Lever de rideau sur les restrictions de circulation à Paris

Publié le par Pierre

Lever de rideau sur les restrictions de circulation à Paris

Vous n’êtes pas sans le savoir, depuis ce matin, les voitures d’avant 1997 sont interdites dans Paris. Comme beaucoup, quand le projet a été annoncé, mon sang n’a fait qu’un tour mais je me suis refusé à prendre la parole, comme certains de mes collègues, tant que je n’y voyais pas clair et que surtout je n’avais pas de base légale pour argumenter mon propos. Il est maintenant temps pour moi de parler des restrictions de circulation.

7ème traversée de Paris. Vincennes 3 Août 2014. vincennes en anciennes-208
Vous ne les verrez plus en semaine, sauf sous quelques conditions

Les Zones à Circulation Restreinte, ce n’est pas que pour Paris

Commençons déjà par le décret n° 2016-847 du 28 juin 2016 relatif aux zones à circulation restreinte. C’est une disposition nationale qui donne un cadre juridique à la mise en place à l’arrêté parisien (et potentiellement, de n’importe quelle collectivité locale désirant mettre une zone à circulation restreinte en place).

Si on l’étudie un peu en détail, l’étude justifiant de la création des zones à circulation restreinte doit contenir une évaluation des points suivants :

« 1° De la population concernée par les dépassements ou le risque de dépassement des normes de qualité de l’air ;
« 2° Des émissions de polluants atmosphériques dues au transport routier sur la zone concernée ;
« 3° De la proportion de véhicules concernés par les restrictions et, le cas échéant, les dérogations prévues ;
« 4° Des réductions des émissions de polluants atmosphériques attendues par la création de la zone à circulation restreinte.

Jusqu’ici, rien de choquant. Certains d’entre vous diront qu’on peut faire dire aux chiffres ce qu’ils veulent, c’est vrai. Mais il y a quand même une base de réflexion sur comment mettre ces arrêtés en place.

Si l’on poursuit la lecture de l’arrêté, on découvre qu’il existe des dérogations pour certains véhicules :

« L’accès à la zone à circulation restreinte ne peut être interdit :
« 1° Aux véhicules d’intérêt général au sens de l’article R. 311-1 du code de la route ;
« 2° Aux véhicules du ministère de la défense ;
« 3° Aux véhicules portant une carte de stationnement pour personnes handicapées prévue par l’article L. 241-3-2 du code de l’action sociale et des familles ;
« 4° Aux véhicules de transport en commun de personnes à faibles émissions au sens de l’article L. 224-8 du code de l’environnement.
« Les dérogations individuelles aux mesures de restriction prévues au V de l’article L. 2213-4-1 peuvent être accordées, sur demande motivée des intéressés, par le maire ou par le président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre lorsque celui-ci dispose du pouvoir de police de la circulation. Cette autorité délivre un justificatif précisant les conditions de validité de la dérogation, le périmètre sur lequel elle s’applique et sa durée de validité, laquelle ne peut excéder trois ans.

Commençons par les bons points, les personnes handicapées ne sont pas concernées, alléluia ! On aurait vraiment touché le fond si ç’avait été le cas.

On passera sur le cas anecdotiques des véhicules militaires, car la gendarmerie a un parc relativement récent, et que les vieux véhicules lourds de l’armée ne se déplacent que peu en zone urbaine (et une fois par an pour le 14 juillet, on va dire que ça ne compte pas, hein, même si sur le fond, entre la consommation de carburant et la remise en état des Champs, l’impact carbone est loin d’être ridicule pour juste une journée…)

Toutefois, certaines de ces dérogations sont en demi-teinte. Prenons le cas des véhicules de transport en commun à faible émission, présenté comme cela, c’est logique. Cependant quand on va fouiller dans l’article L.224-8, cela se gâte un peu. Il ne s’applique qu’aux flottes de transport en commun des collectivités territoriales, pour un renouvellement de 50% du parc avec des véhicules basses émissions au 1er janvier 2020, puis en totalité à partir du 1er janvier 2025. La RATP se voit quant à elle contrainte à un remplacement de 50% au 1er janvier 2018, la faute à un parc bien plus important. Quid donc des opérateurs de transport privés effectuant des navettes entre la capitale et les grandes villes ? Eh bien ils peuvent toujours tenter d’avoir une dérogation auprès des collectivités concernées, pour une durée maximale de trois ans. Donc, si on met public/privé en parallèle, le secteur public a 4 ans pour renouveler 50% de son parc et 9 ans pour arriver à 100%, là où le secteur privé n’a d’autre choix que de renouveler sa flotte le plus rapidement possible ou bien séparer son matériel en fonction de ses destinations…

