Course disparue : Monzanapolis, la course des deux mondes

Publié le par Benjamin

Course disparue : Monzanapolis, la course des deux mondes

Pour ce dimanche, je vous propose de nous replonger dans une course aujourd’hui disparue mais particulièrement originale et éphémère : la course des deux mondes, connue sous son nom de Monzanapolis.

Le contexte de Monzanapolis

A la fin des années 1950, la course automobile n’est pas aussi médiatisée que de nos jours. Les courses sont bien plus nombreuses et les championnats les plus visibles comportent peu de course.

Duane Carter, patron de l'USAC
Duane Carter, patron de l’USAC

Trois gros championnats occupent la scène internationale, tous sur circuits, les rallyes n’arrivant que bien plus tard. Ce sont les championnats du monde de Formule 1 et des voitures de sport, plus le championnat américain USAC, ancêtre de l’Indycar.

En 1955 Monza a également inauguré un nouvel ovale. Les virages sont relevés, en lieu et place des virages plats de l’ancien ovale et les F1 tournent sur un circuit comprenant à la fois l’ovale et le routier que l’on connaît encore de nos jours.
Pour l’édition 1956, Giuseppe Bacciagaluppi, à la fois président de l’Automobile Club de Milan et du circuit de Monza invite Duane Carter, à la tête de l’USAC pour le Grand Prix de F1. Les deux hommes tombent d’accord sur les similitudes du nouvel ovale avec les ovales américains, en particulier Indianapolis. Les 500 Miles sont d’ailleurs une des épreuves du championnat du monde de Formule 1, mais les équipes, souvent européennes ne font pas le déplacement.
L’idée naît de créer une course sur ovale en Europe, où les cadors de la F1 comme ceux de l’USAC s’affronteraient.

Les règles et les engagés de Monzanapolis 1957

La première épreuve réunissant les deux mondes de la course, mais aussi l’ancien et le nouveau monde est donc prévue pour Juin 1957, le 29 Juin exactement.

Les règles sont plus américaines qu’européennes : les voitures parcourront l’ovale de Monza « à l’envers » dans le sens anti-horaire, inverse à celui emprunté par le Grand Prix de F1 mais conforme aux 500 Miles d’Indianapolis, la référence.
Le départ sera donné lancé et les pilotes devront parcourir 500 miles. Sauf que contrairement à la classique américaine, Monzanapolis se courra en 3 parties de 63 tours avec une heure de repos entre chaque session.

L'Autodrome de Monza tel qu'inauguré en 1955

Les voitures peuvent être des F1 ou des américaines, limitées à 4.2 L pour les moteurs atmosphériques et 2.8 L pour les moteurs compressés. Les monoplaces ne sont pas les seules, les voitures du championnat du monde des voitures de sport sont aussi acceptées. C’est ainsi que l’Ecurie Ecosse engage trois Jaguar Type D pour Lawrence, Fairman et Sanderson. Elles sont équipées de pneus Dunlop quand toutes les monoplaces roulent avec des Firestone développés spécialement pour l’occasion.

Seuls deux F1 sont engagées. Maserati, de façon tout à fait officielle, avec son pilote d’usine Jean Behra et deux voitures différentes, une 250F et une 450S de sport, tandis que Mario Bornigia engage sa propre Ferrari. Les autres teams de F1 boycottent la course : les pilotes n’ont pas reçu l’assurance que les pneus développés par Firestone tiendraient la vitesse demandée par la course.

Tous les autres engagés sont des pilotes américains engagés sur des voitures acheminées en Europe pour l’occasion. Niveau châssis, Kuzma, deux voitures, Philips et Watson une seule chacun et Kurtis Kraft pour les 6 autres composent la grille. Les moteurs sont des Offenhauser pour 8 des voitures, les deux autres sont propulsés par des moteurs Novi.

La course de Monzanapolis 1957

Un peu comme au Mans, les essais sont l’occasion de se qualifier, et là cela signifie avoir le droit de courir. Pour cela ils doivent faire trois tours à 185 km/h, trois à 200 km/h et trois à 225 km/h. On parle là de moyenne !
La Ferrari n’est pas venue, Behra va essayer la 250F, puis la 450S (une voiture de Sport, amenée au cas où) mais les Firestone qu’il essaye compromettent la stabilité de la voiture. Il se retire avant les qualifications.

Pendant celles-ci, le meilleur temps est signé par Tony Bettenhausen sur une Novi Speciale (châssis Kurtis-Kraft et moteur Novi) en 53.7 secondes, cela représente une moyenne de 284.927 km/h au tour !
La meilleure des européennes, des Jaguar Type D en fin de compte, est la voiture de Jack Fairman qui boucle son tour en 59.8 secondes.
Pour l’anecdote, les Jaguar de l’Ecurie Ecosse ont signé le doublé aux 24h du Mans 1957 le week-end précédent !

La première course est lancée le dimanche sous 40°. Les Jaguar partent en dernière position, pourtant, elles pointent en tête à la fin du premier tour ! En effet, leurs boîtes à 6 vitesses les avantagent, les américaines n’ayant que deux très très longues vitesses ! Au deuxième tour les monoplaces USAC ont assez de vitesse et doublent les trouble fêtes anglaises.

