Renault Frégate, un vaisseau amiral sans vrai cap

Publié le par Benjamin

Renault Frégate, un vaisseau amiral sans vrai cap

Elle se fait rare dans les rassemblements de voitures anciennes. Pourtant, généralement, les voitures haut de gamme, les vaisseaux amiraux de toutes les marques ont été bien préservés. C’est le cas de la Renault Frégate, mais sa rareté est à mettre en rapport avec sa carrière. C’est un exemple emblématique des tentatives des constructeurs français pour s’attaquer au segment des routières, voire des grandes routières. Une histoire qui, finalement, se répétera ! On vous la raconte.

Le besoin de reconstruction de la Régie Renault

Fraîchement nationalisée, la Régie Nationale des Usines Renault, RNUR ou tout simplement Renault, redémarre sa production en tablant sur son modèle le plus moderne, la Juvaquatre lancée avant le conflit mondial qui a l’avantage d’être prête mais aussi d’être un milieu de gamme au beau potentiel de diffusion. Évidemment, le fer de lance va vitre être la Renault 4CV, vraie auto pour motoriser les français « en masse » avec une architecture simple et un prix attractif.

Mais pour créer une vraie gamme, il faut un véhicule plus haut de gamme, capable d’aller chercher la Citroën Traction en terme de prestations, notamment avec un moteur 2L, ce sera le projet 108. Une fois la 4CV sur les chaînes, l’équipe de Fernand Picard, directeur des études de Renault, construit plusieurs prototypes. Tous ont un point commun : un « nouveau » moteur (en fait étudié dès 1943 et déjà monté sur le projet 107 E dite Primalégère), conforme à ce que Pierre Lefaucheux a demandé, placé à l’arrière, comme sur la 4CV.

Un premier, au look de grosse 203 est vite abandonné car jugé trop peu moderne. Le second est plus calqué sur la 4CV est finalement assez peu novateur. Sa face avant ne rappelle pas vraiment la 4CV, hormis les phares, et fait plus penser à une Ford Vedette. Si la forme du capot arrière est bien celle de la 4CV, on se retrouve surtout avec une auto qui ressemble furieusement à une Tatra.

Les tests réalisés à l’Automne 1949 prouvent que l’auto est bien conçue. Sa tenue de route est bonne. Par contre son moteur est tout juste satisfaisant avec une consommation raisonnable mais la puissance est limitée de 55ch et son refroidissement sont problématique. Le fait qu’il soit placé à l’arrière grève également l’habitabilité d’une auto qui devra se contenter d’être une 4/5 places contre 6 pour ses concurrentes.

Changement de cap, et voilà la Renault Frégate

Le projet est purement et simplement abandonné. Il faut repartir sur un concept plus conventionnel. En un mot : remettre le moteur à l’avant.

Par contre on va conserver le moteur Type 668 qui va être retravaillé pour atteindre les 60ch. On conserve aussi les études sur les suspensions plutôt sophistiquées, avec quatre roues indépendantes, forcément adaptées au déplacement du moteur. Heureusement d’ailleurs, le calendrier est très serré : la voiture doit être vendue à partir de 1952… et on avance même sa sortie à 1951 en cours de route ! L’armée française s’enlise en Indochine et l’état prévoit de concentrer l’effort industriel sur l’armement ce qui interdirait le développement de nouveaux modèles.

Eclate Renault Fregate- Renault Frégate

Un lancement vraiment précipité

Les prototypes sont à peine déverminés que la Renault Frégate est présentée au Palais de Chaillot, le 24 Novembre 1950. La voiture est saluée par la critique. Le style est bien plus conventionnel et il fait mouche au point que la Renault Frégate s’en ira glaner quelques prix en concours d’élégance !

L’habitabilité est également la source de remarques positives, l’espace est vaste avec ses deux banquettes (on peut donc emmener 6 personnes) et le plancher est vraiment plat, chose rare à cette époque, encore plus pour une propulsion. Ces remarques ne sont d’ailleurs pas immédiates : l’auto présentée n’est pas roulante et les journalistes ne peuvent l’approcher ! Il faut attendre qu’un dossier de presse soit disponible pour vraiment juger l’auto.