Potentiellement, ils ont le droit de rouler, si la régie qui les utilise remplace 50% de son parc d'ici 2020
Potentiellement, ils ont le droit de rouler, si la régie qui les utilise remplace 50% de son parc d’ici 2020

Mais ça ne s’arrête pas là, quand on consulte l’article R.311-1 du code de la route on découvre que les véhicules d’intérêt général regroupent différents types de véhicules :

6.5. Véhicule d’intérêt général prioritaire : véhicule des services de police, de gendarmerie, des douanes, de lutte contre l’incendie, d’intervention des services de déminage de l’Etat, d’intervention des unités mobiles hospitalières ou, à la demande du service d’aide médicale urgente, affecté exclusivement à l’intervention de ces unités et du ministère de la justice affecté au transport des détenus ou au rétablissement de l’ordre dans les établissements pénitentiaires ;

6.6. Véhicule d’intérêt général bénéficiant de facilités de passage : ambulance de transport sanitaire, véhicule d’intervention de sécurité des sociétés gestionnaires d’infrastructures électriques et gazières, du service de la surveillance de la Société nationale des chemins de fer français, du service de la surveillance de la Régie autonome des transports parisiens, de transports de fonds de la Banque de France, des associations médicales concourant à la permanence des soins, des médecins lorsqu’ils participent à la garde départementale, de transports de produits sanguins et d’organes humains, engin de service hivernal et, sur autoroutes ou routes à deux chaussées séparées, véhicule d’intervention des services gestionnaires de ces voies ;

Je ne m’étendrai pas sur le 6.6, même si on pourrait chipoter sur certains détails, le 6.5 suffit largement à alimenter mon propos. Les véhicules d’intérêt général prioritaires sont des véhicules appartenant à l’Etat, qui nous impose d’abandonner notre véhicule dans ces zones si celui-ci n’est pas conforme. Si on pousse la réflexion (enfin la caricature) jusqu’au bout, il sera donc possible pour un policier de vous verbaliser à cause de votre véhicule immatriculé le 30 juin 1996, alors qu’il circule avec un véhicule plus ancien ! Même si effectivement, cette probabilité est très faible, soyons honnêtes un instant, car le parc de la Police Nationale est renouvelé plus régulièrement que tous les vingt ans, on marche sur la tête, l’Etat peut « polluer » là où le simple citoyen ne peut pas. Hors, c’est à lui de montrer l’exemple en premier.

Potentiellement, un policier pourrait vous verbaliser à bord de ce genre d'engin (bon c'est pas réaliste, mais c'est légal)
Potentiellement, un policier pourrait vous verbaliser à bord de ce genre d’engin (bon c’est pas réaliste, mais c’est légal)

Les restrictions de circulation à Paris

Penchons-nous maintenant sur l’arrêté 2016 P 0014 (vous pouvez le consulter ici, page 75 du document PDF) en date du 24 juin. Il a étonnamment fallu chercher longtemps pour le trouver : il n’est ni disponible sur le site de la Mairie de Paris, ni sur celui de la Préfecture, qui ont pourtant tous les deux été mis à jour hier. Il reprend une bonne partie des informations déjà fournies dans le décret gouvernemental. Il ajoute cependant quelques exceptions :

— aux véhicules dont le certificat d’immatriculation porte la mention « collection » ;
— aux véhicules de plus de 30 ans d’âge, utilisés dans le cadre d’une activité commerciale à caractère touristique, sous réserve d’une autorisation spécifique délivrée par l’autorité détentrice du pouvoir de Police, à afficher derrière le pare-brise de manière visible ;
Traversée de Paris Hivernale-2015
Si vous êtes en CGC, vous pourrez continuer à circuler

Après de longues négociations, la FFVE a obtenu que les voitures en CGC soient exonérées de restrictions, du fait de l’utilisation très sporadiques des véhicules en question. De même, la Marie de Paris laisse la possibilité à ceux vivant des visites de Paris en 2CV et autres anciennes de poursuivre leur activité, après demande de dérogation.