Bettenhausen le poleman prend alors la tête de Monzanapolis mais ne la tient que jusqu’au 4e où sa commande de synchronisation des carburateurs se casse. Il repartira après réparation pour abandonner sur rupture de barre de torsion, le poleman sera le seul abandon.
Devant, la bataille fait rage entre Pat O’Connor sur une Kurtis-Kraft Offenhauser et Jimmy Brian sur une Kuzma Offenhauser. C’est le second qui gagne la course au final, trois secondes devant O’Connor. Seul Andy Linden est dans le même tour, les Jaguar sont à 5 tours et Bob Veith se distingue en étant le seul à terminer derrière les anglaises !

Après une heure d’interruption, les pilotes repartent pour une seconde manche de 63 tours. Les américains ont trouvé la parade pour empêcher les Jaguar de se porter en tête : ils forment une barrière en roulant côte à côte et en fermant la porte de manière assez peu sportive !
Troy Ruttman sur la Watson Offenhauser prend la tête et le la lâche que pour Jimmy Brian qui remporte la seconde manche sur sa Kuzma Offenhauser. Les Jaguar ne sont pas au niveau côté performances mais elles sont à l’arrivée avec leur fiabilité éprouvée.
La course à l’élimination a d’ailleurs commencé, Bob Veith sur un problème de volant, O’Connor sur une fuite de réservoir, Linden a le châssis félé et Sachs sur un soucis de culbuteurs.

Nouvelle pause et on repart. Crawford rentre aux stands dès le premier tour et ne repartira pas. O’Connor était reparti mais la réparation ne tient pas. Reste donc Troy Ruttman qui va gagner cette troisième manche, juste devant Jimmy Bryan et Johnnie Pearson, un temps menacé par la Jaguar de Fairman, finalement 4e devant les deux autres Type D.

La victoire finale revient sans grande surprise à Jimmy Bryan, qui gagne 35.000 dollars et entre dans le livre des records, la moyenne de 257 km/h étant alors la plus rapide jamais courue !

Monzanapolis change d’échelle en 1958

Le succès d’estime de la course permet aux deux organisateurs d’annoncer très tôt la tenue d’une édition 1958. Pour avoir la Scuderia Ferrari au départ, c’est déjà un team mythique, l’Automobile Club de Milan annonce que cette course est qualificative pour pouvoir décrocher le prix, et l’argent, d’un challenge italien des constructeurs !

La prime est également une bonne motivation pour les équipes et le tableau des engagements se remplit bien vite.

Du côté USAC, 12 monoplaces sont engagés. Bryan, et Ruttman les vainqueurs de 1957 sont présents. Les voitures sont toutes équipées de moteur Offenhauser, et les châssis sont des Salih (Bryan), Watson (Rathmann), Lesovsky (Ward), Philips (Freeland), les autres courent sur des Kurtis-Kraft ou des Kuzma.
Deux pilotes non-américains ont été recrutés pour l’occasion. Maurice Trintingnant pilotera une Kuzma avec rien de moins que A. J. Foyt en réserve, mais surtout, Dean Van Lines engage sur une Kuzma Offenhauser Juan Manuel Fangio champion du monde en titre en F1 et en pré-retraite.

Côté F1, c’est Ferrari qui assume tout. Une 296 à moteur Dino pour Hawthorn et Musso, une 412 pour le même Musso et Phili Hill tandis que le NART se charge de l’engagement d’une 375 en configuration Indy, préparée pour les 500 Miles 1952 et confiée à Harry Schell.

Les Jaguar Type D sont de nouveau au rendez-vous, Bueb et Gregory se chargeant de les piloter.

Mais surtout, on trouve des voitures spécialement crées pour l’occasion, preuve de l’engouement autour de l’épreuve.
Maserait engage une type 420 / M / 58 Eldorado, le nom Eldorado faisant référence à son sponsor, fabricant de crèmes glacées, une première alors ! Elle repose sur un châssis de 250F, des trains de 450S et un moteur 4198 cm³ à course courte développant 410ch à 8100 tr/min. Le pilote n’est autre que Stirling Moss ! L’auto était présentée à Retromobile 2017.

L’Ecurie Ecosse, qui a tissé des liens avec Lister, on y reviendra, engage une auto dérivée de la Lister Jaguar d’endurance. Le moteur est un 3L de Type D, la carrosserie est conçue spécifiquement pour cette course et elle adopte un train avant chaussé des Dunlop habituels et un train arrière avec des Firestone équipant les autres monoplaces. Elle est confiée à Jack Fairman, meilleur performer en 1957.

La course de Monzanapolis 1958

Avec une telle feuille d’engagement, on devine que cela va être disputé. Fangio est un des premiers à établir un temps de référence. Il se fait même remarquer quand il établi un chrono, le jeudi, sous la pluie à 233 km/h de moyenne !

