Claude Saurer et Jean de Mortemart se qualifient à la 42e place. La boîte va faire des siennes et les deux premiers rapports ne sont plus disponibles très tôt dans la course. Mais la Serenissima Spyder va néanmoins continuer jusqu’à la 21e heure de course avant d’abandonner.

Les Serenissima Agena

La Scuderia Serenissima s’arrête là pour ce qui est des sport prototypes… pour le moment et pendant une parenthèse F1 qu’on évoque plus bas. En 1967 au salon de Turin est également dévoilée l’Agena, une auto de route. Elle est similaire techniquement aux précédentes Serenissima et embarque logiquement le V8 dans sa version 3.5 litres. La robe est signée Drogo. Peu d’exemplaires seront produits… peut-être même un seul sous cette forme. Cette auto blanche sera elle aussi présente à Rétromobile pour la vente Artcurial.

La « McLaren Serenissima »

Cette auto voit  le jour en 1968. La Mk168 de son vrai nom est en fait une McLaren M1B dotée d’une élégante carrosserie de berlinette propre à la Serenissima. Elle est dessinée par le nouveau technicien de Serenissima, Alf François, connu pour être l’ancien mécanicien de Stirling Moss. Il a modifié le V8, certains disent que c’est à partir d’études Jaguar, pour le doter de trois soupapes par cylindres et de l’injection. Seulement l’injection n’est pas du tout compétitive… et le moteur gardera ses carbus. Elle devait être engagée par la Scuderia Filipinetti mais la Mk168 ne sera prête que bien plus tard…
On la verra uniquement à la course de côte de Enna où elle signe une encourageante seconde place avec Johnattan Williams avant de remporter sa catégorie dans le Grand Prix du Tirol en Octobre.

Pour l’année 1969 elle sera modifiée et deviendra une voiture ouverte. Beaucoup moins élégante, elle fera plusieurs sorties en 1969, même si elle n’est pas toujours effectivement au départ. Elle prendra une belle 3e place au Salzburgring en fin d’année.
On la retrouvera sous cette forme au tout début de l’année 1970, pour les dernières sorties d’une auto siglée Serenissima. La Mk168 est notamment au départ des 1000 Km de Buenos Aires mais abandonnera.

La Serenissima Ghia GT

La Ghia GT apparaît également en 1968. Elle reprend les bases de l’Agena. Mais elle la marie avec une robe dessinée par Tom Tjaarda chez Ghia. Un projet mené en parallèle du développement de la DeTomaso Mangusta… d’où leur ressemblance. Le V8 est celui modifié par Alf François. L’auto rouge qui sera elle aussi à Rétromobile est exposée sur les stands Ghia aux salons de Turin, de Genève et de New York en 1968. Mais le projet ne verra jamais le jour, l’aventure Serenissima s’arrêtant début 1970

Les F1 Serenissima

En parallèle de cette histoire riche en GT, la Scuderia Sernissima a aussi couru en F1.

1961 et 1962 : Cooper, Lotus et Porsche

Bien avant que les GT ne soient à l’ordre du jour… et en attendant une hypothétique ATS de F1, la Scuderia Serenissima s’essaye à la F1 en achetant ses autos chez les artisans anglais.

Maurice Trintignant est ainsi engagé sur une Cooper T51 à moteur Maserati lors du Grand Prix de Monaco 1961. Qualifié 16e il termine à une encourageante 7e place… 6 ans après sa victoire au même endroit.

Pour le Grand Prix de France, une DeTomaso-Osca est également confiée à Scarlatti. Il se qualifie 26e et abandonne quand le français, parti 23e, termine 13e. Trintignant abandonne ensuite en Allemagne.
En Italie c’est Vaccarella qui pilote la DeTomaso, mais abandonne. Trintignant termine 9e. C’est la dernière course des Serenissima en 1961.

Pour l’année 1962, Vaccarella commence mal en ne se qualifiant pas à Monaco avec une Lotus 18/21. L’écurie change de voiture pour le Grand Prix d’Allemagne. Carlo Abate se voit confier une Lotus 24 quand Vaccarella doit courir avec une Porsche 718. Finalement la Porsche ne sera jamais reçue et Vaccarella sera engagé avec la Lotus. Qualifié 15e il termine à la même position.
La dernière course de l’année est à Monza où Vaccarella se qualifie 14e avant de terminer 9e avec la Lotus.

1966 : Serenissima Motoriste

La McLaren Serenissima d’endurance ne fut pas la première association de ces deux noms.

En 1966, McLaren se lance pour la première fois en F1 en tant que constructeur. La saison commence avec un V8 américain revu pour accrocher les 3 litres de cylindrée (au lieu des 4.2 d’origine). Mais à partir du Grand Prix de Belgique, le néo-zélandais bénéficie du V8 Serenissima. C’est le V8 qu’on a vu dans les GT. Il ne prend pas le départ de cette première course mais marque le point de la 6e place en Grande Bretagne.
Il reprendra pourtant le moteur Ford pour les deux derniers grands prix de l’année et ne fera plus appel au V8 italien.

McLaren M2B par Morio- Serenissima
La McLaren de 1966

La Serenissima M1AF

Après cette première tentative, la Scuderia Serenissima voudrait s’installer en F1 en tant que constructeur. Elle construit alors la M1AF.
Le châssis, est un ancien châssis de chez BRP, un constructeur anglais, qui a été revu par Francis.

La principale modification c’est la suppression de la partie arrière du châssis. Les ancrages de suspension se font directement sur la boîte Colotti. Le V8 est évidemment le 3L déjà connu. La carrosserie alu est signé Fantuzzi et intègre des éléments aéros avec des ailerons sur le nez et une aile directement sur le capot moteur.

La voiture est terminée dans la seconde partie de l’année 1967… testée à Monza… mais jamais engagée en course. La mère du Comte Volpi lui ayant suggéré que ce programme de F1 serait trop dispendieux… il est stoppé net.

On ne reverra la M1AF qu’au salon de la voiture de course de Monza en 1969 et sera alors vendue à un Autrichien qui l’engagera, sous la supervision de Francis, en course de cote… sans succès notable.

Photos : News d’Anciennes, Artcurial, Marketing Motorsport Ressources, Arthomobile (ici, ici et ici), Forum P300 IT, UltimateCarPage.

Benjamin

http://newsdanciennes.com

Passionné d'automobile ancienne, il a créé News d'Anciennes en 2013 à force de se balader sur les salons sans savoir quoi faire de ses photos. Conducteur occasionnel de Simca 1100 il adore conduire les voitures des autres, dès qu'elles sont un peu plus rapides !

Commentaires

  1. Joris Teck

    Excellent article !
    Il y a pourtant une erreur dans les lignes consacrées à la Serenissima Mk168 : l’épreuve du 15 août 1968 à Enna n’était pas une course de côte mais une course sur le circuit de Enna-Pergusa. Elle fut remportée par Jo Siffert au volant d’une Porsche 910 devant Jonathan Williams sur la Serenissima Mk168.

    Répondre · · 26 février 2024 à 10 h 55 min

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