D’autre part, la circulation dans Paris n’est pas complètement interdite. Il reste les périphériques intérieur et extérieur et quelques voies mais ma connaissance de la capitale est bien trop limitée pour l’interpréter (la liste est en annexe à l’arrêté).

Les restrictions de circulation dans la pratique

Bon c’est bien beau de faire mon juriste (que je ne suis pas, loin s’en faut), mais qu’en est-il dans les faits ? Eh bien on se retrouve face à une loi à plusieurs vitesses. D’un côté les organes publics ont le temps, de l’autre les « petites gens », banlieusards souvent peu fortunés, se retrouvent dans l’impossibilité d’aller travailler.

D’autre part, les petits artisans (venant de l’extérieur, car moins cher que leurs homologues parisiens) ne pourront pas accéder à leurs chantiers. Y a-t-il eu des compensations de prévues sur le sujet, au même titre que les compensations pour les transports en commun tant vantés par le site de la Mairie de Paris ? Je n’ai vu aucune communication sur le sujet. Ils peuvent tenter leur chance en effectuant une demande de dérogation, mais il reste possible que celle-ci soit refusée.

Les défenseurs des restrictions de circulation diront que les transports en commun sont toujours disponibles. C’est vrai, à un détail près qui a toute son importance. Il n’y a nulle part des infrastructures permettant d’accueillir ces véhicules interdits pour effectuer la jonction avec le réseau. Personne n’a vu fleurir de parking gratuits tout autour de Paris afin de permettre aux gens de rejoindre les lignes de RER, métro, bus ou encore tram. De plus, je sens pointer un florilège de stationnement sauvage à la sortie du périphérique, pour ceux qui tenteraient de jouer le jeu, que fera la maréchaussée ? Étrangement je doute que les amendes de stationnement soient épargnées.

Certains de nos confrères, axés sur les véhicules de collection, ainsi que la FFVE, ont poussé un « ouf » de soulagement, car les véhicules de plus de trente ans en CGC ne sont pas concernés. Au risque de m’attirer quelques détracteurs, ce n’était clairement pas la formule à utiliser et pour diverses raisons. La première, et non des moindres, c’est qu’une voiture en carte grise collection est majoritairement utilisée loin de toute contrainte professionnelle, même si elle n’empêche pas d’aller travailler avec (contrairement à l’assurance collection, qui elle refuse également les trajets domicile-travail). Excusez-moi, mais ne pas pouvoir sortir ma voiture de balade en plein milieu de la journée en pleine semaine, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre, comme on dit vulgairement. J’ai d’autres priorités,comme gagner ma croûte, pour pouvoir mettre de l’essence dedans par exemple. La seconde, c’est qu’avec un tel discours, on passe pour un égoïste.

D’ailleurs, j’ai bien peur que le communiqué de presse de la FFVE de ce matin ne renforce ce sentiment, entre l’autocongratulation qui n’est franchement pas de mise au vu du nombre de passionnés « restés sur le carreau » et cette conclusion pour le moins laconique :

Il est navrant de constater que des familles modestes ne disposant que d’un seul véhicule antérieur à 1997 soient privées de circuler, mais la FFVE ne peut pas représenter l’ensemble des automobilistes. «C’est plutôt aux Automobiles Club de prendre le relais», ajoute le Président de la FFVE.

C’est une erreur monumentale de communication de leur part, beaucoup de gens attendaient des informations car il s’agit du plus gros lobby sur l’automobile ancienne en France. Hors il n’en ont rien fait, faute de temps et de moyens humains, ce qui malheureusement leur porte préjudice. C’est cette même absence de moyens humains qui a poussé la FFVE à avoir recours à une agence de presse pour le communiqué de ce matin. Hors j’ai l’impression que cette dernière va finir de séparer les propriétaires d’anciennes et de youngtimers, plus que pousser tout le monde au rassemblement. Et ce n’est pas en affirmant qu’il reste une porte ouverte à ceux qui utilisent leur youngtimer ou ancienne non CGC de manière exceptionnelle, que cela va calmer le débat, car encore une fois, cela met en avant ces « privilégiés » qui peuvent contourner le problème car ils possèdent une autre voiture.