Néanmoins, l’auto n’est pas finie. Techniquement la mise au point n’est pas achevée et c’est avec une sélection de clients, qui seront assistés des agents de la marque, que cela va se faire, dans la circulation de tous les jours.

La Renault Frégate définitive fait sa première sortie publique au Salon de Paris 1951. Son industrialisation a aussi pris du retard. On devait la construire à Flins mais l’usine n’est pas prête. Finalement c’est à Boulogne-Billancourt qu’on a casé une ligne de production.

Premieres Renault Fregate- Renault Frégate

La première auto est livrée le 22 Novembre 1951 au magasin Renault des Champs Élysées. Pour faire honneur à son nom, Frégate, c’est au baron Surcouf, descendant du corsaire, qu’elle est confiée. Elle rejoindra St Malo par la route, accompagnée de 5 autres autos pour une seconde cérémonie.

Très vite, la Renault Frégate se dote d’un semblant de gamme. La version haut de gamme, l’Amiral, est complétée par la version Affaire qui fait l’impasse sur l’allume-cigare et la radio, propose moins de couleurs et moins de chromes. L’auto fait de bons débuts avec 10.342 exemplaires en 1952 et 27.878 en 1953… malgré les critiques !

La commande de boîte est imprécise, mais on peut s’y faire. Les performances ? Elles sont limitées, le 2 litres n’est pas très puissant avec ses 60ch, et la Renault Frégate est tout de même lourde avec ses 1230 kg. C’est son aérodynamique qui lui permet d’atteindre les 130km/h et réduit la consommation aux alentours des 11 litres (chiffre assez commun pour une auto de cette taille à l’époque).

Ce qui est plus problématique, ce sont les pannes à répétition. La presse s’en fait écho et cela nuit à l’image de l’auto. Découlant directement de la mise au point trop hâtive, ils sont vraiment problématiques et obligent le réseau à de nombreuses interventions. Le point d’orgue, c’est un rappel de toutes les autos en 1953 afin de les modifier pour installer les pièces enfin fiabilisées.

Cette même année, Renault lance les grandes manœuvres pour compléter sa gamme avec des Cabriolet (chez Letourneur et Marchand) et un Coach (chez Chapron), histoire de bien installer la Frégate comme une grande voiture haut de gamme.

Cependant, les évolutions sont rares mais contrebalancées par diverses opérations visant à montrer la Renault Frégate au plus grand nombre. Ainsi entre la mi-décembre 1953 et la mi-janvier 1954, lors des « Croisières Vérités » dix autos sillonnent la France et couvrent plus de 100.000km, dans les conditions d’alors avec neige et brouillard au programme. À leur volant on retrouve 840 conducteurs lambda qui se relaient chaque jour, tirés au sort parmi plus de 40.000 candidatures.

Renault Fregate Croisieres Verite- Renault Frégate

Des opérations comme celle-là atténuent les critiques, notamment celles de l’Auto-Journal, qui commencent également à dater. Tant et si bien qu’on vend 50.590 Renault Frégate en 1955 ! Néanmoins cette année là reste funeste pour l’auto : Pierre Lefaucheux se tue à bord d’une Frégate en Février.

Par contre, il va falloir faire évoluer la voiture. La concurrence n’est pas restée amorphe. La Renault Frégate visait la Traction mais celle-ci, comme toute la production française de l’époque, est ringardisée par l’arrivée de la nouvelle Citroën DS. La régie ne peut même pas compter sur une clientèle plus prudente puisque c’est celle visée par la toute nouvelle Peugeot 403 !

Les Grandes Manœuvres de 1956

Après avoir été mise de côté pour le lancement de la 4CV, la Renault Frégate a subi le même sort avec la Dauphine. Une fois celle-ci sortie, le vaisseau amiral de la marque reçoit un peu plus d’attention et en 1956 elle se renouvelle réellement.

Pour la façade, on modernise le style. Exit la calandre découpée à barres horizontales et place à une vraie bouche ovale, plus élégante et surtout bien plus moderne. Mais ce n’est qu’un détail.

La grosse nouveauté se passe sous le capot. Le moteur 668 est remplacé par l’Étendard de 2141 cm³. Plus gros, plus moderne, il permet d’offrir enfin une puissance acceptable à la Renault Frégate qui affiche désormais 77ch. Ce moteur permet même de proposer une version plus lourde, la Domaine, un break qui remplace la Colorale Prairie et propose un dessin agréable.