La première séance de qualification du vendredi est disputée sur une piste encore humide. Fangio établit le meilleur temps des « américains », Musso le meilleur des « européens ».
Le samedi, sur piste sèche, les chronos tombent. Les positions de départ, on ne parle pas de grille pour un départ lancé, sont déterminés par les trois meilleurs tours de chaque pilote. Musso avec une moyenne de 280.8 km/h est en pole sur la Ferrari 296, Veith est second et Fangio troisième. La Maserati spéciale de Moss est 11e, et la première Type D est 16e. La F1 est à l’honneur et les cartes sont bien battues.

Fangio ne prend pas le départ de la course, son Offenhauser a un piston percé. Comme en 1957, les Jaguar bénéficient de leur boite pour se porter en tête, mais les F1 et les américaines reprennent les devants avant la fin du premier tour !
Sachs et Musso sont au coude à coude, mais Musso glisse peu à peu. Rathmann prend la première place à Sachs au 11e tour. Ce dernier se retire au 20e tour, bielle cassée, en laissant la seconde place à Musso. Mais au 27e tour, intoxiqué par les vapeurs de Methanol, il laisse sa place à Hawthorn.
Finalement, Rathmann gagne la première manche devant Bryan et Vetih à un tour, Moss est revenu à la 4e place, lui aussi à un tour. Musso a repris le volant avant le dernier tour pour terminer 6e à 3 tours du vainqueur. La Lister est 11e à 6 tours et la première Type D est 13e à 8 tours.
En plus de Sachs, Phil Hill, Rodger Ward et Don Freeland ont abandonné.

Gregory ne peut pas prendre le départ de la seconde manche, Ward a réparé. Fangio voulait repartir mais la voiture n’est pas prête. Trintignant laisse sa place à Foyt. Le départ est donc donné pour 14 voitures.
Rathmann prend la tête et ne la lâchera pas. Musso laisse une nouvelle fois sa place, au 19e tour, à Phil Hill, à pied pour cette seconde manche de Monzanapolis. La bataille fait rage pour la seconde place entre Moss, Veith, Bryan et Ruttman. Le moteur de Moss le lâche à la fin et il ne prend que la 5e place, Rahtmann gagne, 20 secondes devant Veith, Bryan et Ruttman.
La F1 de Musso et Hill est 9e à 3 tours, Fairman sur la lister est 10e à 6 tours devant Bueb avec la seule Type D encore en course à 12 tours du vainqueur, Ward et Schell abandonnent.

Pour la dernière manche, Fangio est enfin au départ, Gregory a réparé, Fairman ne prendra pas le départ sur la Lister et Hawthorne prend le baquet de Musso.
Rathmann prend vite la tête, suivi par Veith et Foyt. La voiture de Fangio ne fait que deux tours, la pompe à essence rendant l’âme. Au 24e tour, Hawthorne est victime d’une intoxication au méthanol et laisse sa place à Hill. Moss est à la 4e place au 40e tour avant que sa direction ne le lâche et ne l’envoie dans les glissières en haut du banking.
Rathmann gagne une nouvelle fois, devant Bryan et Hawthorne qui a repris le volant au 60e tour.
Bueb est 7e sur la seule Type D rescapée, Gregory ayant abandonné tout comme Foyt, Veith, et Ruttman.

Rathmann est donc déclaré vainqueur avec une moyenne globale de 268,367 km/h, devant Bryan le vainqueur sortant.

Malgré le fait que les spectateurs aient été beaucoup plus nombreux qu’en 1957, l’Automobile Club de Milan ne s’y retrouve pas et décide de ne pas financer à perte une troisième édition de Monzanapolis. La course des deux mondes a vécu, seulement deux années, mais reste une course très à part dans l’histoire automobile.

Images : Wikipedia, News d’Anciennes, Albert R. Bochroch, Karl Ludvigsen.

Benjamin

http://newsdanciennes.com

Passionné d'automobile ancienne, il a créé News d'Anciennes en 2013 à force de se balader sur les salons sans savoir quoi faire de ses photos. Conducteur occasionnel de Simca 1100 il adore conduire les voitures des autres, dès qu'elles sont un peu plus rapides !

Commentaires

  1. Ambroise Brosselin

    Super article très complet, merci Benjamin !

    · · 29 février 2016 à 21 h 39 min

    1. Benjamin

      Merci bien !

      · · 29 février 2016 à 22 h 08 min

  2. THOMAS MICHEL

    la LISTER JAGUAR de l’écurie Ecosse « nickelée », n’est ce pas l’auto vue à l’AGE D OR à DIJON ?

    · · 2 mars 2016 à 10 h 17 min

    1. Benjamin

      C’est bien elle, tout à fait !

      · · 2 mars 2016 à 10 h 19 min

  3. Zak

    Pour les fans il existe un DVD exceptionnel qui présente trois films consacrés aux courses de 1957 et 1958.

    « The Monza Challenge » et « The Doubleheader 500 » pour 1957 et « The 500 Miglia di Monza » pour la course de 1958.

    Durée totale 1 heure et 8 minutes.

    http://www.raresportsfilms.com/1957-58-monza-500.html

    · · 18 juin 2017 à 23 h 08 min

    1. Benjamin

      Merci de l’info !

      · · 18 juin 2017 à 23 h 09 min