L’une peut sortir, l’autre pas

Enfin, je vais « saluer » le comportement de nos politiques, tant gouvernementaux que parisiens. L’opération a été menée de main de maître, entre un parfait blackout sur le sujet et des textes publiés à la dernière minute, privant les gens d’un quelconque support légitimant un éventuel recours. Cela a laissé libre cours à toutes les spéculations et aux dérives de ceux qui voulaient défendre le projet, les amenant parfois à se décrédibiliser. Finement joué, mais comme le dit l’adage anglais « Fool me once, shame on you. Fool me twice, shame on me » (Jouez-vous de moi une fois, honte à vous. Deux, honte à moi), attention à la prochaine décision de ce genre, cela risque de ne pas se passer aussi bien !

PS: Pour partir sur une note plus légère, je ne pense pas que les assureurs mettent en place de forfait soir et week-end comme pour les téléphones pour les voitures qui ne pourront plus se déplacer !

 

Pierre

Tombé dans la marmite automobile quand il était petit, il a rejoint l'équipe de News d'Anciennes en 2015. Expatrié en Angleterre depuis Mai 2016, il nous partage les évènements de là-bas. En dehors de ça, il partage une bonne partie de son temps sur la route entre une Opel Ascona et une Mazda RX-8.

Commentaires

  1. Tour

    Sympa, la FFVE prêche pour sa paroisse avec la Carte Grise Collection, mais n’en a rien a f… des autres véhicules anciens. Sachant qu’en CG normale, j’ai un contrôle technique tous les 2 ans (contre 5 ans pour les CGC), mon ancienne en CG normale polluerait-elle plus que la même en CGC?

    Répondre · · 1 juillet 2016 à 16 h 54 min

    1. Pierre

      La FFVE n’en a pas « rien a f… » comme vous le dites si bien. Des négociations sont encore en cours pour les youngtimers et les éligibles CGC qui n’en ont pas. Cependant, il y a eu un énorme échec de communication de leur part, qui amène beaucoup de gens à tirer cette conclusion, et c’est cela que nous pointons du doigt.

      Répondre · · 1 juillet 2016 à 16 h 57 min

      1. bertherat Georges

        Juste une privation de liberté de plus ……
        Vive la France !

        Répondre · · 2 juillet 2016 à 8 h 38 min

  2. Paray

    Excellent article.la simple solution de modifier sa cg en cgc peu paraitre positive.toutefois il faut penser lors de la revente aux probables taxes sur la plus value qui n existe pas avec la simple cg. De plus le fait de maintenir son vehicule en cg contraint son proprietaire a faire un controle technique tous les 2 ans qui selon des infos sera de plus en plus contraignant. Alors que la CgC la visite n est obligatoire que tous le 4 ou 5 ans .etonnant non de la part d’instance parisienne qui veut depolluer dans les textes…..bref j ai 4 vehicules concernés par ce litige et je continuerais à rouler egoistement tant que je le pourrais….une pensee au proprietaire d une superbe 356 dont le plaisir est de s en servir quotidiennement pour se rendre a son travail par les quais rive droite….p paray

    Répondre · · 1 juillet 2016 à 20 h 09 min

  3. Ilya

    L’objectif poursuivit est respectable mais les moyens qui sont mis en oeuvre sont injustes et inadaptés. C’est désolant car sans une véritable vision à long terme avec des mesures coordonnées à différents niveaux (CT, infrastructures routières, transports en commun, constructeurs automobiles, état et collectivités qui montrent l’exemple…) dans 10 ans nous serons toujours au même point.

    Répondre · · 2 juillet 2016 à 21 h 21 min

  4. Marcel

    Au sujet de la délivrance de la CGC aux véhicules anciens, je pense qu’il aurait beaucoup de choses à dire. Accepé dans de nombreux pays européen, il est navrant de constater qu’en 2016 les propriétaires de répliques se débrouillent encore comme ils le peuvent.pour pouvoir rouler.
    Les restrictions s’arrêteront-elles aux remparts de la région parisienne ?

    Répondre · · 3 juillet 2016 à 8 h 27 min

    1. jean-louis BAUD

      citation « en 2016 les propriétaires de répliques se débrouillent encore comme ils le peuvent.pour pouvoir rouler. »
      pour ce qui est des répliques récentes ….. c’est un fait
      pour ce qui est des repliques de plus de 30 ans …la solution est la CG de Collection

      Répondre · · 5 juillet 2016 à 18 h 10 min

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