La gamme se complète avec la sortie de la Grand Pavois, version plus luxueuse reconnaissable à sa peinture bi-ton tandis qu’en bas de gamme on renomme l’Affaire « 2 litres » et elle conserve l’ancien moteur. Pour autant, l’avenir s’annonce sombre puisqu’on a accepté l’idée de Pierre Dreyfus qui refuse d’investir dans de couteux développements.

Renault Fregate Grand Pavois 2- Renault Frégate

La Renault Frégate n’en restera par là. En 1957 la grosse nouveauté on note l’arrivée d’une boîte de vitesse totalement synchronisée, faisant disparaître l’un des principaux défauts de naissance de la grosse berline. Autre changement, la 2 litres est renommée… Caravelle, deux noms de bateau pour une même auto !

D’ailleurs, on ne s’arrête pas là et en 1958 on peut commander une Renault Frégate Transfluide. C’est le nom d’une transmission semi-automatique avec convertisseur de couple. Louée pour sa souplesse (moins pour sa complexité) elle s’accompagne d’une hausse de puissance du moteur Étendard qui passe à 80ch en augmentant son taux de compression, en revoyant les arbres à cames et en se dotant de plus grosses soupapes d’admission.

Si le progrès est bienvenu, les ventes s’effritent. Environ 20.000 exemplaires sont vendus cette année là. En 1959, le break Manoir, en fait un Domaine avec la finition et la technique de la Transfluide, ne relance pas les ventes maltraitées par la concurrence.

En Avril 1960, la Renault Frégate quitte définitivement le catalogue. 180.463 voitures ont été produites, c’est bien moins que les concurrentes.

Le projet 114, censé lui donner une descendante est abandonné devant la peur d’écouler peu d’autos. Renault ne réoccupera le segment qu’en 1962… et avec un subterfuge : la Renault Rambler !

Les Renault Frégate de nos jours

La production est restée faible et les Renault Frégate ne sont pas si courantes sur le marché. Par contre, son manque d’image permet de conserver des prix assez faibles.

Tout en bas de l’échelle on retrouvera ainsi les Affaire, 2 Litres et Caravelle qu’on peut trouver autour des 8000 €. Ensuite, rajoutez des euros pour accéder aux Amiral, puis les break, les Grand Pavois et enfin les Transfluide. Dans tous les cas, vous trouverez des Renault Frégate roulantes et dans un état correct pour moins de 10.000 € mais pour un modèle état concours, il faudra viser plus haut. Évidemment, les versions coach et cabriolet n’évoluent pas dans les mêmes sphères !

Banniere PA Renault copie- Renault Frégate

Photos complémentaires : l’Automobile Ancienne, Frégate Over Blog

Benjamin

http://newsdanciennes.com

Passionné d'automobile ancienne, il a créé News d'Anciennes en 2013 à force de se balader sur les salons sans savoir quoi faire de ses photos. Conducteur occasionnel de Simca 1100 il adore conduire les voitures des autres, dès qu'elles sont un peu plus rapides !

Commentaires

  1. Gougnard

    super reportage merci Benjamin

    Répondre · · 19 mai 2023 à 19 h 17 min

  2. Siegfried

    Possédant une des 50.590 frégates produites en 1955, c’est avec intérêt que j’ai lu cet article. Bravo pour avoir résumé pas loin de 10 ans d’histoire de ce véhicule en un article. Et merci pour les photos, vu la rareté du modèle, ça fait toujours plaisir d’en voir d’autres.

    Répondre · · 22 mai 2023 à 12 h 20 min

  3. Vincape

    Et au même moment apparaissait… la DS avec 100 ans d’avance !

    Répondre · · 1 octobre 2023 à 15 h 04 min

  4. PRATVIEL FRANCOIS

    le break frégate est il facile à trouver en collection ?

    Répondre · · 1 octobre 2023 à 15 h 39 min

  5. Pierre-Michel ott

    merci pour ce reportage

    Répondre · · 1 octobre 2023 à 19 h 41 min

  6. Alain Picollet

    Un descendant de Surcouf qui est mort sans enfant ? Mais un excellent papier néanmoins

    Répondre · · 2 octobre 2023 à 19 h 31 min

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